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mardi 20 décembre 2016

Brassens, Paul Fort (3) et Gabriel Yacoub

On savait que Brassens, lorsqu'il empruntait un texte, aimait tailler dans le gras pour en faire une chanson efficace.           
Au point de nous faire parfois oublier le poème original. Une des plus belles réussites du Sétois restant, à notre goût, La Marine du "Prince des poètes", comme se plaisait à l'appeler Jacques Yonnet, on s'est rendu compte que le texte, à la base intitulé L'Amour marin (qu'on retrouve donc en cliquant sur le lien) comportait en tout 27 strophes ! 
Inadaptable, donc ?
Pas vraiment, il suffisait d'oser.
À preuve et pour notre édification, cette version de Gabriel Yacoub, ci-devant fondateur du groupe (parfois pénible) Malicorne qui est ici entouré de BJ Cole, John Lester, Jeff Boudreaux, Ronnie Caryl, Rob Armus, Gabriela Arnon et Paul Tiernan.
Le texte est ici dans son intégralité et ça lui rend une belle justice. 

 

vendredi 11 mars 2016

De l'amour, de la guerre et du désastre

Soubise à Rossbach



À l'origine de cette chanson déjà évoquée , un désastre militaire comme l'histoire de France en a le secret : la bataille de Rossbach (1757).
Passons sur les méandres de la Guerre de Sept ans. Une ironique vision de cette querelle entre princes est d'ailleurs offerte dans le splendide  Barry Lindon de Stanley Kubrick*.
Il suffira ici de savoir que le 5 novembre 1757, 54 000 soldats français et autrichiens et furent rossés et mis en déroute par les 22 000 Prussiens de Frédéric II (le copain de Voltaire, on y reviendra) grâce à une manœuvre classique, connue depuis le carthaginois Hannibal.
Suite à ce que Frédéric qualifia de "promenade", 8000 soldats alliés étaient restés au tapis contre environ 550 prussiens
Une grande part de la responsabilité de ce désastre fut imputée à l'évidente incapacité du commandant français, Charles de Rohan, prince de Soubise.
Il provoqua un tollé à Paris et le général devint la tête de turc du peuple.
Un poème satyrique courut les rues  :
Soubise dit, la lanterne à la main,
J'ai beau chercher, où diable est mon armée ?
Elle était là pourtant hier matin.
Me l'a t’on prise ou l'aurais-je égarée ?
Prodige heureux ! La voilà, la voilà !
Ô ciel ! Que mon âme est ravie !
Mais non, qu'est-ce donc que cela ?
Ma foi, c'est l'armée ennemie.


La Poisson alias la  Pompadour
Or, une rumeur établissait la nomination de Soubise au commandement suprême aux intrigues de la favorite du roi Louis XV, Jeanne-Marie Poisson, plus connue comme la Pompadour.
Tout comme il avait existé des "Mazarinades" au temps de la Fronde, les "Poissonades" se mirent à fleurir. Les auteurs de ces libelles et chansons de rues chargeant férocement la Pompadour et ses manies politiques. Bien entendu, en restant dans certaines limites : on peut se permettre d'attaquer l'entourage du Roi, surtout s'il s'agit de sa maîtresse, du moment qu'on évite de s'en prendre frontalement au monarque.

Une des traces de ce cruel épisode nous est parvenue par une chanson de rue et de soldats intitulée "Les reproches de La Tulipe à Madame de Pompadour".
Ses paroles en furent attribuées, sans qu'on en ait la certitude, à Voltaire.
Ce qui ne serait guère étonnant car certains passages ( Les Poissons avalent tout) portent la trace de son ironie mordante et coutumière. En complément, le roué écrivit aussitôt un compliment à Frédéric de Prusse, son protecteur
La chanson, rebaptisée "Comprenez-vous ? ", est ici chantée par Gabriel Yacoub, fondateur du groupe Malicorne, en 1973. Elle figure dans l'Anthologie de la chanson française compilée par Marc Robine en1993.





* Traduction de la séquence filmée :
Seul un grand philosophe ou un historien pourrait expliquer les causes de la guerre de Sept Ans, à laquelle le régiment Barry participait. Qu'il suffise ici de dire que l'Angleterre et la Prusse étaient alliés contre la France, la Suède, la Russie et l'Autriche.
La première bataille de Barry ne fut qu'une escarmouche contre une arrière française qui occupaient un verger près d'une route où les forces britanniques devaient passer. Bien que cette rencontre n'ait laissée aucune trace dans les livres d'histoire, elle fut mémorable pour ses participants.

jeudi 1 octobre 2015

L'Affaire des Quatorze (1)





    On entame une petite série sur le bouquin de l'historien américain Robert Darnton L'Affaire des Quatorze (Gallimard, collection nrf essais, 2014). Darnton qui est quand même directeur des bibliothèques d'Harvard (!) et éminent spécialiste des Lumières et de l'histoire de l'écrit sous l'ancien régime, signe un petit essai fort intéressant sur l'art de la chanson, de sa confection à sa réception à travers une étude de cas, "l'affaire des Quatorze".
 Allez, on vous livre sans plus tarder la quatrième de couv', suivie d'un extrait :

  C'est un étrange dossier des archives de la Bastille et l'un des plus fascinants, fait de paperolles, qu'ouvre, pour la première fois, Robert Darnton.
Au printemps de 1749, le lieutenant général de police à Paris reçut l'ordre de capturer l'auteur d'une ode moquant le roi et sa maîtresse. Le mot fut passé aux légions d'informateurs, ou mouches, et bientôt quatorze personnes croupirent dans les geôles – des prêtres, des clercs et des étudiants.
Griffonnés sur des bouts de papier, les vers circulaient de cabarets en dîners avec grand succès. Robert Darnton ne reconstitue pas seulement une affaire de création collective ; il tire les mailles d'un étonnant filet : celui de la communication orale, politique, dans le Paris populaire du XVIIIe siècle. La plupart des hommes et surtout des femmes ne maîtrisant pas la lecture, le moyen mnémotechnique le plus efficace était la musique. Les poèmes étaient composés pour être chantés sur des airs célèbres que l'on retrouve dans les recueils connus sous le nom de chansonnier.


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    Le dernier poème de l'Affaire des Quatorze, "Qu'une bâtarde de catin", était le plus simple de tous et celui qui toucha le public le plus large. Comme beaucoup de poèmes de circonstance à l'époque, il fut écrit pour être chanté sur un air populaire identifié dans certaines versions par son refrain : "Ah ! le voilà, ah ! le voici". Ce refrain, couplet entêtant, complétait les strophes composées d'octosyllabes aux rimes croisées. La versification se conformait au schéma le plus commun de la ballade française, a-b-a-b-c-c, et se prêtait à une extension infinie parce qu'il était aisé d'improviser de nouveaux couplets et de les ajouter aux anciens. Chaque couplet attaquait une personnalité publique tandis que le refrain rejetait l'invective sur le roi qui apparaissait comme la victime d'une plaisanterie ou comme le nigaud dans un jeu d'enfants où ses sujets auraient dansé autour de lui en chantant par dérision : "Ah ! le voilà, ah ! le voici / Celui qui n'en a nul souci" - comme s'il avait été la biquette que le chien finalement mord dans la comptine : "Ah ! tu sortiras Biquette, Biquette, / Ah ! tu sortiras de ce chou-là ! ". Que cette chanson eût ou non évoqué un jeu à son auditoire dans la France du XVIIIe siècle, son refrain faisait de Louis un imbécile incapable qui s'adonnait aux plaisirs alors que ses ministres tondaient ses sujets et que le royaume allait à la ruine. Des groupes de Parisiens entonnaient souvent des refrains de "pont-neufs", ces chansons sur les événements courants que vociféraient chanteurs des rues et colporteurs aux points de rencontre comme le pont Neuf lui-même. Il semble probable que l'ode "Qu'une bâtarde de catin" ait ainsi déclenché en écho des choeurs ironiques partout dans Paris en 1749.
    La moquerie s'en prenait pour commencer à Louis XV lui-même et à Mme de Pompadour :

Qu'une bâtarde de catin
À la cour se voie avancée,
Que dans l'amour et dans le vin
Louis cherche une gloire aisée,
Ah ! le voilà, ah ! le voici
Celui qui n'en a nul souci.

    Ensuite la satire procédait en descendant, de la reine (représentée comme une bigote abandonnée par le roi) au dauphin (remarquable pour sa stupidité et son obésité), au frère de la Pompadour (ridicule dans ses tentatives pour se donner l'allure d'un grand seigneur), au maréchal de Saxe (fat se prenant pour Alexandre le Grand alors qu'il n'avait conquis que des places qui n'opposaient aucune résistance), au chancelier (trop sénile pour administrer la justice), aux autres ministres (impuissants ou incompétents) et à divers courtisans (chacun plus stupide ou dissolu que le suivant).
    À mesure que la chanson circulait, les Parisiens modifiaient d'anciens couplets  et en ajoutaient de nouveaux. Ce genre d'improvisation constituait un divertissement populaire dans les tavernes, sur les boulevards et sur les quais où des foules s'assemblaient autour des chanteurs jouant du violon ou de la vielle. La versification était si simple que tout un chacun pouvait insérer une nouvelle paire de rimes dans l'ancienne mélodie et la répandre alentour par la voix ou par l'écrit. Bien que l'ode originelle ait pu venir de la cour, elle ne cessa de gagner en popularité et couvrit un spectre toujours plus vaste de problèmes contemporains en s'étoffant de couplets. Les copies de 1747 ne sont guère plus qu'une moquerie des figures éminentes de Versailles, ainsi que l'indique le titre cité dans les rapports de la police, "Échos de la Cour". Mais, en 1749, les strophes greffées sur les vers originels couvraient toute sorte d'événements du moment  - les négociations de paix à Aix-la-Chapelle, l'administration impopulaire de la police par Berryer, les récentes querelles de Voltaire, le triomphe de son rival, Prosper Jolyot de Crébillon, à la Comédie française, et le cocufiage du fermier général La Popelinière par le maréchal de Richelieu qui avait fait installer une plaque tournante dans la cheminée de la chambre de Mme La Popelinière afin de pouvoir entrer par cette porte secrète pivotante.
    Le processus de diffusion laissa son empreinte sur les textes eux-mêmes. Deux copies de "Qu'une bâtarde de catin" ont survécu dans leur état premier - c'est-à-dire sur des bouts de papiers qui étaient transportés dans les poches afin d'être déclamés dans les cafés, échangés contre d'autres poèmes ou laissés en des endroits stratégiques comme les bancs des jardins des Tuileries. La première copie fut saisie par la police quand elle fouilla Pidansat de Mairoibert à la Bastille après son arrestation pour avoir déclamé des vers contre le roi et Mme de Pompadour dans les cafés. Avec elle, les policiers confisquèrent aussi un bout de papier semblable avec deux couplets d'une chanson qui attaquait la marquise. Ils appartenaient à un cycle d'odes connues sous le nom de Poissonnades parce que les paroles contenaient des jeux de mots infinis sur le nom de jeune fille à consonance vulgaire de la Pompadour, Jeanne-Antoinette Poisson.


(Chapitre X, Une chanson.)



...Car les poissons avalent tout... Comprenez-vous ?