Le génial dessinateur américain Robert Crumb détestait et déteste toujours le rock, trop artificiel, trop commercial, trop récupéré par le show biz à son avis. Et pourtant, ce grand amateur de 78 tours qui illustra magistralement de nombreuses pochettes de blues, de hillbilly ou de folk confessait une admiration non dissimulée pour Janis Joplin, chanteuse se situant, pour lui, en ligne directe des pionnières du blues, à la fois respectueuse et novatrice.
Par contre, il confessait ne pas comprendre pourquoi une aussi magnifique chanteuse était accompagnée par une bande de bourrins jouant aussi vulgairement (Big Brother and the holding company).
Si on commence par Crumb, c'est qu'il réalisa pour la dame une des pochette d'album parmi les plus marquantes de toutes les années 1960 : Cheap thrills.
En 1967, nourri quasi exclusivement au LSD, l'ayant mis à profit pour créer le scandaleux Fritz the Cat ou le gourou escroc Mr Natural, Crumb déménage de Cleveland à San Francisco.La ville est en pleine effervescence hippie et une scène musicale émerge.
Janis en 1968
Publiant pour quelques miettes dans une ribambelle de revues et fanzines, témoin du naufrage hippie, c'est un Crumb épuisé qui est contacté, en 1968, par une Joplin en pleine ascension. Ça tombe bien, c'est vraiment la seule qui trouve grâce à ses yeux (le bougon trouve même Dylan préfabriqué).
Janis et son groupe venaient de triompher au festival de Monterey et sa compagnie de disque, Columbia, exigeait un album rapide pour faire du pognon sur l'occasion. Originellement, la pochette en avait été confiée au photographe Richard Avedon pour une image de groupe, somme toute assez classique. La bande à Janis trouvait juste que ladite photo représentait plus le célèbre photographe de mode qu'eux mêmes. Columbia avait déjà refusé le titre de l'album qui devait être Dope, Sex and Cheap Thrills pour ne conserver que les deux derniers mots, qu'on peut traduire par "plaisirs bon marché". C'est alors que Dave Getz (batteur), James Gurley (guitariste) et Janis Joplin, tous trois habitant en communauté et friands des crobards de Crumb le contactent.
Pour 600 $, le dessinateur fou se gave de speed et livre un premier projet de pochette réalisé en une nuit. Une affaire qui roule...
Sauf que, charmé par un graphisme inattendu, les musiciens décident de se passer du dessin du groupe en action d'abord imaginé en recto pour basculer le verso de la pochette, avec la liste des morceaux et des musiciens, en exposition.
Dessinée comme une planche BD avec une case pour chaque chanson, la pochette ne fut pas pour rien dans le succès phénoménal que rencontra l'album à sa sortie en août 1968.
Et on gage que pour le dessinateur râleur, une pièce maîtresse en fur la reprise de Ball and chain deBig Mama Thornton.
Une version mythique de ce blues de 1953 avait été jouée par le groupe au Monterey Pop de juin 1967.
À titre de comparaison, la même par Big Mama, la bougresse ne se contentait pas de beugler, elle maniait aussi la guitare.
Et comme disait un animateur radio, depuis sacqué de l'antenne : "deux versions également aimables à nos oreilles".
Malgré un nombre respectable de films et de romans noirs, en particulier ceux de Dennis Lehane qui le démontrent, insistons ici sur le fait que Boston, Massachsetts, n'est pas qu'une cité coloniale de la haute réputée pour ces espaces verts, ses élites et son université, cette ville a aussi ses quartiers interlopes et son prolétariat vivant par communautés puisqu'elle est aux États-Unis. On dit aussi que c'est une des plus grandes villes irlandaise de la planète.
Or, à Boston, Noirs et Blanc, Latinos et Asiatiques, irlando-américains ou italo-américains, tout le monde se réconcilie non pas lorsqu'il s'agit de rosser les cognes mais plutôt d'entonner en chœur Dirty Water.
On sait que les chansons comportant le nom d'une ville dans leur titre ont en moyenne meilleur chance de faire carrière que d'autres mais le cas de celle-ci est assez curieux.
Les amateurs savent généralement qu'elle fut créée par un obscur groupe de Garage, The Standells, en 1965.
On sait généralement moins que le groupe (Larry Tamblin, clavier et chant, Tony Valentino, guitare et chant, Jody Rich, basse et Benny Hernadez batterie et chant) est issu de Los Angeles, à l'autre bout du continent. Mieux, lorsque cette bande qui végéte sort d'abord la chanson au riff impeccable en 45 tour puis en album éponyme, les petits gars n'ont jamais foutu les pieds à Boston ! C'est leur manager, Ed Cobb, qui a effectué un séjour là-bas en galante compagnie et a écrit les paroles afin de se venger d'une cité où il a connu quelques émotions pas toutes agréables.
Car les paroles font référence aux bas quartiers irlandais près de la rivière Charles (aux eaux polluées) à l'étrangleur de Boston, à la frustration des étudiantes de l'université Simmons. Tu parles d'un dépliant de l'office de tourisme !
Tout en connaissant un succès d'estime et restant le tube (assez confidentiel) des Standells le morceau sera purement ignoré du côté de Boston. L'honorable groupe de rock aura quelques autres succès d'estime avant de se déliter autour de 1968. Sometimes good guys don't wear white, par exemple.
On aurait pu en rester là mais en 1972, Lenny Kaye, par ailleurs guitariste de Patti Smith, exhume des 45 tours oubliés des années 1964-1968, racines du rock garage et proto-punk des USA sous le nom de compilation Nuggets (pépites). Et le premier 33 tour de la série s'ouvre par Dirty Water, faisant aussi sec accéder le titre au statut de légende méconnue.
Toute une génération des années 1970 se fait les dents en reprenant les Nuggets, et les titres sont encore joués de nos jours dans les bistrots et autres salles confidentielles, devenant une école pour rockers débutants ou confirmés.
D'ailleurs, nous sommes quelques-uns à avoir d'abord connu ce truc repris par un honnête et énergique groupe de pub rock anglais, The Inmates, en 1979, sur leur premier album First offense. Ils avaient juste changé Boston par... London ! Commerce oblige.
La chanson poursuit donc son bonhomme de chemin, devenant de plus en plus connue et en 1995, l'équipe de hockey de Boston l'adopte comme hymne, aussi tôt imitée par les supporters des Red Socks, équipe de base-ball nationalement classée. Du coup, tout Boston se met à chanter cet air dédicacé aux eaux crades, même les citoyens écolos s'en servent pour leurs campagnes de dépollution. Et voilà comment un relativement obscur single de 1965 s'est retrouvé beuglé par une capitale de 700 000 habitants.
Entre-temps, Dodd et Tamblyn ont remonté une nouvelle mouture des Standells. Et dans les années 2004-2006, les californiens se verront jouer leur désormais succès aux ouvertures des matchs de Boston.
Surtout, ne jamais désespérer !
Allez, une dernière par des gloires locales, les Dropckick Murphys.
Prenez un grand nom du flamenco, Enrique Morente (1942-2010) qui fit ses premières armes au quartier de l'Albaicin à Grenade. Adjoignez-lui des guitaristes virtuoses comme Tomatito ou Vicente Amigo et quelques percussionnistes méritants tel Tino di Geraldo. En guise de surprise du chef, rajoutez un groupe de rock, lui aussi grenadin, qu'on a qualifié de l'appellation fourre-tout "post-punk" à l'époque. Comme nous sommes entre Andalous de bonne compagnie, pourquoi ne pas mettre du Garcia Lorca en zizique ? Plus précisément des poèmes tirés du recueil Poeta en Nueva York.
Houps ! C'est alors que vous réalisez qu'un certain Leonard Cohen, qui a eu un certain succès, vous a devancé sur quelques titres.
Qu'à cela ne tienne, on enregistrera aussi des chansons du gars en les arrangeant à la sauce flamenca.
Même qu'on appellera le disque Omega et que ce sera un bon coup de saton dans le monde assoupi des cantaores en cette année 1995.
Et que croyez-vous qu'il advint ?
Une bonne partie de ce que la péninsule compte de critiques et d'aficionados (autre mot pour puristes pénibles) ont hurlé à la trahison, à la bâtardise, voire à la prostitution !
Et pourtant, vingt six ans plus tard cet album demeure une des plus beaux, un des plus sincères hommages rendu aux deux poètes, l'Andalou et le Canadien. Il suffit d'écouter Este vals pour s'en convaincre.
Et de comparer avec la version de Cohen pour mémoire (ici en concert à donostia en 1988)
Pour mieux mesurer le talent de nos iconoclastes du Sud, une autre version du maestro (first we take) Manhattan nettement à l'avantage de nos chers grenadins.
Nostalgie de la Giscardie. En 1975, après deux concepts albums flamboyants (Histoire de Melody Nelson et Vu de l'extérieur) un Serge Gainsbourg encore inspiré tente un provocation rock 'n roll grâce à un disque entièrement consacré au nazisme : Rock around the bunker.
Enregistré à Londres avec de solides tâcherons, l'album souffre principalement d'un son maigrelet digne d'un groupe de rock français. Le Lucien ne poussera pas la provoc' jusqu'au bout en retirant sa chanson Les silences du Pape (crainte des réaction des milieux cathos) et le scandale n'éclatera qu'une demi décennie plus tard avec sa Marseillaise. Hors quelques gauchistes dénués d'humour, la provoc' est tombée dans une indifférence générale et le disque s'est vendu honorablement.
Promotion oblige, un passage à la télévision s'imposait. On y découvre un pénible Bouvard, de pénibles choristes nippées en souris grises, une sono défaillante. On y apprend au moins qu'en 1975, la République Fédérale d'Allemagne n'allait pas tarder à poursuivre ses anciens nazis. Pour accélérer un peu le mouvement, deux ans plus tard, la RAF descendait le patron de Daimler-Benz, l'ex Obergruppenführer Hanns Martin Schleyer, ci-devant proche collaborateur de Reinhard Heydrich.
Malgré sa sonorité ratée, on aime bien cet album. Surtout ce titre, J'entends des voix off
Ce ne sont pas deux mois d'enfermement et un été ponctué de sauts de puces qui vont nous faire passer l'affection, bêtement romantique, qu'on porte aux gens de mer. On en fit même un thème d'émission du temps où nous nous préoccupions surtout de chansons en français.
Le dernier confinement et quelques kilomètres parcourus en zizique et en suivant nous ont donné l'envie d'exhumer les très recommandables disques conçus par le producteur américain Hal Willner : Rogue's Gallery, Pirates ballads, sea songs ans chanteys.
Un mot du bonhomme qui décéda du (ou de la ?) Covid-19 au mois d'avril dernier à son domicile new-yorkais. Né en 1956, de parents rescapés de justesse du grand massacre de la décennie précédente, Willner eut, à son catalogue de producteur de disques, des gens comme Lou Reed, Marianne Faithfull, Laurie Anderson, les Neville Brothers mais aussi William S. Burrough ou Allen Ginsberg. En 2006, il décida de ressusciter les chants de marins, pêcheurs, soldats et autres forbans des mers dans un premier double album : le Rogue's gallery (qui à l'origine désigne une collection de pièces à conviction judiciaire).
Là où l'affaire est surprenante c'est que le gars fit appel à un parterre improbable d'interprètes de folk, de country et de rock mélangeant artistes très connus dans leur spécialité et parfois tout à fait inattendus (Nick Cave, Bob Neuwirth, Lou Reed, Bryan Ferry, Marianne Faithfull, Sting (si !) Richard Thompson, Martin Carthy, etc.) avec d'autres beaucoup plus confidentiels.
Et l'ensemble, un double album de 43 titres marche plutôt bien vu que la majorité des interprètes semblent s'être pris au jeu et donc, s'être mis au service de leur chanson plutôt que le contraire.
Ça a tellement bien carburé qu'il y eut une suite en 2013, logiquement intitulée Son of Rogue's gallery dans laquelle il fit appel à d'autres pointures comme Tom Waits, Iggy Pop, Shane Mc Gowan, Todd Rundgren, Robyn Hitchcock, Dr John, etc.
Mais c'est une autre histoire, petit aperçu du premier volume : Richard Thompson dans Mingulay boat song, complainte de pêcheurs des années 1930 tirée d'un vieil air gaélique, Òran na Comhachaig.
Nick Cave, très en jambe pour ce Fire down below, chant de cabestan où on bossait en insultant ses propres officiers, pratique tolérée dans toutes les marines, même militaires.
Et les très insolites Jack Shit, trio californien formé de Beau, Pete et Shorty Shit reprenant un classique de la Royal Navy, Boney was a warrior, hommage moqueur et dérisoire à Napoléon Bonaparte, surnommé Boney the Bogeyman, fils de Lucifer et bouffeur de gamins.
Pour la presse comme pour le public, ce sera du tout cuit tant il y a là un de ces objets que les deux affectionnent particulièrement : l'énergumène qu'on va traiter en bête de foire.
Barney Hoskins (...) voit en Jeffrey Lee Pierce "avec sa voix désespérée et habitée un Jim Morrison gothique chantant sur les fantômes et les poissons, les sorcières et les poupées vaudou".
Tout au long des trois premiers albums, du blues au jazz en passant par la country, Pierce et son groupe vont donc revisiter le folklore nord-américain de la première moitié du XXe siècle, avec tout ce que le prolétariat y a produit comme expression d'un rude quotidien. émigration vers le nord industriel, Grande dépression, difficultés des conditions ouvrières et paysannes avec ce qu'elles comptent de vicissitudes, ségrégation en plus pour la communauté noire.
L'originalité du Gun Club est là : Pierce a capté le fond du blues en s'émancipant de sa forme. Et si Pierce a capté le fond du blues, c'est parce qu'il est une personnalité blues. Là se situe la différence avec les productions des musiciens blancs comme le blues-boom des années 1960 a pu en produire. au fond, les disques des Cream et même des Stones n'étaient-ils pas plutôt un hommage au blues que véritablement du blues ?
"Ma mère est mexicaine. Une métisse, mi-indienne, mi-française. Du coup, j'étais catholique et dans le sud-ouest, être catholique, c'est pire que d'être communiste. Je sais ce que c'est que d'être traité comme un bougnoule. Ma mère, quand j'étais môme, elle ne parlait pas un mot d'anglais et moi j'étais un foutu bâtard : trop blond pour les mexicains, trop mexicain pour les autres. Déjà, quand j'étais môme, je portais des médailles et des gris-gris pour faire chier le monde. Les cathos mexicains sont complètement givrés : ils pratiquent un mélange de christianisme et de superstitions indiennes. C'était bonnard, je n'avais qu'à voler des amulettes à ma mère." Jeffrey Lee Pierce.
Les deux morceaux sont tirés du premier album du Gun Club, Fire of Love (1981) Preachin' the blues est une reprise de Robert Johnson.
Texte et citations sont extraits du livre Jeffrey Lee Pierce de Marc Sastre (LFDB 2013)
L'hypothèse du retour de l'absurde frontière qui tranche l'Irlande en deux, outre ses éventuelles sanglantes conséquences, nous ramène quelques décennies en arrière.
On ne vous apprendra rien en rappelant que cette contrée a été le berceau d'innombrables et d'émérites musiciens.
Belfast 1978
Évoquons ici une bizarrerie : être punk en Irlande du Nord à l'origine.
Pour mémoire, le quotidien d'un adolescent sans avenir social de Belfast
ou Derry était alors partagé entre le devoir d'élever des barricades et de
s'éduquer aux bastons de rues tout en faisant allégeance aux valeurs
républicaines généralement catholiques ou à des valeurs orangistes hystériquement paranoïaques.
Le tout, si possible, en évitant les bombes ou balles tirées par l'UDR ou la
Red Hand d'un côté, l'IRA ou l'INLA de l'autre. Quand ce n'étaient pas
celles venant de l'armée britannique censée arbitrer le match (quoique dotée d'un
coupable penchant pour un camp) ou celles des brutes du RUC (police
locale aux mains des loyalistes).
Comme l'a écrit quelqu'un* : La situation d'un punk nord-irlandais en 1976-78 est comparable à celle des zazous pendant l'Occupation sauf que les Allemands n'avaient pas inventé le jazz des caves de St-Germain-des-Près. Alors que les Anglais qui occupent toujours l'Irlande du Nord, eux, ont inventé leur punk. Pour un jeune Irlandais amateur de rock, mieux valait appréhender les choses en prenant un maximum de recul.
Belfast 1978 (là c'est l'IRA)
C'est donc dans ce contexte de franche rigolade que s'épanouissent quatre amis issus des ghettos républicains Jake Burns (chant, guitare) Henri Cluney (guitare) Ali Mc Mordie (basse) et Brian Falcon (batterie).
Ils abandonnent leur groupe de hard / glam rock Highway star pour trouver un exutoire à leur rage en virant punk, à l'instar de nombre de leurs collègues britanniques. Avec l'aide de Gordon Ogilvie, parolier puis manager, cette bande des quatre monte Stiff Little Fingers (rien à voir avec un doigt d'honneur, c'est une référence aux postures des snobs de la haute) enregistre une démo pourrie aussitôt envoyée à John Peel, le célèbre DJ de la BBC et celui-ci la programme aussi sec.
Le côté excessivement énervé de la chose avec des paroles moitié incompréhensibles dues au phrasé local de Jake qui hurle en bouffant ses mots ne constitue pas un vrai obstacle. Après tout ce n'est pas si dommageable, l'Angleterre vit une campagne d'attentats de l'IRA et la chanson Suspect devicepropose simplement de devenir soi-même un colis piégé. C'est du second degré, on est encore loin des premiers attentats suicide.
Décidant de joindre à leur musique d'excités une description au vitriol de leur existence en Ulster, leur deuxième single Alternative Ulster, (1978) deviendra vite historique.
ils y décrivent une existence désespérante sous occupation et leur refus de marcher au pas** dans une guerre interminable, le titre de ce 45 tour est en soi une provocation, quand on est républicain on se doit de dire Northern Ireland, pas Ulster.
Ici, ils le jouent en concert (bidonné). Enfin, si ça veut pas s'afficherc'est là.
Leur sens aigu de la provocation est encore mieux illustré dans la face B de leur 45 tour suivant Bloody sunday. Loin du prêchi-prêcha de U2, cette chanson n'illustre pas le Dimanche sanglant de Derry (massacre perpétré par l'armée de sa gracieuse majesté en 1972) mais un Putain de dimanche à Belfast où, comme on ne va pas à la messe, on s'emmerde à cent livres de l'heure.
On frémit à l'idée de la réception de cette chanson dans le Bogside.
Comme ils l'avaient annoncé dans leur titre Gotta gettaway les Stiff finirent par se barrer de cet environnement désespérant pour aller tenter leur chance à Londres. Ayant mis de l'eau dans leur punk, ils ne deviendront toutefois jamais des rock stars. Juste une légende. Et comme disait fort à propos tonton Joe Strummer La différence entre une star et une légende, c'est qu'une légende, elle, n'a pas un rond.
Aux dernières nouvelles ils tournent encore. C'est l'excellent Bruce Foxton, ex-Jam qui officie désormais à la basse.
Les kids s'emmerdent le dimanche
* Histoire du punk en 45 tours. Géant vert (Hoëbecke 2012)
** Le rédacteur de ces lignes se souvient d'un entretien avec les Stiff Little Fingers lors d'un de leur passage par chez nous à cette époque. Naïvement enthousiastes, à l'époque, pour la cause unioniste irlandaise, nos apprentis rédacteurs de fanzine s'en revinrent munis d'une description apocalyptique du racket pratiqué par les paramilitaires des deux bords sur leur propres quartiers. Ils conclurent finalement sur ce titre : SLF, d'honnêtes pacifistes.
Pour ne pas déchoir, le soir de ce concert, la rue où jouait le groupe eut un air de Belfast de pacotille avec ses charges de CRS et quelques cocktails molotov.
On ne peut apprécier toute la production de ce touche-à-tout et c'est normal.
Introducteur de la samba brésilienne en France, découvreur de Brigitte fontaine, Areski Belkacem et Higelin ou Pierre Akendengue, poussant au micro Jean-Roger Caussimon ou Alfred Panou, initiateur du free-jazz, explorateur de musique japonaise, musicien et producteur lui-même, le maître du studio des Abesses régna pendant plus de quarante ans sur un des labels les plus originaux de l'hexagone, Saravah.
Disparu en 2016, France Culture rendit hommage au travail de Pierre Barouh avec une trop brève histoire de Sarvah.
C'était dans la série Histoire française de l'exploration sonore d'Étienne Menu du 2 août dernier.
Qu'est ce qu'un album historique ? Peut-être à la fois un disque qui vous accompagne à tout jamais et le reflet quasi parfait d'un lieu, d'une époque et d'une sous-culture devenue depuis culture dominante pour consommateurs plus ou moins nostalgiques.
C'était en 1979 et ce 33 tour nous a d'abord échappé. Au Royaume ravagé par la Thathcher, la presse spécialisée rapportait que deux groupes rivalisaient : The Clash et The Jam, rééditant les concurrences artificielles Beatles / Stones. Et l'année fut dominée par la bande à Strummer qui accoucha du magnifique London calling avant d'aller changer la face de la musique mondiale aux USA sur lesquels ils avaient tant craché.
Tout aussi productifs, les Jam, catalogués d'abord à part sur la scène punk puis enfermés dans le revival Mod, ont depuis 1977 sortis trois albums, deux assez classiques et prometteurs In the city et This is the modern world, tout en nervosité puis All mods cons qui comportait déjà quelques tubes majeurs.
Et d'août à octobre 1979, ils enregistrent ce qui restera comme leur chef d’œuvre : Setting songs. Et comme de bien entendu, il a fallu quelques temps pour l'apprécier à sa juste valeur, l'apprivoiser.
À commencer par la pochette*. Côté pile une statue de 1918, The St John's Ambulance Bearers, représentant un soldat blessé soutenu par deux brancardiers.
Côté face, un pliant aux couleurs de l'Union Jack posé sur une plage type Brighton seulement peuplée par... un bouledogue.
Là où les Clash avaient misé sur une sauvage photo de concert en noir et blanc, Weller, Foxton et Buckler firent dans un kitch à la limite du nationalisme le plus abject. Un authentique repoussoir !
Mis à part qu'à l'instar des Clash, ils eurent l'intelligence (enfin, pour nous pauvre froggies) de mettre les paroles dans la pochette intérieure dissipant ainsi la moindre ambiguïté.
Et puis, Setting songs est un album par défaut, une ébauche, une frustration, une ambition ratée. À l'origine, un concept album, une histoire entière développée en opéra rock : celle de trois inséparables amis d'enfance qui se retrouvent après une guerre indéterminée et contemplent les ruines de leurs vies, de leur pays et de leur amitié. Métaphore d'une Angleterre en décadence dont on refourgue encore les lustres impérialistes passés alors que sa classe ouvrière se fait laminer.
Vic Coppersmith-Heaven, producteur de l'album
Pourquoi l'opéra originellement souhaité ne vit-il pas le jour ? Refus et sabotage de la maison de disque, Polydor ? Crainte de ringardise, d'être assimilé à tous ces disques pompiers et indigestes des années 70 ? On ne sait au juste.
Mais les dix morceaux de l'album original constituent à la fois un tout cohérent et un ensemble de chansons toutes aussi surprenantes que ciselées.
Mis à part la reprise finale d'un classique de Martha and the Vandellas, Heat Wave, repris en son temps par les Who et les renvoyant au passage à leur cher passé, tout le reste brosse un portrait cauchemardesque d'existences sacrifiées.
Paul Weller a ici rejoint son maître, Ray Davies des Kinks, un des meilleurs auteurs britanniques capable de vous poser et développer une situation en deux minutes trente.
On s'est longtemps envoyé la face B avant la face A.
Juste pour entamer l'écoute par le très orwellien Burning sky. Orwellien, car on a toujours imaginé que ce ciel en feu au-dessus de deux ex-amis vivant une rencontre manquée, celui qui s'est élevé socialement ayant le cynisme d'expliquer la vie à l'autre, est une référence directe à un passage du livre d'Orwell Coming up for air (Un peu d'air frais, 1939).
Le reste déroule de désespérantes vies quotidiennes de prolos (Saturday's kids, le fabuleux Private hell, Girl on the phone) et le stupéfiant Smithers-Jones composé par le bassiste Bruce Foxton, certainement son meilleur morceau. Bosse, bosse et bosse jusqu'à en crever, écrivit-il en référence à son propre père qui venait d'être licencié. La version du disque est avec quatuor à cordes. Il existe une autre version , plus classique, qui aurait été une idée du batteur, Rick Buckley.
Le reste n'est que loyauté envolée (Thick as thieves) et illusions perdues sur les champs de massacre : le symphonique Little boy soldiers, une des plus cruelles chansons jamais écrites sur l'idée de mourir pour des intérêts opposés à sa classe et l'apocalyptique Wasteland paysage en ruine qu'on peut aussi bien imaginer après-guerre qu'être un instantané d'une guerre sociale en cours.
Et puis il y a ce Eton rifles qu'on croirait écrit par ... the Clash, sorti en 45 tours par Polydor avant l'album.
Un chômeur à court de ressources y déroule ses envies de meurtre en songeant au très huppé collège privé du Berkshire et à son très aristocrate corps de cadets. Sup up your beer and collect your fags, there's a row going on down near Slough entame Weller en référence à sa participation à une manifestation du SWP trotskyste qui était passée devant cette école de snobs.
Tous les morceaux non exhibés sont en lien. Sur ce, je me le remets sur la platine.
* Peut-être n'est-il pas inutile de préciser aux jeunes générations que les pochettes de 33 tours étaient une carte de visite destinée à attirer l'amateur. Certaines étant considérées comme de pures œuvres d'art, qu'elle fussent prétentieuses, vulgaires, démagos, choquantes, nostalgiques ou obscures.
PS : So long, Malcolm Mac Rebennac, bon Docteur. On y reviendra.
On ne connaissait pas. On a donc été plutôt surpris de croiser les deux monstres sacrés que sont Léo Ferré et Jean Gabin associés sur un enregistrement radiophonique de janvier 1951 réunis dans un disque publié à titre posthume en 2004. De sacs et de cordes* était un feuilleton radiophonique conçu par Ferré qui lui donna l'occasion de conduire son premier orchestre symphonique, celui de l'ORTF.
Tout en déclarant ensuite "Gabin était entre deux pentes, là... Alors j'avais écrit ça, je ne
sais pas pourquoi... Ou j'ai écrit ça en même temps sachant que Gabin
accepterait de lire le texte et c'est passé une fois à la radio... Il y a
combien de temps ?... C'était en quelle année ça ?... 1951 ! On ne le
repasse pas souvent, hein ?" Ferré fait mine d'oublier qu'à l'époque, il n'était pas très côté.
Citation du site qui lui est consacré : Diffusé dans le cadre de l'émission Les Lundis de Paris, ce
grand patchwork de poèmes, de chansons ou de mélodies déjà existantes ou
en chantier, que Léo parvient à rendre cohérent par sa narration, tombe
à point nommé pour "résoudre" l'apparente dispersion de son auteur,
dont il procède et dont il témoigne, ne serait-ce que par son
hétérogénéité génétique et l'enjeu d'écriture "cubiste" qui en
découle. En permettant à Léo de prendre possession de ses moyens : musicien, prosateur, collagiste...
Voici L'esprit de famille
On trouve trop peu de trace de l’œuvre sur le ouèbe.
C'est d'autant plus regrettable que dans cette pièce en 31 parties, on retrouve aussi les Frères Jacques, Suzanne Girard, Claire Leclerc (on reviendra sur son cas) Leïla Ben Sedira, Léo Noël, Marek Sliven et le Choeur Raymond Saint-Paul.
Tous les textes sont de Ferré exceptés trois de François Villon (Frères humains) et de Jamblan (C'est la fille du pirate et Les Douze). Plusieurs titres seront ultérieurement chantés par le poète monégasque.
Un autre titre trouvable sous le titre trompeur de Sacs
Une singularité pour finir, un reprise par Breakestra sous le titre Burgundy Blues
* L'expression de sac et de cordes aurait qualifié des soldats pillant les villes, ce qui pouvait les conduire à la pendaison. On attribue également son origine au règne de Charles VI durant lequel les rebelles bourguignons auraient été jetés par dessus les ponts enfermés dans des sacs
de toile clos par des cordes. Châtiment déjà fort prisé dans la Rome antique.
Antoine rencontre les Problèmes (Vogue LVLXS 82-30) 1966 est le troisième 33 tours de l'ex-facteur Pierre Antoine Muraccioli.
En réalité, ce 30 cm ne contient que deux chansons écrites et chantées par Antoine : Je dis ce que je pense, je fais ce que je veux (déjà évoquée) et les Contre élucubrations problématiques (voir ci-dessous). Tube voué aux variantes, Les élucubrations d'Antoine, sorties au début de la même année, avaient déjà accouché, non seulement du Cheveux longs, idées courtes de Johnny Halliday mais aussi à un EP de parodies de Jean Yanne (Les émancipations d'Alphonse, Les revendications d'Albert, Les pérégrinations d'Anselme, Les préoccupations d'Antime). Le filon est donc copieusement exploité.
Pour le reste, ce disque est l'unique album de ce groupe de garage rhythm' n blues à la française, Les Problèmes.
À noter, en ce qui concerne la Ballade à Luis Rego, prisonnier politique, que comme des milliers de ses compatriotes, le guitariste portugais, se sentant peu de goût pour la guerre coloniale, avait quitté son pays en "oubliant" de partir à l'armée. Mal lui en prit d'être allé visiter la famille : il passera quelques mois à l'ombre des geôles salazaristes. Il est de ce fait, absent du disque.
On ne regrette pas tant une production quelque peu variétoche (la voix
de Rinaldi mise en avant) que l'éternelle malédiction du rock français qui fit
dégénérer ces jeunes gens prometteurs (Gérard Rinaldi, Gérard Filippelli, Jean Sarrus, Jean-Guy Fechner et Luis Rego) en groupe potache tout public sous
le nom des Charlots dès 1966. Reste un honnête disque de rock aux guitares furieuses et à la basse aspirante qui, une fois encore fait démentir la théorie comme quoi, à l'époque, cette musique était ici inadaptable. Comme on l'a dit ailleurs, ça ne déparerait pas les compils de petits groupes bordéliques des années soixante qui ont fleuri depuis.
Mais trêve de cuistrerie, le rappel de cet album n'était qu'un prétexte à présenter Contre élucubrations problématiques mises en scène par Jean-Christophe Averty le 13 juin 1966. À vos caffettes !
Contrairement à nos habitudes, voici un peu de free jazz déclamatoire.
Mobilisation Générale est une compilation de protest-jazz réunissant des titres plus ou moins oubliés et enregistrés entre 1970 et 1976 sortie chez les infatigables fouineurs de Born Bad Records.
C'était le temps où l'Art Ensemble of Chicago tournait en France et accompagnait Brigitte Fontaine sur Comme à la radio. On y retrouve aussi le duo Fontaine / Areski sur leur tube C'est normal. Les autres sont soit de vieilles connaissances, comme Archie Shepp, soit des plus obscurs : Michel Roques, Pharaoh Sanders, Alfred Panou, Béatrice Arnac...
Quinze ans avant l'anarcho-punk, on posait un tapis musical y pour balancer des textes allant d'une incontestable poésie à une pure lecture de tracts, inspirant au passage quelques-uns des groupes de rock les teigneux du moment (MC5, Rocket from the tomb..)
Il s'agit certes de free jazz mais ça annonce bien des genres qui ne seront populaires que bien plus tard, à commencer par l'afro beat qui ne deviendra rentable, pour les maisons de disque, qu'avec la diffusion de Fela Anikulapo Kuti.
Typiquement représentatif, Attention l'armée, joué et amélioré par le
Collectif Le Temps des Cerises depuis 1969. Sur ce titre Kirjuhel
(chant) Carlos Andreu (guitare), Jean-Jacques Avenel (contrebasse),
Philippe Castellin (textes), Antoine Cuvelier (trombonne), Denis
Levaillant et Christian Ville (percus), Robert Lucien (batterie), Jean Méreu
(trompette), Super P4 (saxo). Atarpop 73 serait le nom des
graphistes.
Ce titre aurait été enregistré par Jean-Pierre Turola en 1975.
Entre 1969 et 1975, on était passé de l'hypothèse d'une intervention militaire en 1968 (suite à l'escapade de de Gaulle à Baden-Baden), à la lutte contre le camp militaire du Larzac (Hé toi, avec ton char qu'est ce que tu fous dans mon champ ?), aux comités de soldats, à l'essor des mouvements d'objecteurs et d'insoumis mais aussi au coup d'état au Chili ou à la révolution portugaise.
Un temps où l'institution militaire ne faisait pas vraiment rêver. Elle n'aurait alors pas eu l'idée de s'afficher sur des publicités et, malgré ou à cause du service militaire obligatoire, elle se faisait plus discrète. L'idée de s'engager, pour un jeune au chômage se concrétisait plutôt en Angleterre où la conscription ayant été supprimée en 1960. Là-bas, certains pauvres partaient servir de chair à canon en Irlande du Nord.
Autre exemple de ce rejet, Mahjun avec "Nous ouvrirons les casernes". Encore raté, le ministère en est à les revendre aux collectivités locales...
Pas facile de trouver des traces tangibles de Jacques Florencie.
On sait que les lettristes, d'aucun affirment qu'il s'agit de Debord lui-même, avaient réalisé quelques affiches décalées pour annoncer ses passages au cabaret La Méthode.
Talentueux amoureux de Bruant et Couté certes, mais il semble bien que ce bon gars n'ait laissé que deux galettes auto-produites (Florencie chante Bruant et Couté FLO 001 et Florencie chante Gaston Couté FLO 002 en 1983) en guise de postérité discographique.
Et lorsqu'on recherche sur internet, on peut commander un cd en appelant un numéro de téléphone qui n'est... plus attribué depuis quelque temps !
Question biographie, on va donc se contenter de reproduire ici celle concoctée par Chantal Willmann, qui semble-t-il, l'a bien connu.
Et pour le disque, on a fini par mettre la main sur le 33 tour Bruant / Couté. Un énorme merci au passage à qui se reconnaîtra.
Une fois la galette numérisée, y'a plus qu'à admirer le talent du gars en vous envoyant ici-même cette (hélas!) rareté faite de textes méconnus ou inédits.
Bio : Jacques
FLORENCIE, musicien, guitariste classique et flamenco, chanteur, compositeur de
musique contemporaine, a débuté en public dès 1955 dans de nombreux cabarets
rive gauche, le Cheval d'Or, le Manouche,le Mont Blanc, la Méthode, Chez
Moineau,etc. Il y interprétait alors des auteurs comme Aristide Bruant, Léo
Ferré, Apollinaire, Rimbaud Verlaine et Gaston Couté.
Il se sentait proche de Bruant, son arrière grand-mère ayant partagé avec ce
dernier le même banc d'école à Courtenay.
Par ailleurs, Flo avait tenu le rôle
d'Aristide Bruant dans un film réalisé par FR3 et consacré à la vie de ce
dernier.
Passionné des gens et de
l'authenticité, Florencie s'était très vite intéressé au parcours de
Gaston Couté et à ses œuvres dont il appréciait les textes. Il en avait mis
beaucoup en musique et en avait encore d'autres en chantier, mais il n'a
malheureusement pas pu terminer.
C'était un amoureux de la
langue française et en particulier de l'argot qu'il maniait avec brio, du
patois et de l'accent qu'il avait naturellement, souvenirs de l'enfance.
Il avait encore beaucoup de
choses à écrire, à dire et à chanter, forme d'expression qui
pour lui, l'humaniste, était un acte d'amour.
Chantal Willmann
Le disque FLO 001 ci-dessous est ici enregistré en deux fichiers Face 1 : L'Aumône de la bonne fille (Couté, Florencie) La Chandeleur (Couté, Florencie) Saint Lazare (Bruant) Le Grelotteux (Bruant) La Julie jolie (Couté, Florencie) L'enfermée (Couté, Florencie)
Face 2 : Petit porcher (Couté, Florencie) À Saint-Ouen (Bruant) Place Maubert (Bruant) La complainte des trois roses (Couté, Florencie) Le Fossoyeur (Bruant) À La Bastoche (Bruant) La casseuse de sabots (Couté, Florencie)
En attendant qu'on finisse de faire fonctionner ce bouzin, vous pouvez avoir la Face 1 sur ce lien et la Face 2 sur celui-ci.
On tâche de faire mieux...
Extrait des notes de pochette de Raymond Cousse : La qualité première de la musique de Jacques Florencie est sa simplicité. Une simplicité voulue, étudiée, qu'il oppose aux ghettos culturels. (...) Parce qu'il refuse à la fois le show-business de la variété débile et le sectarisme d'une avant-garde prétentieuse, il se situe au confluent de musiques réputées irréconciliables. (...) Ce parti pris de dépouillement, de refus des effets, nous le retrouvons dans le récital consacré à Bruant et Couté. (...) Au total, il s'agit moins d'un spectacle au sens conventionnel du terme que d'une petite cérémonie dédiée à l'amitié, à la fraternité.
Après sa "série" sur Aragon, Léo Ferré s'est attaqué à la mise en musique de Rimbaud en 1964.
Il avait d'abord abordé Verlaine, avec lequel il semblait nettement plus à l'aise.
Il aura en effet, réalisé 24 poèmes de ce dernier pour 13 de Rimbaud.
Le disque sortit en 1964.
Il s'est ensuite attelé à "Une saison en enfer" qu'il n’achèvera qu'en 1991.
En 1985, Ferré avait tenté un album entier sur Rimbaud avec Le sonnet du trou du cul, Voyelles, On n'est pas sérieux quand on a 17 ans et La Maline.
Ce projet ne se concrétisera qu'en concert, lors de tournée de 1986, "Léo Ferré chante les poètes".
Le matériel studio sera tout de même utilisé, mêlé à du Baudelaire, Appolinaire, Verlaine sur les disques "On n'est pas sérieux quand on a 17 ans" (1986) et "Les vieux copains" (1990)
Un beau titre de l'album de 1964 : Les poètes de sept ans.
Et une étude à l'état de maquette, à la limite du juste, des Mains de Jeanne-Marie
Les références de cet article sont en grande partie tirées des notes de pochette du disque "Maudits soient-ils!" (la Mémoire et la Mer 10 016/17)
On vous a longuement causé de ce disque mythique.
Pour le coup, cet album n'a jamais été édité en cd.
C'était en avril 2013 et les notes sont disponibles ici même.
Notre allié, George, avait publié l'intégralité du disque sur son blog
Ledit blog étant victime d'un site de stockage, on reprend donc le collier pour rétablir l'écoute perdue de ce chef d’œuvre chanté par Jacques Marchais mis en musique par M. Villard.
L'hébergeur nous ayant viré, on peut déjà choper la face 1 à cette adresse. La face 2 est accessible là ... en attendant mieux.
Au sommaire :
A1 Bifton aux potes (1897 anonyme) A2 Ma tête ( Gaston Secretan) A3 Jean Fagot (Miet) / la valse des monte-en-l'air (Daris, Ronn, Daniderff) A4 À la Santoche (1907 anonyme) A5 Chanson des pègres (Abadie 1855 / Philippe Clément 1879 selon les versions)
B6 Le ruban (Leca 1901) B7 Un chat qui miaule ( Zwingel, Pisanti) B8 Raccourci (1900 anonyme) B9 Marche des cambrioleurs (Daris, Berger) B10 Monte à regret (Desforges, Gueteville) B11 Chant d'apaches (A. Bruant)
Le Bestiaire de Paris*, long poème en alexandrins de Bernard Dimey, est sans doute une des oeuvres les plus ambitieuses du chansonnier. Il en existe deux versions.
La première fut enregistrée en 1962 et interprétée par Juliette Greco et Pierre Brasseur (il faudra attendre 1995 pour que ce chef d'oeuvre soit enfin édité !). La seconde le fut en 1974 avec Marcel Mouloudji, Magali Noël et Dimey lui même comme récitants. La musique est de Francis Lai (le fameux futur compositeur de musique de films) qui, tout juste débarqué de Nice et louant un appartement au-dessus du Pichet du tertre,s'était lié d'amitié avec Dimey. Dimey s'était fixé au Pichet**en 1958 (comme il se fixera plus tard, pas bien loin de là, au Gerpil, voir ici) quelques temps après sa "montée" à Paris (le bougre venait de Haute-Marne et avait vivoté quelques temps à Troyes).
Le Pichet géré par un certain Oberto Attilio fait déjà figure de relief de la grande tradition cabaretière montmartroise, sur une butte déjà salement carte-postalisée. L'endroit fait à la fois office de galerie de peinture et de cabaret accueillant les jeunes premiers : le lieu devînt incontournable et on pouvait y croiser entre autres : Brel, Mouloudji, Monique Morelli, Cora Vaucaire, Nougaro, Pierre Barouh, René-Louis Lafforgue, Catherine Sauvage, Guy Béart, Aznavour, Michel Simon, Serrault et Poiret, Jean Yanne...!!
Greco et l'artiste en jeune homme imberbe
On pourra écouter avec profit ici la version quelque peu sarcastique que Dimey donne de l'émulation artistique qui régnait dans la fameuse (fumeuse ?) taverne...
Dimey et Lai composèrent des dizaines d'autres chansons au Pichet : " Bernard avait une faculté d’écrire à
une vitesse incroyable. Au Pichet on a passé des nuits
invraisemblables pendant lesquelles le challenge était d’écrire
le plus de chansons possibles..." ***
Mais revenons au Bestiaire...
" Le Bestiaire, se souvient Francis Lai, c’était notre récréation au Pichet, on se
mettait au fond dans une petite salle réservée pour nous ; et, là,
tous les soirs Bernard Dimey déclamait ses quatrains sur Paris ;
je jouais derrière, improvisant la plupart du temps ; le Bestiaire
est né comme ça au fur et à mesure."
" Au bout de deux ou trois mois,
confie Francis Lai, il y avait une musique qui s’était composée par
l’improvisation mais qui collait au texte. "
Quant à Dimey, il se rappelait : " À l’origine, le Bestiaire devait être un
livre orné de gravures d’un peintre aux dons éblouissants,
Jean-Claude Dragomir. Hélas, il n’a pas su m’attendre ; il est
allé s’éclater la tête sur une route de banlieue. J’ai su que
notre livre ne se ferait jamais ; alors le soir à Montmartre entre
deux verres, j’en disais de longs extraits à mes amis du Pichet du
tertre ou d’ailleurs… Francis Lai prenait un accordéon et
m’accompagnait « à la feuille » laissant glisser sa mélodie
sous les mots avec le génie subtil qu’il détient sans le savoir ". Rue Saint-Vincent par Dragomir.
Le Bestiaire**** brasse déjà les thèmes de prédilection de Dimey : le monde interlope de la nuit, sa voyoucratie, l'alcool et les débits de boisson, les prostituées et les travelos, la religion, la mort, et par dessus tout la disparition d'un certain monde et la dérive dans ces ruines.
Mais trêve de palabre, quand on a rien à dire...
Voici les deux versions du Bestiaire. Quant à nous, nous avons une petite préférence pour la version Brasseur/Gréco qui sonne plus sépulcrale encore...
*Ce texte n'est que la synthèse des belles recherches effectuées par Francis Couvreux accompagnant le disque Bernard Dimey et ses premiers interprètes (1959-1961), publié chez Frémeaux et associés. Même s'il n'est pas dans l'habitude de ce site de renvoyer vers des liens commerciaux, on ne peut être qu'espanté par le travail effectué par Frémeaux... leur catalogue est insondable.
** C'est ce même Pichet qu'un groupuscule néo-fasciste aidé de commerçants du quartier tenta de "sauver" d'une transformation annoncée. L'enseigne de fast food Starbuck avait en effet jeté son dévolu sur l'endroit. Les médias nationaux se firent largement l'écho de cette brillante initiative; on se demande bien pourquoi...
Bien évidemment, ces gens-là ne voit pas que l'identité qu'ils défendent n'existe plus depuis bien longtemps déjà et que Montmartre comme l'idée qu'ils se font du populo parisien n'est plus qu'une coquille vide. On ne doute pas que ce qui se servait dans feu ce Pichet devait être la même piquette mondialiséeque n'importe où, quelle que soit l'enseigne...
Bien sûr , ces tarés accusent le cosmopolitisme, concept vague et creux mais bel et bien raciste. Il ne leur viendra jamais à l'esprit que ce qui a tué l'âme de Paris (car oui il y en avait une, comme des campagnes françaises par ailleurs...) ce sont peut-être au hasard et entre autres choses, la place nette faite aux voitures, la vogue du tourisme, l'urbanisme et les diverses politiques de la ville qui ont littéralement vidé Paris de ses habitants pour les parquer à la marge, dans des clapiers.
Bon, ça a toujours été une caractéristique du fascisme de brandir des symboles plutôt que de parler de la réalité. Laissons là ces imbéciles.
*** Interview de Francis Lai par Francis Couvreux.
**** Des bestiaires à proprement parler, on en trouve à foison dans l'oeuvre de Dimey. On pense notamment au Bestiaire d'autre part dans Sable et Cendre (éditions Christian Pirot). Ou en musique, à L'hippopotame, à Je ressemble aux poissons... et au Zoo interprété ici par Jehan sur l'album Divin Dimey.
On y a déjà fait allusion au chapitre "Pour en finir avec le travail" mais on se permet d'insister.
J'ai personnellement connu ce merveilleux disque grâce à la BD de Frank et Golo, Ballade pour un voyou, où elle est abondamment citée et puis grâce au cd qui accompagnait le livre "Au pied du Mur" (765 raisons d'en finir avec toutes les prisons) paru chez l'Insomniaque.
C'est donc l'ami Jacques Marchais qui interprétera, de sa belle voix grave, ces magnifiques chansons qui vont du milieu du XIXème siècle jusqu'à la Belle Epoque (juste avant que Bonnot et ses potes ne viennent mettre un peu de sérieux là-dedans)
Né le 1er août 1935 à Tours, Jacques Marchais, fut successivement comédien, poète, musicien, chanteur, passant de Ronsard à Le Glou et Bruant.
Il a commencé à chanter à La Colombe comme tant d’autres ( Raymond Lévesque, Pia Colombo, etc.). Il obtiendra à plusieurs reprises le grand prix de l'Académie Charles Cros et fera de nombreuses tournées en Europe et aux Etats-Unis et fut une figure marquante de Saint Germain-des- Prés au cours des années 60, un des piliers du cabaret « La Contrescarpe». En 1973, Jacques Marchais enregistrera un disque de treize chansons du poète de Natashquam, Gilles Vigneault.
Il est mort en 2006 et nul n’a malheureusement, repris ou réédité, son imposante discographie.
A part quelques chansons de chansonniers démagos (comme Bruant) on découvre dans le disque : "Bifton aux potes", écrite en 1897 par le détenu Blaise, incarcéré à la Santé et reprise dans le cd de l'Insomniaque sous le titre "La dernière babillarde". "La Chanson de Jean Fagot" (ou la chanson du transporté) écrite par le bagnard Miet vers 1912 reprise par Dan et Pat (Patrick Denain, très honorable interprète de Mac Orlan). "A la Santoche", de 1907, écrite par un détenu anonyme – la prison de la Santé remplaçant celle de Mazas, démolie en 1900. "La Chanson des pègres" , écrite à la Grande Roquette par le prisonnier Abadie, dit le Troubadour, aux alentours de 1850. Une autre version par le détenu Clément qui en a détourné quelques vers afin de raconter sa propre histoire en 1879. Reprise par les Modest Lovers (voir lien à droite sur le site garagemoderne records) "Sur le ruban" fut écrite par Leca et publiée dans les Mémoires d’Amélie Hélie, la fameuse Casque d’Or, en 1902 réeditées il y a peu. Quant à"Raccourci", elle aurait été écrite en 1900 à la prison de Fresnes par un détenu anonyme.
Comme il est frustrant de ne pas mettre de chansons, vous pouvez les retrouver chez notre très honorable collègue là :
"Les gouvernants érigent en loi ce qui leur sert. Le droit n'est rien d'autre que l'intérêt du plus puissant. Seuls les déments croient aux lois, l'homme illustre connait leur peu de valeur." (Platon)
Précision et réparation d'un oubli :
George Wilhem Ferdydurke Weaver nous communique
Je viens de lire votre bel hommage à l'injustement méconnu Jacques
Marchais et me permets de vous signaler que j'avais également proposé
sur mon blogue l'intégrale du disque "La Belle" qui accompagne le livre
de L'Insomniaque : http://lexomaniaque.blogspot.fr/2011/10/la-belle.html
Voilà, c'est rectifié. Merci à toi l'ami.