Toulouse, 23 mars 2023, 6h30 du matin. Des barrages filtrants ou enflammés sont en place aux entrées Sud, Ouest, Nord (à l'est rien de nouveau). Mention spéciale au barrage enflammé sur le périphérique ouest qui provoqua le plus monstrueux embouteillage de l'année.
L'intervention de la BAC sur la zone industrielle de Sesquières, au nord, a tout de même abouti sur une quinzaine d'arrestations. Ce qui est un peu cher payé. Ambiance...
Dans la région, les barrages sont en place à Auch, Montauban, Albi, Tarbes, Foix.....
16h30, la tête de la manifestation partie de St Cyprien à 15h (30 000 selon les flics, 100 000 selon la CGT) arrive en plein centre-ville à la place Jeanne d'Arc.
Cette tête de cortège est formée de non syndiqués, reste de GJ, jeunes et vieux gens en noir et tout ce qui refuse de défiler derrière un SO en général.
Présence policière massive et les pelotons de la BAc viennent coller aux manifestants.
À l'entrée de la rue Denfert-Rochereau tombent première grenades destinées à diviser ce groupe de tête de la manif syndicale. C'est là que le miracle se produit : au lieu de se disperser sous les gaz, sa majesté la foule (King mob chez les Brits) réplique, s'enflamme, se bat, se défait pour se reformer derrière les poulets, se fluidifie, élève des barricades, chante, se marre, abat les pauvres vitrines des banques, agences immobilières et d'intérim. Pendant trois heures, les boulevards toulousains seront un incessant jeu de chat et souris avec deux escadrons de CRS munis de deux canons à eau, effectuant des aller/retours Jaurés / Arnaud Bernard sans arriver à disperser qui que ce soit vu que les rues alentour flambent et que SM la foule les attaque régulièrement dans le dos.
La scène du jour : un groupe d'une douzaine de baqueux charge au kiosque de presse de Jeanne d'Arc pour appréhender un gars. Toute la rue à leur droite fait demi-tour pour leur tomber dessus à bras raccourci, à coup de projectiles, de tabourets de bar, de parasols et les cow-boys fuient en emportant deux blessés chez eux. Sous le regard, 100 mètres plus loin, d'une escouade de CRS qui ne lève pas le petit doigt pour secourir des collègues qu'ils haïssent cordialement.
Notons pour les crétins ou francs salauds faisant la différence entre bons et mauvais manifestants qu'il y a là des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes, des lycéens, des chasubles syndicales, des fainéants, des travailleurs, en somme un bon nombre de lapins ayant décidé de devenir chasseurs, pour voir l'effet que ça fait.
À part les boulevards, les troubles s'étendent au secteur Capitole, Esquirol, Saint Pierre, Matabiau.
Pause musicale avec tube immortel et en play-back (1978)
Les graffitis fleurissent.
(La foule triomphera, Consommez local, bouffez vos flics, 1312, etc.)
Le côté rigolard s'exprime dans les chants, les slogans : Il fait beau, il fait chaud, sortez les canons à eau ! Ou on voit des milliers de gens reculer face à une charge en chantant On vous a niqué ! avant de se reformer au cul de la charge. Une rumeur court sur les grévistes d'Enedis ayant coupé le jus sur les quartiers concernés et, de ce fait, les caméras de surveillance. Qu'en est-il vraiment, on va pas tarder à être fixés. À la tombée de la nuit, la ville est illuminée de brasiers. Dans la pénombre d'un éclairage public déficient, entre deux incendies, des jeunes gens dansent au son d'un accordéon sur une place libérée. Bilan de la journée : la peur, cette sainte trouille par laquelle on prétend tenir la foule s'est envolée. On dirait même qu'elle a sauté dans la tranchée d'en face.
Comme un printemps avec un millier de 19 juillet. Esprit du feu, ne nous abandonne jamais !
Selon Aki Kaurismäki, c'est notre "trésor national", pour Eric Burdon qui s'y connaît, c'est une des cinq voix du rock, Lemmy Kilminster, avare en compliments, ne tarissait pas d'éloges à son sujet, pour Jean-Bernard Pouy, c'est Marguerite Duras avec un cuir. Il est donc temps, ici de rendre justice à notre grand ancêtre et à sa chère ville du Havre qui ne se limite pas à son triste maire. Oyez brave gens voici la saga de Robert "Libero" Piazza, mieux connu comme Little Bob.
Né en 1945 à Alexandrie, il hérita du surnom de son père (Libero signifie "l'anar") un prolo qui débarque au Havre en 1958. Comme tout bon gamin de la classe ouvrière, petit Robert débute comme grouillot d'usine non sans squatter les micros en amateur dès 1966. En 1974, bye bye turbin, le gars monte son premier groupe Little Bob Story, avec le beau Guy Georges Grémy (guitare) le balèze Barbe noire (basse) et Mino Quertier au marteau-piqueur.
Et c'est parti pour 11 ans de tournées à fond les manettes. Ce qui aurait épuisé n'importe quel être humain doué de santé mais pas la boule d'énergie qu'est Bob. Vu leur position géographique, ils font des sauts outre-Channel et signent chez Chiswick en plaine explosion punk. En quatre ans, on a fait 350 concerts en Grande-Bretagne mais il a
fallu affronter un public qui ne nous connaissait pas. Dès le départ,
ça a été la bagarre pour se faire accepter.
Leur premier 45 tour est un hommage très personnel aux Animals et au maître Burdon:Don't let me be misunderstood. Malgré une musique plus assimilable au pub rock, ils jouent aux deux festivals punk de Mont de Marsan (1976 et 1977) sortant un brillant premier album dès 1975 comprenant au passage, un hymne à notre bonne ville (Nougaro enfoncé !) et son titre, le très inspiré par le MC5 High Time, icien concert.
Tournant comme des forcenés, reconnus par leurs pairs mais privés du moindre passage à la radio LBS écoule honorablement ses albums mais voit sa carrière systématiquement sabotée par le label RCA (tournée conjointe avec... Ange ! pochette immonde de Come see me qui semble destinée aux routiers les plus bas du bulbe...). Même au fin fond de nos cambrousses, faut vraiment avoir été sourd, aveugle et cul-de-jatte pour avoir échappé aux concerts chaleureux des Havrais.
Mais cet homme délicieux le raconte mieux dans cet entretien à Télérama
Quand notre Stakhanov des trois accords sacrés n'est pas accompagné par ses complices, on a parfois la chance de l'écouter dans son numéro de bluesman, seul au piano dans des bistrots à son image, c'est à dire accueillants et grands comme des mouchoirs de poche.
En 1988, après 10 disques, le combo jette l'éponge et Bob sonne le rappel de ses multiples relations pour persister à jouer en solo tout la décennie suivante.Cet homme ne sait pas rester en place.
Un hommage à ses racines : Vivere, sperare (marrant, pour un mec qui n'a jamais voulu chanter en français).
Avec Mimie, son amoureuse, il joue son propre rôle dans Le Havre d'Aki Kaurismaki, film moyen qu'il sauve du naufrage par sa prestation. Myriam est morte en 2001 et notre gars soigne sa douleur en écumant les scènes en compagnie de son nouveau groupe, les Blues Bastards, montés en 2012.
Désormais, vu ce que le monde du show-biz lui a rapporté, il s'auto-produit intégralement.
Éternel franc-tireur du rock hexagonal, il aura échappé à l'usine et vécu selon ses désirs. Il n'est nullement aigri par une carrière en demie-teinte. Comme disait le père Strummer "La différence entre une star et une légende, c'est qu'une légende n'a pas un rond". Little Bob préfère en rire.
Salut à toi, on te souhaite longue vie et de nombreuses rencontres.
On vous recommande chaudement le docu de Gilbert Carsoux et Laurent Jézéquel qui lui est consacré : Rockin' class hero qui, malgré une forme très classique, rend le personnage encore plus attachant.
On revoit beaucoup de vieux amis ces temps-ci, surtout le samedi.
Mais ce dimanche 3, on est allé retrouver le meilleur ami du rocker, notre dernier trésor national vivant, monsieur Roberto "Libero" Piazza, alias Little Bob.
Quand on songe qu'on a du le voir la première fois autour de 1980, ça donne une idée de la longévité du bonhomme.
Il a vieilli, nous aussi au passage, mais la voix est intacte, les yeux toujours aussi vifs, le regard bienveillant, chaque geste empreint de simplicité et de complicité. Il est heureux d'être là, quoi.
Et son "nouveau" groupe (depuis 2012), les Blues bastards lui sied à merveille : Bertrand Coulome en contrebassiste inspiré, Gilles Mallet à la guitare moulinette, Jérémie Piazza, neveu du Bob et batteur efficace et enfin, Mickey Blow, de Saint Ouen, ci-devant harmoniciste des Stunners (1979-1985) mémorable groupe de pub rock banlieusard, des Belleville Cats ou de Johnny Thunders.
Petit Robert a cavalé deux heures, nous assénant nouveaux morceaux et classiques (y'a qu'à puiser dit-il) dont l'inévitable Riot in Toulouse qui connaît une nouvelle jeunesse dans nos rues, le swamp Lost Territories, Libero, la chanson en l'honneur de son père, ouvrier italien anarchiste atterri au Havre, ( celle que Kaurismaki a foutu dans son film. Mon vieux m'a toujours exigé d'être libre. Il l'était, je le suis).
Puis, il a achevé en balançant coup sur coup deux reprises de Little Richard à toutes blindes ! On avoue avoir furtivement craint que le camarade Piazza n'aille calancher sous l'effort, là-même, sur scène. Mais non il tient le coup et s'il vient un jour à lâcher la rampe, sa place est de toute façon réservée au paradis de la musique du diable, quelque part entre Robert Johnson et Eric Burdon (toujours là, lui aussi).
On lui laisse le dernier mot : Il paraît que je deviens culte. Moi j’ai pas bougé d’un iota. Je ne suis pas devenu riche, mais je fais ce que j’aime depuis 42 ans.
Extrait tiré du documentaire Rockin' class hero de Gilbert Carsoux et Laurent Jézéquel. Only liars, qui nous valut une diatribe au sujet des salauds qui gouvernent.
Ce samedi 1 décembre à 13 heures, il fallait être sourd, aveugle ou trotskiste pour ne pas comprendre que les affrontements allaient être inévitables.
Faut dire que la manifestation des gilets jaunes avait commencé sous de bons augures : une première prise de parole crachant sur les immigrés et l'intervenante est virée aussi sec sous les quolibets (ça ? L'extrême droite ?) des flics municipaux faisant ce qu'ils savent faire de mieux, c'est à dire emmerder un sdf, aussitôt ramenés à la raison (l'extrême droite, encore ?)
Et puis vers 14h, alors qu'une partie de la manif prétend se joindre au happening syndical qui tente de raccrocher les wagons, l'autre partie emprunte la rue Bayard dans l'intention d'aller bloquer la gare Matabiau.
C'est là que les flics ont tiré une quarantaine de grenades. Et c'est là qu'au lieu de reculer, la foule entame ce qu'on est bien forcé d'appeler une émeute.
Ce qui fut le plus remarquable, ce ne fut pas la froide détermination des protagonistes, l'absence de peur, le mépris le plus total pour les pratiques balisées des casseurs ordinaires (pas de vitrines cassées ou de magasins pillées, ça se passe juste entre eux et nous), le paradoxe de barricadiers chantant la Marseillaise pour entonner ensuite l'Internationale, non, ce qui fut le plus frappant, ce fut la gentillesse, la fraternité, la complicité entre ces parfaits inconnus qui ont résisté cinq heures durant à un torrent de grenades lacrymogènes, soufflantes, de désencerclement dans une joie contagieuse rendant ainsi son honneur à une ville qui était en voie de momification.
On ne rapporte là que ce qu'on a vu.
Et on cède la parole à monsieur Roberto Piazza du Havre. Encore merci Bob.
Bon d'accord, Robert Piazza (du Havre) n'a jamais chanté en français mais on a eu comme une envie d'évoquer l'épisode qui a conduit à ce fameux morceau de Little Bob Story.
Ceux qui se souviennent encore de l'organisateur KCP (ou KC Productions. Que les vrais noms de ces margoulins tombent dans l'oubli ! Comptez pas sur nous pour les rappeler ici) savent donc que ces deux fumiers possédaient le quasi monopole de l'organisation des concerts dans notre beau pays dans les années 1975-1980.
Leur Service d'Ordre était composé d'un heureux mélange de brutasses, improbables rejetons entre des affreux (les mercenaires à Bob Denard) et des Gardes mobiles. La courtoisie, en moins...
Du coup, le public de la bonne ville où "même les mémés aiment la castagne" décida purement et simplement d'enfoncer la ligne de tout groupe de vigiles présents aux portes des salles et d'auto-réduire les entrées à la modique somme de zéro franc (quitte à fabriquer de faux tickets à l'occase).
Et l'on vit les prestations de groupes aussi ravageurs que Ange, Chuck Berry, Status Quo, Magma ou Léo Ferré se transformer en batailles rangées avec la cavalerie arrivée en renfort sur la place Dupuy ou en bord de Garonne (ce qui valut plus d'un plongeon à certains).
En conséquence, tourneurs et autorités locales abandonnèrent la Ville Rose à son triste sort pour plus ou moins deux ans.
Ce qui fit la bonne fortune d'une discothèque gersoise, "Le Pied" et d'une autre tarnaise, "l'Enfer", situées toutes deux dans un rayon de 40 kilomètres de la pas encore métropole.
La période évoquée dans le fanzine Nineteen spécial Toulouse en 1985 (amis myopes, on peut cliquer sur l'image)
Un concert à la Salle de la piscine Nakache, le 27 et 28 mars 1980 avec La Souris Déglinguée, Diesel, Lili Drop, les Stilettos et l'inévitable Little Bob Story, quelques fauteuils cassés au théâtre du Taur au cours de deux soirées (Stiff Little Fingers, Lipstick) puis le recyclage d'un cinéma kung-fu / western du quartier St Cyprien, l'Éden, marqueront la fin progressive de l'ostracisme.
Même si il a tout de même mieux valu avoir un blouson bien épais pour fréquenter les concerts de rock pendant un certain temps. mais ça, c'était plutôt pour des raisons de guerres tribales et c'est une autre histoire...