Enregistrés à la radio en 1950, des airs de Mac Orlan chantés par Laure Diana accompagnée d'un accordéoniste, sont présentés par nos deux poètes, ci-devant montmartrois.
Ici, on nage dans la nostalgie du biffin (on disait alors assez peu bidasse) avec sa vérole, son cafard, ses cors aux pieds, ses aventures coloniales et les filles à soldat. Surtout les filles à soldat, d'ailleurs.
Ce troupeau servira de chair à canon en masse pendant les quatre années d'une guerre qui allait en finir avec les derniers débris de romantisme populaire pour annoncer un futurisme tout empreint d'acier et de gaz.
Pierre Mac Orlan, qui avait morflé d'une "bonne blessure" (celle qui vous renvoie dans votre foyer à peu près "intact") devant Péronne, lors de la bataille de la Somme en 1916, en savait quelque chose.
Les quelques habitués de ce blog connaissent déjà plusieurs de ces chansons mais l'interprétation de Laure Diana est parfois fort différente des habituelles.
Dans l'ordre, elle chante Bel-Abbès, La belle de Mai, Marie-Dominique, Fanny de Lannion, Nelly, Rose des bois.
Richard Anacréon, Pierre Mac Orlan, Marceau Verschueren et Francis Carco (Denise Colomb, 1949)
Dans un tout autre ordre de chose, l'année de merde continue : disparition la même semaine de Paul Tourenne (le plus petit de la bande) et de Sharon Jones. Y'a des jours comme ça où on aimerait que la faucheuse choisisse un peu mieux ses cibles.
Mac Orlan avec Juliette Gréco et Gilbert Roussel, chez lui, en 1964
Pierre Mac Orlan (né Pierre Dumarchey, 1882-1970) s'est d'abord lié d'amitié avec Gaston Couté au lycée d'Orléans. Adolescent, il a envoyé ses premiers textes à Aristide Bruant.
Celui-ci, avec son amabilité coutumière, lui conseillera d'acquérir d'abord un peu de bouteille.
Dès son arrivée à Paris, en 1899, il a gagné quatre sous en écrivant des couplets pour quelques interprètes de second ordre.
Sa fréquentation assidue du Lapin agileà Montmartre l'a poussé à persister dans l'écriture de chansons, généralement laissées telles qu'elles, sans musique, dans ses romans.
Extraits d'une entretien avec Max Croce en 1963 On remarquera à quel point l'anecdote sur "Le temps des cerises" et la Commune est fantaisiste. Tradition orale montmartroise ?
C'est à la fin des années quarante que, poussée par le succès des chansons de Prévert, la Radio Télévision Française a appelé divers poètes (Queneau, Soupault) pour écrire ses programmes.
Mac Orlan fut sollicité pour mener l'émission "La chanson de mes villes" puis "Souvenir de la nuit."
Ne trouvant pas suffisamment d’œuvres à son goût, il a donc décidé d'écrire la matière première du programme.
Présentation, en compagnie de Françis Carco, de ses chansons de soldats (1950). Ces six là sont chantée par Laure Diana, première à enregistrer du Mac Orlan sur 78 tours.
Anna-Marie Dubas (1894-1972, Paris-Paris)
Elle débute à 14 ans au théâtre de Grenelle avec une vraie popularité dans l'opérette. Mais, en 1926, quelques une de ses cordes vocales se font la malle, la privent d'une bonne partie de ses octaves.
Le musicologue Pierre Wolff lui fera tâter du folklore, puis un répertoire inspiré d'Yvette Guilbert dans des cabarets de Montmartre. Elle aura un certain bon goût dans le choix de ses auteurs (Carco, Rictus , Mac Orlan...)
Le concept "d'artiste totale" n'existait pas, mais dans ses tours "de chant", la Marie danse, chante, joue la
comédie, mime, intercale chansons réaliste et comiques, monologues,
chansons folkloriques, chansons pour enfants et mélodies classiques.
En 1932, elle inaugure la formule du récital à Bruxelles puis à Paris, au Théâtre des Champs-Élysées, l'année suivante : 35 chansons, sans micro. La môme Piaf va largement s'en inspirer. Colette la vénère. Son public l'adule.
Elle crée La Charlotte prie Notre-Dame (Jehan Rictus - 1934), "La java d'un sou"(Batell, Valray - 1935), Mon légionnaire (R. Asso, M. Monot - 1936)...
Bannie des ondes pendant la guerre pour cause d'origines juives, elle se verra obligée à prendre le large en Suisse pendant quatre ans alors que sa sœur et son neveu seront flingués par les nazis.
Elle remonte sur les planches en 1954 puis se retirera en 1958 à cause de la maladie de Parkinson : "J'ai payé trop cher : ce métier m'a tué".
Relativement oubliée, elle sera reprise par Édith Piaf, Patachou, Suzy Delair, Anny Cordie, Juliette Gréco, Anne Sylvestre, Sylvie Vartan, etc.
Elle a aussi deux films et six pièces de théâtre à son actif.
"Il pleut" (extrait de « Poèmes retrouvés » de Francis Carco )
Tiens ? Beretta au Petit Conservatoire de Mireille ? Voilà qui fait frémir... Surtout lorsqu'on se souvient que le gars en question était une moitiée du duo déconnant Daniel Beretta / Richard de Bordeaux qui mérite un article à lui tout seul (bientôt...). On peut retrouver la discographie de Valérie Ambroise sur ce site Ci-dessous le sieur Francis Carco ( une cinquantaine de "romans" et autres souvenirs plus ou moins fantaisistes à son actif ) On reviendra sur sa carrière d'auteur et de chanteur occasionnel prochainement.
Le Bal des Quatre-saisons, rue de Lappe, vers 1932, par Brassaï.
"Qu'est-ce que la java, cette quintessence du populo de Paris ? Dans Du bouge... au Conservatoire, Louis Péguri se moque des alphonses, de ces messieurs les souteneurs qui, après quelques tours de valse, le naturel reprenant le dessus, se refusaient à tout effort supplémentaire au grand dam de ces dames... Le patron du Rat mort à Pigalle, que Péguri ne cite pas, avait remarqué que la clientèle féminine prisait fort la mazurka Rosina*, que les habitués valsaient à petits pas entrecoupés. Aussi, dès que les ardeurs faiblissaient, le taulier réclamait Rosina à l'orchestre et, accent de là-bas à l'appui, demandait : "Alors cha va ? cha va?" Et, un beau matin, Paris apprit qu'une nouvelle danse était née, "une danse qui tenait de la valse mais avec un pas plus crapuleux, plus canaille.- Cha va! Cha va !.. Ainsi naquit d'une déformation du parler auvergnat le fameux pas de java". Une fois encore on se rend compte du goût prononcé de Louis Péguri pour le mythe.
L'origine du mot java est-elle réductible à cette historiette ? Au hasard d'une chanson écrite plus tard pour Fréhel, Soi-même java, Francis Carco semble apporter de l'eau au moulin de Péguri :
"Quand l' gros Gégèn'
Soi-même
S'amène au bal musette
A petits pas il danse la java
Et tout's les poul's
Comm' saoul's
Lui riboul'nt des mirettes
Mais question de plat il leur répond
Ça va ! va ! va ! va!"
Bref ! A défaut d'autre explication, tous s'en contentent. Dans Images secrètes deParis, en 1928, Pierre Mac Orlan consacre un beau chapitre à la java. Sur l'origine du mot, lui aussi n'avance qu'une hypothèse : "Cette danse fut consacrée par ceux que l'on appelait encore, il n'y a pas si longtemps, les apaches. Elle doit être un hommage à cet argot puéril que l'on nomme le javanais et qui n'est plus parlé que par des crétins incurables [sic!]." On le comprend, personne n'est en mesure de dire pourquoi la java s'appelle java. Il y a quelques années à Chamonix, un musicien d'origine rom avait une clé : dans une langue rom, dchjava est l'impératif d'un verbe signifiant aller. Donc "java" serait la transposition de dchjava, à savoir "vas-y". Pourquoi pas, d'autant que, dans Ils ont dansé le Rififi-Mémoires, Auguste Le Breton l'affirme : jadis, avec les Espagnols, les gitans étaient "les plus fins gambilleurs de la capitale."
Sur cette danse, Péguri ajoute pourtant, sans rien apporter de précis : "Quant à sa dénomination elle peut être aussi une conséquence du retour à Paris de certains trafiquants de la route de Buenos-Ayres (sic), ayant ramené le pas glissé du tango Milonga qui a un certain rapport avec la marche glissée du pas de la java primitive, en réalité une valse au ralenti et à mouvement décomposé. Par évolution, la vraie java est devenue une valse musette et la vieille mazurka des faubourgs comme Rosina est restée cette vraie java dont Maurice Yvain a écrit musicalement le prototype avec Une petite belotte (sic) [...]Le succès de ce pas nouveau est extraordinaire. On danse la java même dans le grand monde." Incorrigible Louis Péguri et ses idées de grandeur !... Cela étant, Philippe Krumm me le confirme, la java est bien une mazurka massacrée. Après la guerre, Carco voyait en elle une "mazurka faite d'emprunts à toutes les danses" et la comparait à la belote qui, à l'image de la java sa contemporaine, "se complique de manille, de poker et d'inventions déterminées". La petite belote**d'Yvain, belote et java associées, est une photographie parfaite d'un certain Paris des années vingt. Mais attention, André Warnod l'a attesté au Bal des Gravilliers, la java date d'avant 1914 !
Claude Dubois, La Bastoche, Une histoire du Paris populaire et criminel.
Concernant Claude Dubois, on pourra écouter ci dessous sa Nuit rêvée où l'on trouvera notamment une séquence sur le Balajo avec Francis Lemarque et Jo Privat en invités. Un grand merci à George qui nous a retrouvé cette archive.
Concernant Philippe Krumm, spécialiste de l'histoire de l'accordéon, cité dans le texte de Dubois, nous vous conseillons vivement d'aller consulter son papier très fouillé (et richement illustré) sur les bals musettes et la rue de Lappe. C'est ici .
* Pour ce faire une idée de cette mazurka, un extrait par un groupe italien