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jeudi 14 septembre 2017

La fausse disparition de Bob

Monsieur Bob en pleine activité
Comme auraient dit certains ancêtres, on devient terriblement résègue à déplorer et redéplorer la métamorphose de nos villes en zones piétonnes destinées au commerce de produits stupides, en cartes postales d'un musée consacré à la vulgarité ou en pensions temporaires pour touristes fortunés.
Et qu'on ne vienne pas nous sortir que ce genre de râlerie existant depuis Villon ou Louis Chevalier, nous ne serions juste que des ringards passéistes crasseux. D'abord, au vu de la modernité on voit pas où serait le problème, ensuite on ne peut que constater l'expulsion des classes populaires au plus loin des centre-villes, phénomène qui a pris toute son ampleur ces dernières trente ou quarante années.  
Amoureux du vieux Paris (comme du vieux Limoges, Toulouse, Nancy, etc.) on reste plongés dans la nostalgie du temps où les classes laborieuses ou dangereuses hantaient le ruban et où la langue verte le disputait aux néologismes locaux.
Côté Paname, outre le Chevalier, cité plus haut, on a toujours aimé traînailler dans les écrits de Jacques Yonnet (Rue des maléfices), Jean-Paul Clébert (Paris insolite) et, bien entendu Robert Giraud (Le vin des rues), monsieur Bob lui-même souvent mentionné dans ce blog.

Débutant sa carrière en résistance limousine, monté à Pantruche en 1944, dilettante forcené, flâneur émérite, érudit d'argot, amateur de jaja et de rencontres (certains de ses amis se nomment Albert Vidalie, les frères Prévert, Maximilien Vox, Fréhel, Alain Jessua ou Morelli) Bob (1921-1997) devint un des plus fins connaisseurs et chroniqueurs de la capitale d'après-guerre. Sans forcer le trait, car malgré une dèche récurrente, le Robert était un fainéant lumineux qui recyclait ses écrits sans la moindre honte. Voilà un homme qui n'a jamais été salarié sans avoir touché la moindre rente ou héritage.
Et un blog, celui d'Olivier Bailly, Le copain de Doisneau, prolonge ces mêmes bouquins en étant  un centre d'archive permanent à la portée de touzetoutes.
Or, il y a peu, nous avons d'abord constaté la disparition du lien vers cette œuvre recommandable de la colonne de droite de ce site.
Puis on s'est retrouvés face à l'absence de l'objet des moteurs de recherches, toute tentative menant à une annonce lapidaire : ce site a été archivé ou suspendu.
Alors ? Envolé le blogue ?
Pas tant que ça. Tel est l'objet de cet article destiné aux curieux, il reste un moyen d'accéder à cette mine dédiée au Paris de jadis en allant à ce lien : http://web.archive.org/web/20120505023912/http://robertgiraud.blog.lemonde.fr/

Bonne promenade dans le turbin de Bailly, c'était notre annonce de service public.
Pour arroser ça, on se remet la copine Fréhel dans À la dérive


mardi 13 mai 2014

Lendemains qui déchantent


GUEULE DE BOIS (avoir la)
  
    Malaise des lendemains d'ivresse. Syn : gueule d'acajou, capitonnée, cuirassée, de cuivre, G. d. B., en palissandre. On dit en se rasant qu'on rabote sa gueule de bois.

  • "- Moi j'ai un marteau-pilon dans le crâne !
         - Tu as la gueule de bois, c'est tout."
Ange Bastiani, Le grand embouteillage.

  • " J'me suis réveillé dans l'padoc du copain. Lui, il ronflait sur la descente de lit. J'avais la gueule en palissandre."
André Vers, Misère du matin.

Robert Giraud, L'argot des bistrots.


    Comme d'hab', on sait vu trop beau. Ce qui devait arriver, arriva.
Moralité : le compte est bon.
Plutôt que de poser un cautère sur une gueule de bois, on est aller voir dans  notre bibliothèque si y avait pas quelques pistes pour résoudre ce mal de tête croisé...
A coté du Giraud et du Bréviaire de la gueule de bois, on a trouvé ceci :
  


   Qui d'autre que le prince des hydropathes pouvait nous prodiguer quelques précieux conseils ?
On dit pas non plus qu'on va de suite repartir pour un Grand Métingue...

   Et puis, on est allé voir du côté du delta. "Passez moi le verre à carry on !" Nous, on voit pas mieux que la solution à Nathan Abshire.
 Mais on vous garanti pas non plus l'innocuité du breuvage vanté dans la vidéo...





dimanche 20 octobre 2013

Fréhel et Léon la Lune



Léon la Lune
 
Détour. Récemment a paru -aux éditions Le dilettante*- Le Peuple des berges de Robert Giraud, recueil de chroniques publiées dans l'hebdomadaire Qui ? Détective en 1956. Dans ce livre, on retrouve pas mal des personnages déjà croisés dans Le vin des rues, évoluant dans le monde interlope de la Mouffe, de la Maube et des quais de Seine. Clodos, margoulins, détrousseurs, verduriers, voleurs de chiens, de chats, de chèvres et autres braconniers de la Seine, bossant parfois aux Halles, resquillant plus sûrement, buvant du gros bleu toujours.
   On pourra peut-être s'offusquer de la fascination certaine dont les livres de Robert Giraud traitent de ce milieu de gueux, englués dans la misère la plus crasse. Mais ce serait mal comprendre le "propos" de Giraud. Il ne traite pas en sociologue, il ne dénonce pas cette misère révoltante pour y trouver des solutions idoines. Point d'assaisonnement prophylactique ou d'abbépierrisme ici.
   Point d'angélisme non plus. Giraud sait bien que ce bas peuple "paie d'une incommensurable misère une liberté toute relative".Un peuple de la marge assommé par le fatalisme d'une misère immémorielle mais capable de quelques coups d'éclats.
    Tout de même Giraud y va en copain, partage les "cheminées" de rouge et le bout de gras -ou de niglou- quand y a à briffer et les galères. Et nous conte par le menu les aléas de cette société qui n'est pas soumise à la folle marche du monde et aux assauts du moderne, c'est-à-dire la gestion toujours plus sophistiquée de ce qui résiste à la bureaucratie. Ce peuple refuse de vivre sous le joug du salariat et des conventions sociales putrides qui vont avec : et c'est bien cela qu'on ne lui pardonne pas.
    Ce qui intéresse Giraud, c'est de parler de cette engeance, de ses magouilles,ses rites, ses légendes, sa langue. Un monde dont Mac Orlan disait (si nos souvenirs ne nous trahissent pas) qu'il était à peu près le même en son temps qu'au temps de Villon. Et c'est sans doute la conscience que ce monde allait irrémédiablement disparaître qui fit que Giraud, Yonnet ou Clébert** livrèrent leurs écrits au tournant de cette modernité. Vinrent entre autres calamités la destruction des Halles, les constructions de périphériques automobiles et l'avènement de l'architecture fonctionnelle. Et Bercy devenait le siège de la pompe à phynance... Bref, ce qu'on a pu appeler le pompidolisme triomphant*** et qu'on pourrait résumer dans ses avatars passés et futurs en cimentisation du monde. Plus de place pour la débine et sa débrouille... Fini la Cour des Miracles.



    Tout de même on aimerait voir encore un de ces "Roi des clochards" se pavaner dans les rues de Paris ou des "Nénette" se balader sur le Pont Neuf dans son horrible accoutrement puant, fardée de mercurochrome, éructant un tas d'immondice à qui osait l'importuner. Les touristes se pâmeraient moins devant les charmes de Paris en présence d' existences aussi scandaleuses...

    Ce bas peuple disparut irrémédiablement avec sa propre ville. On a fait place nette : la misère est cachée, enfouie, les clodos harcelés par les assemblées de propriétaires, les rondes des flics, les mairies, les "maraudes" de la croix rouge : "Ne laissons personne au bord du chemin".



L'amiral, roi des clochards, sa reine Germaine, 
et leur bouffon, l'ancien clown Spinelly, Doisneau, 1953.

   Les armées du salut et leur hygiénisme tout militaire ont gagné ****  . il faut intégrer, soigner, sociabiliser les gueux même à leur corps défendant -du moins en surface- mais en fait bannir, mater, psychiatriser.... Et les braves gens de s'étonner que ces en-dehors refusent assistance d'un monde qu'ils ont toujours cherché à fuir parce car il les a trop cabossés. Les clodos se retrouvent seuls, ils ont froid, et le mobilier urbain leur fait mal au dos...
    Le travail est parachevé : les critiques mondains peuvent admirer le pittoresque des écrits de Giraud. Mais lui n'a jamais fait carrière.
    Reste plus qu'à fermer les derniers bistrots et la coupe sera pleine...


Robert Giraud et Léon la Lune au comptoir du Vieux chêne rue Mouffetard par G. Dudognon


Revenons-en à nos chansons. Donc Léon la Lune, immortalisé dans un film d'Alain Jessua, qu'on retrouve aussi, semble-t-il, dans Rue des maléfices sous le nom de l'Harmonica (nous n'avons pas cet excellent livre sous les yeux...), accompagna Fréhel lors de ses derniers concerts. Le fameux bal des tatoués organisé par Giraud et Mérindol dont nous avons déjà parlé ici.
Voici une autre version de ces derniers concerts, extraite donc du Peuple des Berges, où le père Léon tient le rôle principal :


   ...Et puis l'harmonica. C'est une musiquette de quatre sous, qu'il porte sans encombre dans une poche de son gilet. Elle lui suffit pour s'accorder quelques heures de rêve. Elle lui permet de régaler un quarteron de bons amis d'un concert improvisé à l'occasion. Quelquefois, Léon se hasarde à jouer un air ou deux dans un bistrot et il récolte quelques piécettes. Celles-ci transformées en verres de gros rouge, c'est encore du rêve et du bon temps que lui a procurés son harmonica...
   "J'ai jamais appris la musique, déclare fièrement Léon. Pourtant je joue tous les airs. Il me suffit de les avoir entendus une seule fois..."
    C'est vrai. Vous pouvez demander à Léon n'importe quelle rengaine. Comme par enchantement, le minuscule instrument jaillit de sa poche, brille un instant au creux de sa main, puis Léon semble l'avaler... Et, de derrière les deux mains jointes en coquille sur la bouche, le clochard laisse écouler en notes aigrelettes les "amours...toujours" des poésies du trottoir et du bal musette.
    D'ailleurs cet harmonica de gosse a valu son heure de célébrité à Léon, là-haut, place de la Contrescarpe. Il aime le rappeler.
    "Tiens, quand j'étais artiste, c'était la belle vie! ..."
    Et s'il devine un soupçon de scepticisme chez son interlocuteur, il s'enflamme :
    "Oui, artiste... Et comment ! J'étais "ensemble" avec Fréhel, dans un bal musette de la Contrescarpe. Je l'accompagnais..."
   C'était peu avant la mort de la grande artiste.
   Dans une misère noire, Fréhel terminait sa carrière, comme elle l'avait commencée soixante ans auparavant peut-être, en poussant la goualante dans un "musette". Ce n'était plus la gamine qu'on hissait sur une table, mais une pauvre vieille toute fripée, au corps douloureux, cassé, usé par la misère et trop de tentations de suicide - habillée en fille de la Halle : jupe noire plissée, socquettes rouges dans les pantoufles éculées. Mais la voix était restée la même.
    Quand elle disait à Léon "Vas-y, minet vert..." et que s'élevait la chanson banale et éternelle des amours de la rue, la salle chavirait. Tous, calicots en goguette, petites ouvrières trop jeunes pour avoir connu la Grande Fréhel, flambeurs, filles et maquereaux, tous, silencieux, écrasés, écoutaient la voix chaude, magnifique, vibrante de poésie.
    Fréhel savourait encore les applaudissements. On ne les lui marchandait pas. Pas de claque, pas de frime. C'était du sincère. Léon la Lune en prenait sa part.
    "Oui soupire-t-il, c'était le bon temps ! Quel succès on avait ! Il fallait que je rejoue, même quand elle avait fini son tour. Elle partait de bonne heure pour rentrer chez elle, là-bas, à Montmartre... Moi, je restais... Elle m'avait fait donner une belle musique toute neuve. On me l'a volée. J'ai pas eu de chance. Enfin, c'est la vie..."

  Léon la Lune rue Mouffetard, on aperçoit Giraud à l'arrière-plan

* De Giraud chez le même éditeur
Carrefour Buci
Faune et Flores argotiques
Les lumières du zinc
Paris, mon pote.

** Robert Giraud, Le vin des Rues
    Jean-Paul Clébert, Paris insolite
    Jacques Yonnet, Rue des Maléfices.

*** Voir Louis Chevalier, L'assassinat de Paris.     

**** Sur  l'armée du salut et le parcage des pauvres,  voir Jack London, Le peuple d' en bas et aussi Dans la dèche à Paris et à Londres de George Orwell.



Post scriptum. Vous trouverez par ailleurs sur ce blog même une interview poignante de Fréhel à l'époque de ses derniers concerts.

    Signalons encore une fois l'excellent blog d'Olivier Bailly, Le copain de Doisneau, consacré à Robert Giraud et à sa galaxie. Vous trouverez notamment de plus amples informations sur Léon la Lune,sur le film que Jessua lui consacra (qu'on aimerait bien visionner...à bon entendeur) ainsi qu'une troisième version de ces derniers concerts de Fréhel d'après les souvenirs de Giraud (encore!) et de son complice Pierre Mérindol.
    Bailly signe par ailleurs la préface du Peuple des berges ainsi qu'une biographie de Giraud, Monsieur Bob. Qu'il soit ici vivement remercié pour tout le boulot fourbi !
  
  


Fréhel, La rue sans nom

jeudi 4 octobre 2012

Fréhel au bal des tatoués




    "...Quelques mois avant sa mort, nous embauchâmes Fréhel la Grande pour venir chanter ses vieux succès. Le musette l'avait vue débuter momignarde sur une table où elle grimpait pour pousser ses goualantes, après elle faisait la quête.
     Entre ses deux époques de musette elle avait eu le temps de bouffer toute sa braise, quand elle vint chez nous elle était à la côte, et avait l'impression de se retrouver subito à la tête d'une nouvelle carrière. Ça lui plaisait. Pierre allait la cueillir chaque soir sur les pentes de Montmartre où elle créchait pour la ramener dans une invraisemblable voiture : un châssis et deux sièges. Sur la route les gens la reconnaissaient et criaient son nom, elle saluait de la main et passait comme une reine mère. Elle portait bien son âge qu'elle ne voulait avouer. Son corps usé, meurtri par trop de tentatives de suicides, était intouchable, il fallait faire très attention pour lui serrer la main. En pantoufles sur des socquettes de laine rouge, en jupe noire plissée de fille des Halles, poings sur les hanches, dans un coin de la piste elle regardait la salle puis se tournait vers l'accordéoniste.
- Vas-y, minet vert...
     Les conversations s'arrêtaient, tous les visages n'avaient plus qu'un objectif, celui de la chanteuse, les cigarettes brûlaient passives au bout des doigts pour être brusquement abandonnées lorsque, à la fin de la chanson, Fréhel stoppait la musique.
- Pour moi toute seule la dernière note...
Elle l'envoyait, sa dernière note, sous les applaudissements sans arrière-pensée de l'auditoire soufflé.
- Elle a toujours sa voix de vingt berges, y a pas d'histoire, pas une qui lui arrive à la cheville.
    Son tour terminé, Fréhel regagnait la table qui lui était réservée. Elle s'affalait sur la banquette et selon le jour commandait du champagne ou de la limonade.
- Viens faire un cochon.
    Le cochon est un jeu fort simple. Il se joue avec trois dés, une feuille de papier et un crayon. Chaque fois qu'il sort un as, on dessine une partie de l'animal en question... la tête, les oreilles, les yeux... jusqu'à  ce qu'il soit complet. Ensuite on rejoue pour le tuer. Chaque as sortant permet d'effacer une partie dessinée précédemment. Le premier qui a terminé est déclaré gagnant et commande une tournée.
    Fréhel gagnait toujours. Chaque cochon tué, elle se tournait vers le comptoir.
- Patron, une coupe c'est pour Bob...
    Les affaires marchaient trop bien pour ne pas attirer l'attention de quelques amis qui avaient une vieille histoire à régler avec Jo. Ils atterrirent une nuit, et l'entretien qu'ils eurent avec notre associé ne nous fut jamais communiqué. Après avoir fermé la boutique sans prévenir, Jo et Lolotte disparurent on ne sait comment."

Robert Giraud , Le vin des rues





    Pour en savoir plus sur les derniers concerts de Fréhel au Bal des tatoués, nous vous invitons à aller ici.
    Et plus généralement pour en savoir plus sur Robert Giraud, Doisneau, Jean-Paul Clébert, Jacques Yonnet et toute la faune de la Mouffe, de la Maube, des Halles et de la Contrescarpe dans l'après-guerre,  n'hésitez pas à compulser le blog très fouillé le copain de Doisneau consacré à Bob Giraud et à son univers.






Gabin et Fréhel, "La môme caoutchouc" dans "Coeur de lilas (1932)



Pour finir en beauté, Philippe Clay et Serge Gainsbourg nous chantent à l'ORTF une bien belle chanson qui rappelle ces temps oubliés. Les nippes avec...




Philippe Clay et Lucien Ginsburg "Accordéon"