Ces hommes prennent des risques désespérés et quand ils sont
pris, ils ne se trahissent pas les uns les autres car leur scénario ne
les y appelle pas. C’est une idée qu’ils ont d’eux-mêmes.
Malcolm MenziesEn exil chez les hommes
Bonnot était cerné. Tant de monde pour tuer un seul homme. Derrière les
forces de l'ordre se pressait une rangée de badauds retenus par les
gendarmes. Il y avait des femmes et des enfants parmi eux. Ils étaient
venus là comme des chacals pour le regarder mourir.
Malcolm Menzies En exil chez les hommes
On recommande ce bouquin ainsi que tous ceux écrits par ce charmant et plus tout jeune écossais. C'est tout pour aujourd'hui.
En 1954, Boris Vian est sollicité pour mettre en musique une pièce de théâtre d'Henri-François Rey sur un sujet jusqu'alors maudit : La bande à Bonnot.
Vite fait et plus ou moins mal fait, Bison Ravi écrit une vingtaine de titres dans la semaine. Certaines chansons seront éditées à part (La valse des chaussettes à clous, les joyeux bouchers). Louis Bessières et Jimmy Walter donnent un coup de main à la musique.
La première s'est tenue le 17 décembre 1954 au Théâtre du Quartier Latin. Elle sera bien accompagnée des cris d'orfraie habituels des anciens combattants et la presse de droite réclamera l'interdiction du spectacle. Mais ce sera surtout le manque d'intérêt pour cette pièce mal foutue qui la fera vite péricliter et interrompre.
Vian, n'a pas semblé très à l'aise avec le sujet, toujours polémique entre anars romantiques et anars moralistes. Il est allé jusqu'à charger Judith Thollon, compagne lyonnaise de Jules (la Louise Michel de la Guillotière), de l'avoir balancé, ce qui est loin d'être prouvé. Judith écopa de quatre ans de prison et une lettre de Bonnot l'avait innocentée au préalable.
Pour mémoire, Jules Bonnot et son groupe tragique ne redeviendront populaires qu'après mai 1968.
Jacques Canetti en profitera d'ailleurs pour sortir un disque contenant plusieurs extraits du spectacle en 1971 (réédité en cd en 2002). Les partitions s'étant perdues, Louis Bessières s'est chargé des arrangements. L'interprétation est assurée par Yves Robert, Judith Magre, Kim Ibarra, Maurice Barrier, Lucienne Vernay, Pierre Jamet et Cécile Vassort.
En échantillon, voici deux chansons "L'enfance de Bonnot" ( par Cécile Vassort et Kim Ibarra) et "Les bienfaits de la pratique" ( par Lucienne Vernay et Pierre Jamet). On ne peut que constater le côté à la fois charmant, maladroit et anecdotique de cette opérette. Mais si on applique la maxime "La société a les criminels qu'elle mérite", voilà qui donne un beau portrait de notre belle époque.
Le camarade Wroblewski nous communique : Je suis tombés sur deux articles de Marcel Aymé en annexe de ses romans dans la Pleïade (...)
Ces deux articles n'ont rien de transcendant, mais ils sont amusants,
ont un charme désuet (tout en gardant une grande part d'actualité : par
exemple la chanson crétinisante qui n'a cessé de proliférer jusqu'à nos
jours, avec des moyens bien supérieurs à la TSF et au cinéma), et
surtout ils évoquent des personnages déjà entendus sur DLHT : Béranger,
Marianne Oswald*, et puis un certain Jules, un certain Octave, un certain
Raymond... des poteaux quoi.
En ce qui concerne le père Marcel, on se contentera de rajouter cette anecdote :
à un président de la République voulant lui remettre la Légion
d'honneur, il écrivit : « Je vous laisse à vos plaisirs
élyséens. Votre Légion d'honneur, vous pouvez vous la carrer dans le
train. »
CHANSONS
Notre
siècle est décidément celui de l'image (...), la chanson n'illustre plus, comme autrefois, les grands faits
divers. Avant les perfectionnements du cinéma et de la reproduction
phonographique, il n'y avait pas de crime un peu important,
d'escroquerie de haut vol, qui ne fussent mis en couplet. Le drame de
Chatou, les chèques de Panama, le coffre-fort de Thérèse Humbert et tant
d'autres affaires excitèrent, à l'époque la verve satirique ou
l'imagination des chansonniers. Pour ma part, je me souviens d'avoir
entendu célébrer, sur l'air de La valse brune, les exploits de Bonnot,
Garnier, Raymond la science et les autres :
La terrible bande
Laisse un frisson de légende
Et tout Paris se demande...
Mais j'ai oublié la suite qui valait peut-être mieux que le début.Comme on le voit, ces rimes étaient confortables et le ton des premiers vers à la hauteur de l'épopée. Le temps avait probablement manqué pour composer une mélodie originale et on avait adapté les paroles à un air connu. c'est que le public d'alors était exigeant, il le pressait de pouvoir fredonner son indignation ou sa pitié. Un beau crime, un beau scandale qui ne fussent pas accompagnés d'un refrain étaient, pour lui, comme une cérémonie sans Marseillaise.
Concert du Bonnot's Band, 1911
La vérité, ou ce qui en tient lieu habituellement ne lui suffisait pas, il voulait pouvoir en disposer à tout instant. La chanson comblait précisément ce qui reste vacant aujourd'hui. elle est, en effet, un moyen d'information beaucoup plus sûr que la presse et la TSF. Les journaux renseignent avec plus d'abondance mais ils ne sollicitent guère la réflexion que dans l'instant où on les lit. La chanson a sur eux cet avantage d'être toujours présente à la mémoire, ou au moins disponible. Elle résume encore un événement deux ans après qu'il s'est produit et, dans les meilleurs cas, en restitue l'atmosphère. La complainte de Fualdès en est un exemple fameux : elle a permis que le souvenir d'un assassinat crapuleux mais, après tout assez banal, traverse tout un siècle. Le proverbe qui dit qu'en France tout finit par des chansons est une ânerie, comme la plupart des proverbes. Au temps où il avait cours, les chansons empêchaient, au contraire, l'oubli de se faire trop vite sur une affaire scandaleuse. La presse n'osait pas étouffer un scandale avec une discrétion trop précipitée alors que le public en avait encore les échos en écoutant les chanteurs de rues ; les consciences mal assurées sentaient une certaine résistance, d'ailleurs illusoire, chez les naïfs qui reprenaient au refrain et la tentation de les plumer était moins pressante. Le fait est qu'à l'époque où on chantai encore, les grands krachs étaient plus espacés qu'aujourd'hui. Ainsi, la chanson, en dépit d'une injuste réputation de légèreté fut-elle comme l'auxiliaire de la vertu.
Une chanson d'Eugène Pottier par Trois Lignes de Bling Le grand Krach.
Elle était même bien souvent, au lieu d'une fin, un commencement. Au cours du XIXème siècle, la chanson a joué un rôle de premier ordre dans l'avènement et la débâcle de divers régimes qui se sont suc cédés en France. Les couplets de Béranger ont eu plus d'efficacité que les discours les plus habiles et c'est une mauvaise chanson qui a contribué à pousser Napoléon III à la présidence de la république. Et peut-être qu'à l'occasion de l'affaire Stavisky, un couplet habile et violent, chanté sur un air endiablé, aurait réussi à émouvoir l'opinion publique. Mais c'est bien improbable et d'ailleurs, le public est lui-même trop compromis dans cette saleté pour qu'une chanson lui rende le sentiment de la pudeur. et puis la chanson est morte et enterrée.
Chanson de Paul Burani et Antonin Louis (interprétée par Francesca Soleville) célébrant la chute de Napoléon III
Pourtant, il existe bien des chansonniers qui chantent dans les cabarets, sur la scène des petits théâtres spécialisés. Ils ne se font pas même faute de chansonner l'actualité et certains savent être mordants. Malheureusement, ils font trop de bons mots qui sont difficilement transportables ; leurs saillies n'intéressent qu'un public restreint. Il leur manque la simplicité, la conviction naïve qui assuraient autrefois le succès des refrains populaires. Les chansons qui charmaient les foules avant la guerre ressemblaient beaucoup à des images d'Épinal, elles avaient les mêmes couleurs franches, un peu criardes. Les paroles étaient banales, souvent maladroites mais l'intention était sûre et le public avait beaucoup de bonne volonté. Il en a encore, la preuve en est qu'il accueille avec faveur les romances d'amour. Hélas ! Pauvres romances, triste sirop de cinéma ! Quand on pense que c'est avec ça que les mères bercent aujourd'hui leurs marmots, on se demande à quel degré d'abrutissement sera réduite la génération 1950. On voudrait croire que ces fadaises passeront de mode. Malheureusement, elles ont des moyens de s'imposer qui leur assurent à peu près l'impunité. Ce sont le cinéma parlant, le phonographe et la radiophonie qui leur ont permis de concurrencer la chanson populaire et d'en venir finalement à bout. On ne peut rien contre ces puissances, il n'y a qu'à reprendre au refrain.
* Pour Marianne Oswald, on publiera très prochainement l'autre article. Comme l'indique l'allusion brûlante à Stavisky, cet article est daté du 24 janvier 1934.