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Eh bien, un jour les Allemands vont sans doute organiser le grand
supplice des Juifs – elle est trop dure, la vie qu’ils font au pays
d’Ukraine.
- Et que viennent faire les Juifs là-dedans ? demanda Voronnko.
- Ce qu’ils viennent faire là-dedans ? Mais c’est un des principes
fondamentaux, répondit l’instituteur. Les fascistes ont créé un bagne
européen, universel, et afin de maintenir les bagnards dans la
soumission, ils ont dressé une énorme échelle d’oppression. Les
Hollandais ont la vie plus dure que les Danois. Les Français vivent
moins bien que les Hollandais : les Tchèques moins bien que les Français. La vie des Grecs, Serbes, et puis Polonais est encore pire. Les Ukrainiens et les Russes sont placés encore plus bas. Ce sont là les
degrés de l’échelle du bagne. Et à la base de cette énorme prison à
multiples étages, c’est un précipice que les fascistes réservent aux
Juifs. Leur sort est appelé à semer l’épouvante dans tout l’immense
bagne européen, afin que le lot le plus terrible paraisse être un
bonheur en comparaison de celui des Juifs. (…) C’est là une simple
comptabilité de la sauvagerie, et non haine instinctive.
Vassili Grossman Carnets de guerre
Une passionnante présentation par Christian Ingrao de son livre, La promesse de l'Est
La grève continue. Et les manifestations où ça cavale aussi.
En hommage aux camarades cheminots et traminots. Une petite vidéo en allemand d'une de leurs dernières grèves.
Croyez-pas ce qu'on vous rabâche, les conflits sociaux existent bien outre-Rhin.
Et en yiddish, alors ?
En 1910, les ouvriers et de l'horlogerie de New-York, majoritairement juifs récemment immigrés, déclenchent la "Grande révolte": huit semaines de grève. Parallèlement, 20 000 travailleuses de la confection leur emboîtent le pas.
On écrit "travailleuses" car les protagonistes de cette shirtwaist strike étaient à 70% des femmes juives ou italiennes dont la plupart n'avaient pas 20 ans.
De cette lutte ouvrière demeure Der zig fun di klokmeyers (la lutte des horlogers) paroles de Morris Rund (lui-même membre du syndicat des boulangers). La musique est reprise du refrain américain populaire Take a Car.
Actuelle capitale de la Lituanie, Vilnius (anciennement Wilno ou Vilna selon qui en cause) était un grand centre intellectuel du judaïsme d'Europe centrale. Au point d'être surnommée "la Jérusalem de Lituanie". La communauté juive, d'environ 55 000 membres, y représentait plus de 28% de la population totale.
Pris au piège du souvenir d'une occupation allemande assez "correcte" lors de la première guerre mondiale et des pogroms menés par la soldatesque russe, une bonne partie des dizaines de milliers de juifs ne cherchèrent pas à passer en URSS lorsqu'il en était encore temps. Épaulés par une police supplétive, une population au mieux indifférente et l'aimable collaboration du groupe Nord de la Wechmacht, les sinistres Einsatzgruppen menèrent la liquidation des deux ghettos de la ville entre juillet 1941 et septembre 1943.
FPO à la libération de Vilnius (1944)
Mais cette région balte est restée également fameuse par le nombre de ses maquis, réfugiés dans les proches forêts dont certains étaient exclusivement formés de partisans juifs, hommes et femmes.
C'est d'un de ces maquis ou du ghetto que sortit le chant Zog nit kejnmol (Ne dis jamais, en yiddish זאג ניט קיין מאל ) qui deviendra l'hymne des résistants juifs de Pologne jusqu'en Ukraine. La mélodie vient du chant soviétique Ce ne sont pas des nuages mais l'orage (То не тучи — грозовые облака) écrit par Dimitri Prokrass en 1935.
Selon les sources, la paternité des paroles annonçant le soulèvement est généralement attribuée au partisan et poète Hirsch Glick et parfois à Shmerke Katsherginski, résistant également membre du FPO (Fareynikte Partizaner Organizatsye, Organisation Unifiée des Partisans) première organisation de guérilla juive montée à Vilnius en 1942, alliance de jeunes sionistes de gauche, bundistes ou communistes préfigurant les futurs détachements de partisans de Lakhva, Varsovie, etc.
D'un refus du fatalisme à l'affirmation Nous sommes (et serons donc toujours) là ! ce chant est devenu un classique du florilège antinazi qui a éclot dans toute une Europe sous la botte.
Traduction : Ne dis jamais que c’est ton denier chemin Malgré les cieux de plomb qui cachent le bleu du jour Car sonnera pour nous l’heure tant attendue Nos pas feront retentir ce cri : nous sommes là
Le soleil illuminera notre présent Les nuits noires disparaîtront avec l’ennemi Et si le soleil devait tarder à l’horizon Ce chant se transmettra comme un appel
Ce chant n’a pas été écrit avec
un crayon mais avec du sang Ce n’est pas le chant d’un oiseau en liberté : Un peuple entouré de murs qui s’écroulent l’a chanté, nagan* à la main
Du vert pays des palmiers jusqu’au pays des neiges
blanches Nous arrivons avec nos souffrances et nos douleurs Et là où est tombée la plus petite goutte de sang Jaillira notre héroïsme et notre courage
C’est pourquoi ne dis jamais que c’est ton dernier
chemin Malgré les cieux de plomb qui cachent le bleu du jour Car sonnera pour nous l’heure tant attendue Nos pas feront retentir ce cri : nous sommes là
Une version contemporaine par le groupe Cartouche, pas les Belges, non, les keupons de la bande à Géraldine
* Le nagan(t) est un revolver russe calibre 7.62 mm.