Reconnaissons-le, la Mano Negra (groupe issu des Hot Pants, des Casse Pieds et des Dirty Districts) fut en son temps (1987-1994) un sacré groupe de scène doté d'un groove irréprochable.
Côté reproche, justement, on leur doit, à eux et à quelques autres, l'irruption du gros business dans un rock jusqu'alors plus confidentiel et familial, une certaine "Jacklanguisation" de la musique qui collait bien aux dernières heures du socialisme cotillon et surtout, surtout, une faiblesse avérée des paroles.
Même si ces gens eurent des intentions souvent estimables et avaient des choses à dire, ils les disaient trop fréquemment avec une naïveté confondante et une accumulation de mots formant une liste lassante. C'est d'ailleurs depuis la marque de Manu Chao. C'est pas parce qu'on chante en castillan qu'on est obligé d'être aussi sommaire.
Enfin, soyons juste, on aime bien aussi les Ramones qui, question texte se posent un peu là.
Non, ce qui a eu toujours du mal à passer, c'est que ces jeunes gens découvrant l'Amérique Latine n'hésitaient pas à pomper et à recycler des trucs entendus à la radio, ce qui n'aurait rien de blâmable en soi du moment qu'on cite sa source.
Prenons un classique de la salsa new-yorkaise : Te están buscando, 45 tour sorti en 1981 chez Fania joué par le fabuleux duo Rubén blades / Willie Colon. Voici les mésaventures d'une guape du quartier que plus personne ne supporte et que tant la flicaille que les autres truands recherchent pour lui donner une bonne leçon:
Et ensuite, écoutons Peligro, reggae tropical de la Mano dont voici la vidéo issue du documentaire Puta's fever.
Même sans posséder la langue de Cervantés et Julio Iglesias vous avez remarqué ? Ce sont quasiment les mêmes paroles. on se contente de remplacer les pénibles du quartier par la CIA et les forces de l'ordre. Après y'a plus qu'à balancer une accumulation de pays d'Amérique Centrale et le tour est joué !
Vous me direz qu'après tout, depuis Mozart (qui a pompé Salieri) et Muddy Waters (qui a pompé Robert Johnson), l'histoire de la musique n'est qu'une longue suite de plagiat.
certes. Mais ça fait longtemps que celui-là, on l'avait sur l'estomac !
On vous a déjà dit ailleurs tout le bien qu'on pensait du chanteur et auteur Rubén Blades.
Outre ses chroniques sociales du barrio ou ses fresques de l'exil, le bougre se fit une spécialité de peindre la situation des pays latino américains dont la majorité vivait la décennie 1970 sous les bottes de militaires placés avec la bénédiction du Tio Sam.
Il écrivit ainsi plusieurs titres plutôt enlevés pour moquer les gens en uniforme (Prohibido olvidar) ou dénoncer l'impérialisme gringo (Tiburón). Mais son coup de maître est, à notre avis, Desapariciones (Disparitions) de l'album Buscando América (1984). Exceptionnellement, il chante ce titre dont le sujet a un titre suffisamment explicite pour ne pas avoir à être expliqué, sur une musique lente et funèbre.
Extraits Voilà trois jours que je cherche ma frangine / elle s'appelle Altagracia, comme la grand-mère / elle est sortie du boulot pour passer à l'école / avec des jeans et une chemise blanche / C'est pas un coup de son mec, il est à la maison / et la police ne sait rien sur elle / ni l'hôpital. Que quelqu'un me dise s'il a aperçu mon fils / il est étudiant en médecine / il se nomme Agustín et c'est un brave garçon / Des fois, un peu têtu dans ses opinions / on ne sait pas quelle force l'a arrêté / pantalon blanc, chemise rayée, c'était avant-hier. Clara
Quiñones, c'est ma mère / une sainte femme qui ne s'embrouille avec personne / ils l'ont emmenée comme témoin / pour une affaire qui ne concerne que moi / Et j'ai été me livrer cet après-midi / Et voilà qu'ils me sortent qu'ils ne savent pas qui est venu l'emmener / de la caserne. Cette nuit j'ai entendu plusieurs détonations / des tirs de carabines et de revolvers / des bruits de moteurs, de freins, des cris / des échos de bottes / des porte qu'on frappe, des plaintes, de la vaisselle cassée. / C'était l'heure du feuilleton télévisé / et personne n'a regardé dehors. / Bande d'autruches !
Évidemment, on pense d'abord à l'Argentine, pays où cette technique technique de terreur d'État fut poussée à son comble, laissant, avant et après le putsch de 1976 plus de 30 000 morts sans corps ni sépultures. Mais ce terrorisme d'État fut (et est) toujours largement pratiqué au Mexique, Guatemala, Salvador, Nicaragua, Colombie, Équateur, Chili, Uruguay, Paraguay, etc.
Assassins ordinaires et médiocres
Mais pour l'écho que ce phénomène eut en Argentine, la chanson fut reprise, en 1992, par Los Fabulosos Cadillacs, groupe de ska, punk, tropical et jazz de Buenos Aires sur leur disqueEl León.
On trouve même leur version nettement plus speedée, supérieure à l'original. Et ça nous évoque quelques souvenirs.
Une fois n'est pas coutume, on termine sur une citation de Simón BolívarMaldito el soldado que apunta el arma contra su pueblo.
Quand les Irlandais se bousculaient pourfoutre le camp
Le déplacement de tout être humain ayant toujours été source d'espoir, de nostalgie, de cafard ou d'oppression, il n'y a plus qu'a choisir dans le florilège des chansons d'exil. Des aèdes grecs aux bluesmen du Sud, des bardes crevant la dalle aux mariachis passant le fleuve, ces migrations furent chantées.
Petit aperçu.
Dahmane el Harrachi Ya rayah
Phil Ochs The ballad of William Worthy
La Rumeur Le cuir usé d'une valise
Eugenio Bennato La riturnella
Mohamed Mazouni 20 ans en France
G. Bithikotsis To tragoudi ti Xenitias
Asian Dub Foundation Fortress Europe
Rusan Filistek / Hamid Elkamel Tichoumaren
Richie Havens Follow the drinking gourd
Christy Moore Back home in Derry
Stiff Little Finger Gotta gettaway
Slimane Azem Algérie, mon beau pays
The Melodians River of Babylon
Amparo Ochoa Jacinto Cenobio
Chico Buarque La samba d'Orly
Choeur Jerzy Siemonov Pomniou, pomniou, pomniou ia
Ilda Simonian Adana Ağıdı
Aziza Brahim Lagi
Bronski beat Small town
Rubén Blades, éminente voix des latinos de new-York en a eu un jour ras-le-bol d'être trop loin de son Panama natal, il n'avait plus qu'à faire La Maleta.
S'il est un genre musical aujourd'hui considéré mineur et ghettoïsé dans des clubs de danse de quartier ou des croisières qui s'amusent, c'est bien la salsa.
Et pourtant, cette extension du son montuno caribéen, principalement créée par des musiciens portoricains ou cubains exilés à New York, fit les beaux jours du spanish Harlem des années 70 ou 80 (et les nôtres) permettant aux latinos d'exprimer leur mal de vivre ou leurs revendications avant de sombrer dans l'injonction "Hey moreno, montre-nous ta joie".
Rubén en 1976
Et s'il est un chanteur qui donna au genre ses lettres de noblesse et son message social, c'est bien le panaméen Rubén Blades.
Exilé au États-Unis à vingt ans, vivotant comme facteur, d'abord auteur de chansons doté d'un indéniable talent de conteur, il fut ensuite embauché comme chanteur dans l'orchestre de l'immense tromboniste Willie Colonen remplacement du portoricain Héctor Lavoe.
Rubén Blades va révolutionner la scène avec une chanson qui fut d'abord refusée par la maison de disque (7.20 minutes ! Trop long pour un 45 tour) avant de devenir l'hymne des quartiers hispanos puis celui des voyous d'Amérique latine : Pedro Navaja (Pedro la Lame).
Car le génie de cette chanson est de si bien manier images et plans de caméras explicites qu'elle en devient un court-métrage à elle seule et qu'aucune vidéo, surtout pas celle ci-dessous ne peut lui rendre justice.
L'histoire débute par une longue description d'une gouape de quartier, petit criminel inspiré sans le cacher du Mackie Messer de l'Opéra de quatre sous.
Après que le narrateur nous ai décrit son costume de pachuco, ses armes et sa dent en or, la caméra s'éloigne pour un plan large des rues.
On est en été, en plein après-midi, et à part cette voiture banalisée dont personne n'ignore que c'est la police, le quartier est désert.
Sauf cette prostituée qui fait des allers-retours au bar du coin en attendant désespérément d'harponner un micheton.
Et c'est là que notre Pedro Navaja a la plus mauvaise idée de sa courte vie : profiter de cette solitude pour trucider et dépouiller cette pauvre femme qui ne manque pourtant pas de ressources.
Les deux agonisent bientôt sur le trottoir et seul un ivrogne ramasse le couteau, le 38 spécial, les portefeuilles avant d'aller fignoler sa cuite un peu plus loin... comme dans un roman de Kafka !
La chanson se clôt sur trois minutes d'un refrain moqueur entonné par le poivrot "La vie est pleine de surprises" agrémenté de proverbes d'un Rubén Blades faussement moraliste ("Qui a vécu par l'épée, périt par l'épée", "Mauvais pêcheur qui a ramené un requin au lieu d'une sardine","Huit million de faits-divers à New York", etc.)
Sortie en 1978 sur le disque Siembra, cette salsa devient très vite LA salsa par excellence. À tel point que le label Fania ayant malencontreusement cédé les droits à des producteurs de nanars mexicains (voir ci-dessus) Rubén décide d'écrire une improbable suite à cette histoire.
Intitulée fort à propos Sorpresas (1985) on y retrouve le saoulard qui se fait braquer par un autre voyou (sobrement nommé "le Voleur") qui, stupéfait par son butin, se rend immédiatement sur les lieus du crime. Là-bas, c'est son tour de connaître une grande stupéfaction et un funeste sort.
Car Pedro Navaja, qui n'était évidemment que blessé, porte toujours deux poignards sur lui lorsqu'il sort bosser, au cas où...
Ayant soigneusement échangé les papiers d'identité, notre tueur reprend son existence non sans avoir nettoyé sa blessure à la gnôle et extrait la balle avec ses dents.
Un ultime flash radio nous apprend que le Voleur n'était autre que Alberto Aguacate alias “El Sala’o” et la prostituéeJosefina Wilson, en réalité un travesti sur lequel notre psychopathe de classe avait un contrat pour une raison indéterminée.
Cette suite resta longtemps la bande-son des transports en commun ou des ruelles de marché du sous-continent américain.
Outre un troisième opus, bien moins bon, centré sur le personnage de l'ivrogne, cette chanson aura inspiré deux films mexicains (médiocres), deux comédies musicales (La Verdadera Historia de Pedro Navaja et Pedro Navaja) deux séries télévisées (américaine et vénézuélienne) ainsi que des réponses ou allusions dans d'autres chansons de José fajardo, Yuri Buenaventura, Héctor Lavoe, los Van Van, Malanga, les Bad Street Boys, entre autres...
Jusqu'à notre tigre de Sainté, Nanard Lavilliers himself, en pleine crise salsera, qui y alla de son hommage sur son 33 tour O Gringo sorti en 1980.