Commençons l'année par deux versions d'une chanson également aimables à nos oreilles, comme disait l'autre avant de se faire lourder.
Frédo de Bernard Dimey fut crée par les Frères Jacques. Hubert Degex, le compositeur n'est autre que le pianiste habituel du quatuor que l(on voit en action ci-dessous.
Remarquons que les frangins avaient "oublié" le dernier couplet originel, peut-être un poil trop osé pour l'époque.
A côté des requins de la finance Et des crabes du gouvernement, Tous ces tarés qui règnent en France A grand coup de gueule d’enterrement. A côté de toutes ces riches natures Qui nous égorgent à coup de grands mots ! A côté de toute cette pourriture Il était pas méchant Frédo !
Oubli rectifié dans une version réactualisée par Riki de la Butte aux Cailles avec Captain Simard et Justine Jérémie.
Mon côté punk est un collectif de musiciens fondé en 2003 par Mourad Musset, Olivier Leite,tous deux issus de La Rue Kétanou, Fathi Oulahci (décédé en 2015) du Théâtre du Fil, Karim Arab et deux vieilles connaissances Loic Lantoine et François Pierron, fils de Gérard.
Cette bande à géométrie variable, se formant au grès des occasions, on évoquera ici leurs débuts, plus précisément les deux premiers albums où le Lantoine ravi du bon gag, assurait le chant.
Avec la chanson qui donna son nom au groupe.
Et un titre de Bernard Dimey qui était habituellement récité par icelui mais qui supporte très bien un poil d'accompagnement musical.
Brève conversation entre deux petits truands de l'antique Jérusalem :
En 1993, JeHaN Cayrecastel monte à Paris. Il occupera trois ans d'affilée la scène du théâtre Montmartre-Galabru avec
uniquement des textes de Bernard Dimey.
Il en fait deux disques, Paroles de Dimey et Divin Dimey, en 1996 et 1998.
Claude Nougaro commente : La première fois que je l'ai entendu, il interprétait Bernard Dimey
et les mains encore chaudes de bravos, je me suis précipité vers sa
loge, de la reconnaissance plein les yeux. Dieu merci, la race
des grands interprètes, les Montand, les Piaf, les Mouloudji, n'est pas
éteinte. JeHaN s'avance sur la scène vivante de l'émotion et si le cœur
est le muscle de l'amour, ah ! que voilà un bel athlète !"
Ces deux-là s'offrent donc un duo sur cette jolie version de Si tu me payes un verre, mélancolique ode au bistrot du coin et à ses rencontres.
Que voulez-vous, on a toujours eu un faible pour les bars du lundi soir: on s'y voit entre habitués.
Qui de plus indiqué que Bernard Dimey pour clore une année déplorable ?
Pour ne rien vous cacher, on se sent assez en accord avec l'humeur manifestée dans ce Quand on n'a rien à dire.
C'est posé par-dessus l'air de Flambée montalbanaise de Marcel Azzola.
(...) Quand on n'a rien à dire, on parle du Mexique.
De l'Amérique du Nord où tous les gens sont fous.
Du Pape et du tiercé, des anti-alcooliques.
Du cancer des fumeurs ou des machines à sous. Des soldats, des curés, d' la musique militaire.
De la soupe à l'oignon, de l'île de la Cité.
Quand on n'a rien à dire et du mal à se taire, on arrive au sommet de l'imbécilité.
Voilà un trop long moment qu'on n'avait pas évoqué notre cher disparu, Jacques Marchais (1931-2006). Alors, en guise de respiration en cette époque de brutes, il nous revient chantant un Bernard Dimey aux accents courtois, morceau édité dans le 30 cm BAM C 432 "Récital n°2" ou dans le maxi 4 titres BAM EX 624 "Jacques Marchais chante"... Sortilèges avait également été chanté par Barbara. À la guitare, on entend Jacques Marchais et Jean-François Gaël, à la basse, François Rabbath. Merci à Dominique HMG pour cette pause.
Achtung ! Achtung ! Vu la riche programmation, l'émission radio du lundi 8 mai commencera à 17h30, qu'on se le dise ! (sur canalsud.net)
On savait déjà que Thierry "Cockran" Pelletier avait un joli brin de plume à ses heures.
Il ne manquait plus qu'à rencontrer le groupe dans lequel il chante, les Moonshiners.
Ce fut chose faite le 27 février dernier, à Toulouse et grâce à cette bande qui mouline à la sauce rockabilly des traditionnels, du gospel, du musette, du blues, on s'est bien marrés.
Voila des gaziers qui n'hésitent point à reprendre du Jeffrey Lee Pierce, un hymne digger de 1649 et même un inédit de... Bernard Dimey !
Sans oublier les chansons écrites par le Cockran.
Et comme ces bons bougres ont sorti un disque, on se fait une joie de vous en envoyer deux extraits : Prière pour aujourd'hui de Dimey
Et un Havre-Caumartin- Saint Lazare saupoudré d'images de la France à papa.
Et non, l'INA a l'a viré. Version sans images donc :
On était quelque part balancés entre l'univers de Kébra de la grande époque et du Margerin de ses débuts. Chouette soirée, revenez quand vous voulez les gars.
( adresse de la page Bernard Dimey d'où est tirée cette splendide photographie ndr)
peut-être serez vous intéressé par l’émission "Radioscopie" de Bernard Dimey;
Amitiés ♫
É. C.
(...)
Réponse : Estimé bienfaiteur, on se fait donc une joie de passer la rencontre radiophonique entre le gros Bernard et le père Chancel en 1978. Et on est toujours preneurs de toute documentation.
Et donc en prime, un poème :
qu'on peut agrandir en cliquant
Ce petit poème, on peut supposer qu'il a été écrit pour Yvette Cathiard ... (Ce n'est qu'une supposition personnelle)
Les
brouillons ont été retranscrits sur le site de ma copine Ysabelle,(...) vous y
trouverez une cinquantaine (voire plus) de textes connus, inconnus, rares
et inédits (et c'est pas fini !) :
Eliott se posa diverses questions au sujet d'une chanson de Bernard Dimey interprétée par l'ogre Raoul de Godeswarvelde.
Qui était l'artiste en question et qui étaient les trois accompagnateurs autour du cercueil ?
Diverses hypothèses, y compris les plus fantaisistes, furent avancées. Et voilà-t-il pas qu'un jour de septembre, anniversaire de putsch chilien et de rénovation sauvage à Manhattan, l'indispensable George Wilhem Ferdiduke nous transmet ce courrier, envoyé par un "Dimeylogue", à moins que ce soit par un "Raoulogue" (fatiguant d'écrire le nom du bled, à force)
Nous en reproduisons ici un extrait dudit courrier, sans oublier de louer l'intuition de Serge dans ladite émission :
Pour ce qui est de
la chanson "Adieu pour un artiste", Michel Célie
(producteur de Raoul de Godewarsvelde et de Bernard Dimey) m'a
confirmé ceci aujourd'hui au téléphone :
La chanson est une
narration/description, par anticipation, des funérailles de Raoul
de Godewarsvelde.
Le créateur de la
chanson (Raoul) y parle donc de lui-même et raconte le déroulement
de ses propres obsèques à travers les souvenirs qu'en ont gardé 3
amis nordistes (*) comme lui : Michel Célie, Pierre Célie (son
frère) et Robert Lefèvre (patron des Relations publiques du
journal La Voix du Nord), co-associés dans la création des disques
Déesse.
Un extrait du texte
de la chanson figure en épitaphe sur la tombe de Raoul (photo
jointe). La décision de le graver aurait été prise dès
l'enregistrement de la chanson en 1969.
M D
(*) Lecture
personnelle, Bernard Dimey s'attribue peut-être un rôle dans le
3ème couplet :
Moi, pour une fois,
j’ai fermé ma grande gueule
Tout comme Robert
et Michel et puis moi...
Voilà dons un mystère de résolu seulement seulement 10 mois après qu'il ait été soulevé. Tiens, on s'envoie encore une version, mais ce coup là par Valérie Mischler, autre interprète du gros Bernard.
* Rappelons que contrairement à Robert ou à Joseph, Raoul n'était pas ministre de Giscard d'Estaing.
Lorsqu'il ne jouait pas avec constance dans une tripotée de films pour le moins médiocres, Philippe Nicaud (1926-2009) chantait quelques chansons rigolotes, voire franchement coquines.
Il commit même un 33 tour, en 1961, "Chansons cu...rieuses" dont les paroles étaient de Bernard Dimey et la musique de Charles Aznavour.
Voici donc la joyeuse version d'une affaire de famille en exemple de cette polissonnerie :
Un film de Yvan Govar (1965) doté d'une distribution étonnante : Pierre Brasseur en flic (vraiment ?) cynique et fouineur, Michel Simon en balayeur toqué, Jean-Roger Caussimon et Catherine Sauvage en couple de grands bourgeois vicelards, sans oublier l'inoubliable Marcel Pérès en chef de gare.
L'argument est simple : une demi-douzaine de personnes attendent un train de nuit dans une gare autour de laquelle rode un maniaque tueur de femmes poursuivi par une horde de flics.
Tout ça donne un aimable suspense provincial qui se traîne quelque peu mais dont le sain principe est que personne n'est vraiment ce qu'il paraît être.
Accompagné de quelques mots d'auteurs de Dimey : " Depuis que les Allemands sont partis, il n'y a plus de savoir-vivre, plus de respect. Il ne nous reste rien." "Ah non. Il nous reste tout de même le satyre." Deux Heures a Tuerpar imineo
Après les effroyables affaires Cahuzac, Thévenoud (...ajouter les noms manquants à la liste), voilà qu'à leur tour M. et Mme Balkany ont à souffrir les rigueurs de l'administration fiscale. Sans compter les 60 tartuffes parlementaires aux prises avec nos héroïques gratte-papiers de la Direction générale des finances publiques, selon les dires du Canard Enchaîné...
Nous ne serions trop conseiller à M. et Mme Balkany de méditer cette belle fable de Bernard Dimey (qu'on vous remet ici pour l'occasion, toujours interprétée par Jehan Cayrecastel), si ces Messieurs Dames ont la patience d'aller jusqu'à la chute... Ce sont gens occupés... Histoire de continuer à valser...
Tiens, et puisque nous en sommes rendus aux cages, voici un autre Jehan (Jonas, à qui l'on doit l'immortel Flic de Paris )et son zoo de Vincennes . On pourrait, pour agrémenter la visite, ajouter au hasard, un fasciste cacochyme et un grand patron à l'ancienne, genre un Zemmour et un Margerie...Caramba ! Trop tard! Peut-être son cadavre aux fauves... encore faut-il que le fond de sauce rond-de-cuir-kérozène soit à leur goût...Les félins sont, eux, des animaux délicats...
Une réalisation de Jean-Christophe Averty en 1968.
L'étroite porte d'entrée de la maison de Michel Simon perce un grand mur borgne dans un coin paisible de Noisy-le-Grand. Michel vient nous ouvrir, son corps droit comme un I contraste avec l'affaissement de son visage. Ses yeux s'éclairent à la vue de Bernard.
Michel Simon à Noisy-le-Grand par Jean Mounicq
Nous le suivons dans une allée assombrie par la verdure qui forme une courte voûte ménageant juste notre passage. La végétation est serrée et inextricable, les arbres gigantesques n'ont pas connu de taille depuis trente ans. Les branches s'entremêlent, tissant leurs feuillages où l'espoir du ciel bleu a du mal à s'infiltrer. La maison se tapit dessous, captive et secrète, havre de paix et de mystère. La demeure de Blanche-Neige est habitée par un géant. Une large gaine de grillage rongé par le temps sort de la cave et étire son boyau mité jusqu'au toit. Devant mon étonnement, Michel m'explique que cet aménagement servait à ses singes. Pendant la guerre, un quart d'heure avant les alertes, ses chimpanzés quittaient la toiture pour cacher leur peur dans le sous-sol. La piscine délave son bleu dans un magma de feuilles brunâtres croupissant dans de l'eau de pluie devenue limoneuse. L'intérieur de la pièce où il nous reçoit me déconcerte, une statue de bois, habillée de lamelles de métal, représente un samouraï ; sa queue dressée sert de porte-manteau à mon blouson. Dans un coin, une belle Aphrodite en marbre nous invite à palper sa croupe voluptueuse. J'aime son désordre, mais où sont ses objets érotiques légendaires, ses godemichés pharaoniques ? Sans doute dans la pièce suivante, dans l'armoire normande, trésors au goût de soufre et de foutre parfumé.
Notre visite est un peu intéressée. Dimey souhaite que Michel enregistre son long poème du Bestiaire de Paris. Simon accepte à la condition incontournable que son amie y participe. Le rêve s'évanouit. Michel sort un billet de cinq cents francs d'une boîte à chaussures en carton et nous emmène au restaurant. Bernard est missionné par Bruno Coquatrix pour convaincre Michel Simon de passer à l'"Olympia". Michel hésitant se fait prier, nous nous quittons sur un demi-accord pour un dîner chez Coquatrix qui une semaine plus tard nous réunit dans son appartement. Nous sommes dimanche soir, attablés devant des plats recherchés. Simon ne veut pas manger, réclamant du lait, rien que du lait. Boudu a gagné, l'inquiétude parcourt tous les étages. Il y a ici les meilleurs champagnes mais de lait, point. Un restaurant voisin nous dépanne. Michel trempe ses moustaches dans le blanc nacré, pour l'"Olympia", c'est oui.
Au jour dit, la salle comble est saturée d'émotion. Michel Simon entre en scène, les spectateurs sont debout pour une ovation spontanée, les minutes se transforment en quart d'heure puis en trois quarts d'heure. La tendresse passionnée du public empêche Simon de chanter, lui brisant la voix. C'est cinquante ans de géniale carrière qui sont acclamés. Enfin, il commence, sa voix de rocaille impose le silence, sa fragilité fait taire le torrent, le charme opère. Quand Simon chante Mémère une larme scintille sur la joue de Dimey qui l'essuie furtivement, ému encore une fois d'entendre la plus belle chanson d'amour qu'il ait écrite.
Puisqu'il nous tend des perches, un petit clin d'oeil amical à notre camarade Lexomaniaque qui a publié sur son blogue l'excellent album de Mouloudji, chantant, déclamant, chevrotant Bernard Dimey : Poèmes voyous. Un extrait.
Tendresses, Tendrons,
Le gars Jehan sera en concert le 10 et 11 mai à 20H au bar asso Chez ta mère accompagné à l'alto par Priscille Paccoud. Entrée libre a priori.
Au programme, du Dimey pour sûr (dix mai...), et du Leprest - il a mis en musique quelques uns des textes de ces deux zigues- et bien d'autres belles choses.
Si on voit radiner vos trombines dans ces herbages, on aura le plaisir de lever le coude en votre compagnie.
Pour se faire une idée du set, on clique sur la vidéo en dessous. Un extrait, pas le plus gai mais pas le moins beau, de Divin Dimey, un album qu'on vous recommande chaleureusement.
On était déjà diablement ému d'avoir pu trouver une trace de Dimey au Gerpil (consultable sur ce blogue-même) et voilà qu'un sagace lecteur de l'ami George nous met sur la piste d'une autre vidéo du poète.
Un retour de Dimey en Haute-Marne, à Nogent-en-Bassigny, son village natal.
Du cimetière, au bistrot du coin - ça ne pouvait se faire que dans ce sens-là- on pourra voir l' honnête homme déclamer quelques-uns de ces textes : son magnifique L'enfance, son fameux Quand on a rien à dire, ainsi que Moi qu'écrisdes chansons etses cocasses Les imbéciles et Je deviendrai très emmerdant.
Une vidéo d'autant plus émouvante qu'elle semble avoir été tournée l'année de sa mort (comme le suggère sa remarque devant la maison de son enfance...).
Pour finir, on signalera à nos aimables lecteurs ce livre même si nous nous devons d'avouer ne l'avoir point eu entre les mains.
Un grand merci donc à M. Prh de nous avoir mis au jus !
Détour. Récemment a paru -aux éditions Le dilettante*- Le Peuple des berges de Robert Giraud, recueil de chroniques publiées dans l'hebdomadaire Qui ? Détective en 1956. Dans ce livre, on retrouve pas mal des personnages déjà croisés dans Le vin des rues, évoluant dans le monde interlope de la Mouffe, de la Maube et des quais de Seine. Clodos, margoulins, détrousseurs, verduriers, voleurs de chiens, de chats, de chèvres et autres braconniers de la Seine, bossant parfois aux Halles, resquillant plus sûrement, buvant du gros bleu toujours.
On pourra peut-être s'offusquer de la fascination certaine dont les livres de Robert Giraud traitent de ce milieu de gueux, englués dans la misère la plus crasse. Mais ce serait mal comprendre le "propos" de Giraud. Il ne traite pas en sociologue, il ne dénonce pas cette misère révoltante pour y trouver des solutions idoines. Point d'assaisonnement prophylactique ou d'abbépierrisme ici.
Point d'angélisme non plus. Giraud sait bien que ce bas peuple "paie d'une incommensurable misère une liberté toute relative".Un peuple de la marge assommé par le fatalisme d'une misère immémorielle mais capable de quelques coups d'éclats.
Tout de même Giraud y va en copain, partage les "cheminées" de rouge et le bout de gras -ou de niglou- quand y a à briffer et les galères. Et nous conte par le menu les aléas de cette société qui n'est pas soumise à la folle marche du monde et aux assauts du moderne, c'est-à-dire la gestion toujours plus sophistiquée de ce qui résiste à la bureaucratie. Ce peuple refuse de vivre sous le joug du salariat et des conventions sociales putrides qui vont avec : et c'est bien cela qu'on ne lui pardonne pas.
Ce qui intéresse Giraud, c'est de parler de cette engeance, de ses magouilles,ses rites, ses légendes, sa langue. Un monde dont Mac Orlan disait (si nos souvenirs ne nous trahissent pas) qu'il était à peu près le même en son temps qu'au temps de Villon. Et c'est sans doute la conscience que ce monde allait irrémédiablement disparaître qui fit que Giraud, Yonnet ou Clébert** livrèrent leurs écrits au tournant de cette modernité. Vinrent entre autres calamités la destruction des Halles, les constructions de périphériques automobiles et l'avènement de l'architecture fonctionnelle. Et Bercy devenait le siège de la pompe à phynance... Bref, ce qu'on a pu appeler le pompidolisme triomphant*** et qu'on pourrait résumer dans ses avatars passés et futurs en cimentisation du monde. Plus de place pour la débine et sa débrouille... Fini la Cour des Miracles.
Tout de même on aimerait voir encore un de ces "Roi des clochards" se pavaner dans les rues de Paris ou des "Nénette" se balader sur le Pont Neuf dans son horrible accoutrement puant, fardée de mercurochrome, éructant un tas d'immondice à qui osait l'importuner. Les touristes se pâmeraient moins devant les charmes de Paris en présence d' existences aussi scandaleuses...
Ce bas peuple disparut irrémédiablement avec sa propre ville. On a fait place nette : la misère est cachée, enfouie, les clodos harcelés par les assemblées de propriétaires, les rondes des flics, les mairies, les "maraudes" de la croix rouge : "Ne laissons personne au bord du chemin".
L'amiral, roi des clochards, sa reine Germaine,
et leur bouffon, l'ancien clown Spinelly, Doisneau, 1953.
Les armées du salut et leur hygiénisme tout militaire ont gagné ****. il faut intégrer, soigner, sociabiliser les gueux même à leur corps défendant -du moins en surface- mais en fait bannir, mater, psychiatriser.... Et les braves gens de s'étonner que ces en-dehors refusent assistance d'un monde qu'ils ont toujours cherché à fuir parce car il les a trop cabossés. Les clodos se retrouvent seuls, ils ont froid, et le mobilier urbain leur fait mal au dos...
Le travail est parachevé : les critiques mondains peuvent admirer le pittoresque des écrits de Giraud. Mais lui n'a jamais fait carrière.
Reste plus qu'à fermer les derniers bistrots et la coupe sera pleine...
Robert Giraud et Léon la Lune au comptoir du Vieux chêne rue Mouffetard par G. Dudognon
Revenons-en à nos chansons. Donc Léon la Lune, immortalisé dans un film d'Alain Jessua, qu'on retrouve aussi, semble-t-il, dans Rue des maléfices sous le nom de l'Harmonica (nous n'avons pas cet excellent livre sous les yeux...), accompagna Fréhel lors de ses derniers concerts. Le fameux bal des tatoués organisé par Giraud et Mérindol dont nous avons déjà parlé ici.
Voici une autre version de ces derniers concerts, extraite donc du Peuple des Berges, où le père Léon tient le rôle principal :
...Et puis l'harmonica. C'est une musiquette de quatre sous, qu'il porte sans encombre dans une poche de son gilet. Elle lui suffit pour s'accorder quelques heures de rêve. Elle lui permet de régaler un quarteron de bons amis d'un concert improvisé à l'occasion. Quelquefois, Léon se hasarde à jouer un air ou deux dans un bistrot et il récolte quelques piécettes. Celles-ci transformées en verres de gros rouge, c'est encore du rêve et du bon temps que lui a procurés son harmonica... "J'ai jamais appris la musique, déclare fièrement Léon. Pourtant je joue tous les airs. Il me suffit de les avoir entendus une seule fois..." C'est vrai. Vous pouvez demander à Léon n'importe quelle rengaine. Comme par enchantement, le minuscule instrument jaillit de sa poche, brille un instant au creux de sa main, puis Léon semble l'avaler... Et, de derrière les deux mains jointes en coquille sur la bouche, le clochard laisse écouler en notes aigrelettes les "amours...toujours" des poésies du trottoir et du bal musette. D'ailleurs cet harmonica de gosse a valu son heure de célébrité à Léon, là-haut, place de la Contrescarpe. Il aime le rappeler. "Tiens, quand j'étais artiste, c'était la belle vie! ..." Et s'il devine un soupçon de scepticisme chez son interlocuteur, il s'enflamme : "Oui, artiste... Et comment ! J'étais "ensemble" avec Fréhel, dans un bal musette de la Contrescarpe. Je l'accompagnais..." C'était peu avant la mort de la grande artiste. Dans une misère noire, Fréhel terminait sa carrière, comme elle l'avait commencée soixante ans auparavant peut-être, en poussant la goualante dans un "musette". Ce n'était plus la gamine qu'on hissait sur une table, mais une pauvre vieille toute fripée, au corps douloureux, cassé, usé par la misère et trop de tentations de suicide - habillée en fille de la Halle : jupe noire plissée, socquettes rouges dans les pantoufles éculées. Mais la voix était restée la même. Quand elle disait à Léon "Vas-y, minet vert..." et que s'élevait la chanson banale et éternelle des amours de la rue, la salle chavirait. Tous, calicots en goguette, petites ouvrières trop jeunes pour avoir connu la Grande Fréhel, flambeurs, filles et maquereaux, tous, silencieux, écrasés, écoutaient la voix chaude, magnifique, vibrante de poésie. Fréhel savourait encore les applaudissements. On ne les lui marchandait pas. Pas de claque, pas de frime. C'était du sincère. Léon la Lune en prenait sa part. "Oui soupire-t-il, c'était le bon temps ! Quel succès on avait ! Il fallait que je rejoue, même quand elle avait fini son tour. Elle partait de bonne heure pour rentrer chez elle, là-bas, à Montmartre... Moi, je restais... Elle m'avait fait donner une belle musique toute neuve. On me l'a volée. J'ai pas eu de chance. Enfin, c'est la vie..."
Léon la Lune rue Mouffetard, on aperçoit Giraud à l'arrière-plan
* De Giraud chez le même éditeur Carrefour Buci Faune et Flores argotiques Les lumières du zinc Paris, mon pote.
**Robert Giraud, Le vin des Rues
Jean-Paul Clébert, Paris insolite
Jacques Yonnet, Rue des Maléfices. *** Voir Louis Chevalier, L'assassinat de Paris.
**** Sur l'armée du salut et le parcage des pauvres, voir Jack London, Le peuple d' en bas et aussi Dans la dèche à Paris et à Londres de George Orwell.
Post scriptum. Vous trouverez par ailleurs sur ce blog même une interview poignante de Fréhel à l'époque de ses derniers concerts.
Signalons encore une fois l'excellent blog d'Olivier Bailly,Le copain de Doisneau, consacré à Robert Giraud et à sa galaxie. Vous trouverez notamment de plus amples informations sur Léon la Lune,sur le film que Jessua lui consacra (qu'on aimerait bien visionner...à bon entendeur) ainsi qu'une troisième version de ces derniers concerts de Fréhel d'après les souvenirs de Giraud (encore!) et de son complice Pierre Mérindol.
Bailly signe par ailleurs la préface du Peuple des berges ainsi qu'une biographie de Giraud, Monsieur Bob. Qu'il soit ici vivement remercié pour tout le boulot fourbi !
Le Bestiaire de Paris*, long poème en alexandrins de Bernard Dimey, est sans doute une des oeuvres les plus ambitieuses du chansonnier. Il en existe deux versions.
La première fut enregistrée en 1962 et interprétée par Juliette Greco et Pierre Brasseur (il faudra attendre 1995 pour que ce chef d'oeuvre soit enfin édité !). La seconde le fut en 1974 avec Marcel Mouloudji, Magali Noël et Dimey lui même comme récitants. La musique est de Francis Lai (le fameux futur compositeur de musique de films) qui, tout juste débarqué de Nice et louant un appartement au-dessus du Pichet du tertre,s'était lié d'amitié avec Dimey. Dimey s'était fixé au Pichet**en 1958 (comme il se fixera plus tard, pas bien loin de là, au Gerpil, voir ici) quelques temps après sa "montée" à Paris (le bougre venait de Haute-Marne et avait vivoté quelques temps à Troyes).
Le Pichet géré par un certain Oberto Attilio fait déjà figure de relief de la grande tradition cabaretière montmartroise, sur une butte déjà salement carte-postalisée. L'endroit fait à la fois office de galerie de peinture et de cabaret accueillant les jeunes premiers : le lieu devînt incontournable et on pouvait y croiser entre autres : Brel, Mouloudji, Monique Morelli, Cora Vaucaire, Nougaro, Pierre Barouh, René-Louis Lafforgue, Catherine Sauvage, Guy Béart, Aznavour, Michel Simon, Serrault et Poiret, Jean Yanne...!!
Greco et l'artiste en jeune homme imberbe
On pourra écouter avec profit ici la version quelque peu sarcastique que Dimey donne de l'émulation artistique qui régnait dans la fameuse (fumeuse ?) taverne...
Dimey et Lai composèrent des dizaines d'autres chansons au Pichet : " Bernard avait une faculté d’écrire à
une vitesse incroyable. Au Pichet on a passé des nuits
invraisemblables pendant lesquelles le challenge était d’écrire
le plus de chansons possibles..." ***
Mais revenons au Bestiaire...
" Le Bestiaire, se souvient Francis Lai, c’était notre récréation au Pichet, on se
mettait au fond dans une petite salle réservée pour nous ; et, là,
tous les soirs Bernard Dimey déclamait ses quatrains sur Paris ;
je jouais derrière, improvisant la plupart du temps ; le Bestiaire
est né comme ça au fur et à mesure."
" Au bout de deux ou trois mois,
confie Francis Lai, il y avait une musique qui s’était composée par
l’improvisation mais qui collait au texte. "
Quant à Dimey, il se rappelait : " À l’origine, le Bestiaire devait être un
livre orné de gravures d’un peintre aux dons éblouissants,
Jean-Claude Dragomir. Hélas, il n’a pas su m’attendre ; il est
allé s’éclater la tête sur une route de banlieue. J’ai su que
notre livre ne se ferait jamais ; alors le soir à Montmartre entre
deux verres, j’en disais de longs extraits à mes amis du Pichet du
tertre ou d’ailleurs… Francis Lai prenait un accordéon et
m’accompagnait « à la feuille » laissant glisser sa mélodie
sous les mots avec le génie subtil qu’il détient sans le savoir ". Rue Saint-Vincent par Dragomir.
Le Bestiaire**** brasse déjà les thèmes de prédilection de Dimey : le monde interlope de la nuit, sa voyoucratie, l'alcool et les débits de boisson, les prostituées et les travelos, la religion, la mort, et par dessus tout la disparition d'un certain monde et la dérive dans ces ruines.
Mais trêve de palabre, quand on a rien à dire...
Voici les deux versions du Bestiaire. Quant à nous, nous avons une petite préférence pour la version Brasseur/Gréco qui sonne plus sépulcrale encore...
*Ce texte n'est que la synthèse des belles recherches effectuées par Francis Couvreux accompagnant le disque Bernard Dimey et ses premiers interprètes (1959-1961), publié chez Frémeaux et associés. Même s'il n'est pas dans l'habitude de ce site de renvoyer vers des liens commerciaux, on ne peut être qu'espanté par le travail effectué par Frémeaux... leur catalogue est insondable.
** C'est ce même Pichet qu'un groupuscule néo-fasciste aidé de commerçants du quartier tenta de "sauver" d'une transformation annoncée. L'enseigne de fast food Starbuck avait en effet jeté son dévolu sur l'endroit. Les médias nationaux se firent largement l'écho de cette brillante initiative; on se demande bien pourquoi...
Bien évidemment, ces gens-là ne voit pas que l'identité qu'ils défendent n'existe plus depuis bien longtemps déjà et que Montmartre comme l'idée qu'ils se font du populo parisien n'est plus qu'une coquille vide. On ne doute pas que ce qui se servait dans feu ce Pichet devait être la même piquette mondialiséeque n'importe où, quelle que soit l'enseigne...
Bien sûr , ces tarés accusent le cosmopolitisme, concept vague et creux mais bel et bien raciste. Il ne leur viendra jamais à l'esprit que ce qui a tué l'âme de Paris (car oui il y en avait une, comme des campagnes françaises par ailleurs...) ce sont peut-être au hasard et entre autres choses, la place nette faite aux voitures, la vogue du tourisme, l'urbanisme et les diverses politiques de la ville qui ont littéralement vidé Paris de ses habitants pour les parquer à la marge, dans des clapiers.
Bon, ça a toujours été une caractéristique du fascisme de brandir des symboles plutôt que de parler de la réalité. Laissons là ces imbéciles.
*** Interview de Francis Lai par Francis Couvreux.
**** Des bestiaires à proprement parler, on en trouve à foison dans l'oeuvre de Dimey. On pense notamment au Bestiaire d'autre part dans Sable et Cendre (éditions Christian Pirot). Ou en musique, à L'hippopotame, à Je ressemble aux poissons... et au Zoo interprété ici par Jehan sur l'album Divin Dimey.
On inaugure la série avec Bacchus, qu'on a pu voir hier soir à la Chapelle à l'occasion de ses 15 ans de tournée.
Le bougre est sur paname depuis quelque temps (où il passe bientôt en concert). Un répertoire varié, entre cul et politiquement incorrect, quelques reprises de bon goût (Vissotsky, Richepin...), des intermèdes bien sentis, un humour corrosif. Bref de quoi passer une bonne soirée.
Pour se faire une idée du répertoire du libertin...
Sur l'album la VerVe et la Joie
Un texte de Dimey, La Pierrette à Pigalle :
Et un joli texte pour finir, D'Alain à Line piqué sur son site:
Entre les draps de lin
On voit les bras de Line
Mêlés à ceux d'Alain
Dans des poses câlines
Dans les poses qu'a Line
On devine qu'Alain
Hier déflora Line...
...Ondée d'un blanc venin.
En cette nuit sans lune
Line est avec Alain
L'un ne va pas sans l'une
Et l'une sans câlins
Car Line sans câlins
Sans qu'Alain la câline
Est un corps orphelin
Alors qu'elle est fée Line
Quand sur le dos de Line
Passe la main d'Alain
C'est une messe à Line
Un massage félin
Et dans les yeux d'Alain
C'est une fleur, sa Line
Doux au pistil d'Alain
Sont les pétales qu'a Line.
Poussent des plumes à Line
L'ange Line aime Alain
Mais bonne pâte, Line
S'en va pourtant plus loin
Sourire sucré, maline
Sans rien dire à Alain
Et à son insu, Line
Va retrouver Colin...
...Gaillard de la Marine
Et preste au coup de rein
"Je serai ton mousse, Line
Viens dans les marais, viens !"
Mais dans la vase Line
Dérape sur Colin
Qui donne un aphte à Line
D'un baiser assassin
"Je te demande ô Line
Pardon en Italien
J'aime tant tes miches, Line..."
... C'est là qu'arrive Alain
Voyant son rival, im-
-puissant il dégouline,
Mais avisant Colin
Dit d'une voix sibylline :
"J'n'ai pas de dégoût, Line
Même, en voyant Colin
Je me sens si bi, Line
Partons tous les trois, viens !"
Là, le mousse tique, mais Line
Darde un regard en coin
Et sous sa capeline
Ils ne firent plus qu'un
Et le long des pipe-lines
Le vent emporte au loin
Le mousse, les mâts, Line
Et les voiles d'Alain.
Et le long des pipe-lines
Le vent emporte au loin
Le mousse, les mâts, Line
Et les voiles d'Alain.
Document.
Au fil de nos bifurcations sur le tube, nous avons glané cette émouvante vidéo (datant de 1979) montrant le père Dimey, pour ainsi dire, à domicile... Il n'avait qu' à traverser la rue pour aller s'abreuver au Gerpil.
Entre Pigalle et la place des Abbesses, rue Germain Pilon donc, on pouvait croiser le visage léonin de Dimey éclusant plus souvent qu'à son tour en son antre.
On verra ici Dimey en habitué, plaisantant Michou,et "récitant" quelques uns de ses poèmes-chansons : Moi qu'écris des chansons, Les folles, et, bien sûr, Un soir au Gerpil.
Et la superbe version de ce beau texte par son ami Marcel Mouloudji.
Merci au joueur de flutiau d'avoir mis ce document en ligne.