Joan Pau Verdier est mort le 21 juin dernier.
Il se revendiquait anarchiste et Occitan et avait même participé à l'éphémère FACO (Fédération Anarchiste Communiste Occitane) en 1969.
C'était l'époque où il avait ajouté une pointe (oh, pas trop tout de même) de rock et de blues dans un folk trop académique. D'ailleurs ils envoyait volontiers chier les "occitanistes" et autres fondamentalistes de la cabrette.
Il a adapté Ferré et Brassens dans sa langue limousine.
Et n'a jamais vu d'inconvénient à chanter et écrire dans les deux langues.
Bien que n'ayant jamais eu de grand succès, il a continué sans jamais se renier ni céder à la moindre mode du moment. Sa mort n'aura fait des gros titres qu'à France Bleue Dordogne et ça l'aurait sans doute fait marrer.
Rien que pour ça, on l'aimait bien. Et pas uniquement parce que c'est encore un honnête homme d'une certaine époque qui a disparu. Et qui nous laisse quelques souvenirs de jeunesse.
Quand l'Aubrac montait à Paname, ou comment les charbonniers ouvrirent des bistrots et comment se posait quelques questions occitanes en ces temps. Une émission Le monde insolite du 14 juillet 1974 où on retrouve avec joie Jacques Yonnet, Alem Surre-Garcia et Claude Marti qui faisait ses débuts en chanson.
En espagnol, la chanson pour l'Auvergnat, adaptée par Paco Ibañez, est devenue un hommage à l'Aragonais : Canción para un maño.
"Avoir tant de bon vin et pas pouvoir manger de pain" Béziers, juin 1907
C'est en tombant, dans un grenier, sur la photo d'un arrière grand-oncle en uniforme (les paysans se faisaient alors photographier à l'armée) avec le chiffre 17 ornant le col de sa capote que cet épisode a refait surface.
Au début du XXème siècle, Gard, Hérault, Aude et Pyrénées-Orientales ont transformé leurs plaines desséchées en superbes vignobles.
De 1900 à 1906, la production de vin du Languedoc grimpe de 16 à 21
millions d'hectolitres. Cette surproduction se solde par une
chute brutale des prix qui sont divisés par deux ou par trois en
quelques années. C'est la ruine pour de nombreux viticulteurs qui n'arrivent pas à rembourser leurs dettes mais aussi
négociants dont le sort est suspendu à celui de la viticulture.
Pour des raisons de survie, la plupart des petits viticulteurs ont déjà créé des coopératives.
Extrait d'un discours de Jaurès : Dans une vigne, des raisins contrariants et
imbéciles dirent qu'ils ne voulaient pas aller avec leurs frères qui se
laissaient cueillir. On fit comme ils le voulaient, et ce qui se passa,
c'est qu'ils pourrirent sur souche, tandis que les autres allèrent à la
cuve, où ils firent le bon vin qui réjouit les cœurs. Paysans, ne
demeurez pas à l'écart. Mettez ensemble vos volontés, et, dans la cuve
de la République, préparez le vin de la Révolution sociale
Les Languedociens réclament alors l'abrogation de la loi de 1903 sur la « chaptalisation » (sucrage destiné à augmenter le taux d'alcool)et une surtaxe sur le sucre pour décourager les importations. Le Président du Conseil, le toujours aimable Georges Clémenceau demeure inflexible. "Je connais le Midi, tout ça finira par un banquet", ose-t-il affirmer.
En 1905, des manifestations rassemblent plus de 15 000 personnes à Béziers et Marcelin Albert, cafetier surnommé "lou cigal" (il harangue juché sur un platane) lance sa pétition : Vive le vin naturel ! À bas les empoisonneurs !
En 1907, suite à l'épidémie de phylloxéra ayant entraîné la disparition d'une bonne part du vignoble, le gouvernement importe massivement du vin d'Algérie qui sature le marché.
Le coupage au sucre étant toujours interdit, les producteurs sont ruinés et entraînent avec eux toute l'économie régionale. En février, une grève des impôts commence à Baixas, le 11 mars, le Comité de défense viticole appelle à la grève et à la démission des conseils municipaux.
Le 12 mai, 150 000 personnes défilent à Béziers. Des barricades sont érigées.
Clemenceau en appelle au sentiment républicain des maires et, dans le même temps, envoie 27 régiments (32 000 soldats).
Le 9 juin, on estime la manifestation de Montpellier à 800 000 personnes.
Le 19 juin, à Narbonne, où le maire socialiste, Albert Ferroul a démissionné, les soldats tirent sur la foule, faisant deux morts dont
un adolescent. Le lendemain, la préfecture est incendiée. Face à une foule qui hurle
sa haine : cinq morts.
Ce jour-là, le 17ème d'infanterie, stationné à Agde et formé de gars du Midi se mutine et gagne Béziers à marche forcée pour protéger la foule contre les autres corps d'armée.
Accueillis par une
population en liesse, les mutins s'installent sur les Allées Paul Riquet, mettent crosse en l’air. La population leur offre vin et nourriture.
À Paulhan,
la voie ferrée est mise hors service par des manifestants qui stoppent
ainsi un convoi militaire chargé de mater les mutins. À Lodève, le sous-préfet est pris en otage.
Il y a négociation, après avoir obtenu la
garantie qu’aucune sanction ne leur sera infligée, les soldats du 17ème acceptent de déposer les armes et regagnent leur caserne le 22 juin, sous bonne escorte et sans aucun incident majeur.
Finalement, le gouvernement établit une surtaxe sur le sucre et
réglemente sévèrement le négoce du vin, donnant ainsi raison aux
manifestants.
Les mutins furent envoyés à Gafsa, en Tunisie , en compagnies disciplinaires tout en restant sous un statut militaire ordinaire. On leur a ensuite réservé systématiquement les assauts en première ligne en 1914.
Il en reste la chanson de Montéhus, Gloire au 17ème, ici chantée par le récemment disparu Marc Ogeret
Populaire fut ce refrain : en octobre 1910, lors d'une grève des carriers à Levrezy, Louis Bara, syndicaliste libertaire, entama le chant, puis
cria "Soldats, crosse en l’air, rompez vos rangs, mettez-vous avec les
travailleurs, faites comme vos frères du 17ème". Il fut condamné, en
février 1911, à 18 mois de prison.
La mémoire de cette grève de 1907 reste vive dans la région. Elle culminera dans le mouvement de 1976, dont on vous a touché un mot ici
Témoin de l'époque où l'on chantait Rouge en Languedoc, Lengadoc Roge de Claude Marti (1973).
Lors d'une semaine consacrée à la ville de Marseille, l'émission La fabrique de l'histoire du 2 janvier a proposé un sujet sur la réapparition de la langue occitane, de sa variante provençale, dans la mouvance musicale marseillaise des années 1990.
Si l'usage courant du provençal a pratiquement disparu, des musiciens s'en sont emparés entre désir de fête, recherche historique ou revendications sociales.
On retrouve là Moussu T et Papet J du Massilia Sound System, Manu Théron du Cor de la plana et de Gacha Empega, Sam Karpenia de Dupain et Gacha Empega, le tout sous l'ombre de l'inévitable Alessi Del Umbria.
Même si, à l'époque, on a assez peu goûté certaines injonctions à la bringue (gens du Midi, exhibez votre joie !) virant parfois au vulgaire folklore, l'émission est passionnante : entre récupération de la mémoire populaire, ouverture sur l'ensemble de la Méditerranée et résistance à une modernité marchande et totalitaire.
Un classique de Dupain. On a pu constater, lors d'un concert dans un bistrot parisien il y a une quinzaine d'année, que même à la capitale, une bonne partie du public connaissait les paroles par cœur. L'usina en concert en 2011.
Poète, écrivain, chanteur revendiqué occitan, il est né à Carcassonne en 1936. Étudiant toulousain, c'est lors d'une soirée organisée par le Monde Libertaire à la Mutualité qu'il est poussé sur scène par ses potes.
Pour le reste ce fin bavard se raconte très bien lui-même.
Extrait de son site :
La vie de
saltimbanque, pour Henri, ça commence à la fin des années 50. Il
« monte » à Paris, fait la manche dans les restaurants,
découvre la « Rive «gauche » et ses cabarets. Léo Noël
l’engage à l’Écluse. Il y partage la scène avec Christine
Sèvres, Gribouille, Barbara, Marc et André…
Climat exaltant.
C’est une famille sans motivation commerciale, on y compose des
chansons sur un coin de table en essayant de faire au plus beau.
Il n’est pas
chanteur mais homme qui chante. Nuance. Un jour, il a l’occasion de
proposer des chansons à Serge Reggiani. « Paris ma rose »
est choisie.
Quand les autres
commencent à chanter pour lui, il cesse de se produire car son désir
est avant tout d’écrire. Jacques Bertin, Gribouille, Christine
Sèvres, Juliette Grèco, Jean Ferrat, Lise Médini, Martine Sarri,
Colette Mansard, Marc Ogeret, entre autres, chanteront ses
chansons...
Vient le grand vent
de 68. En 1969, il créé avec des amis la maison d’édition
Bélibaste* qui publiera sa traduction des « Poèmes politiques
des troubadours »et divers textes anarchisants comme les
« Lettres de prisons » de Rosa Luxembourg (…)
Il conte aussi. Ses
soirées s’intitulent « Le grand parler » ou « Conte
des origines ». Dans « Beau désir », il exalte
avec des contes dits « paillards » la jubilation de la
vie. S’il se rattache à une lignée, c’est celle des
saltimbanques, ces gens intemporels capables d’improviser sur une
scène, un bout de trottoir. Libertaire définitif, il invente sa vie
tous les jours.
Il a écrit seul ou en collaboration plus d'une trentaine de romans et sorti huit disque de 1964 à 1976, dont un en occitan.
"Béton armé", qui fut d'abord chanté par les Frères Jacques se retrouve sur "Chansons pour la ville" de 1973.
Une autre chanson dédiée à Nazim Hikmet, poète communiste turc.
* En hommage à Guilhem Belibaste, dit "le dernier parfait", cathare tardif brûlé à Villerouge-Termenès en 1305. En fait, il s'était converti pour se racheter d'un meurtre, après des années de cavale, il tomba sur un agent provocateur de l'inquisition qui le ramena sur les lieux où on le recherchait. Gougaud en a fait un roman.
... En ces temps de vendanges.
Et aussi aux CAV, Comités d'Action Viticole, héritiers des vignerons du midi rouge de 1907.
Auteurs d'une bataille rangée contre les CRS à Montredon* et d'une trentaine de sabotages de 1976 à 2014 (y compris des vraiment pas clair comme, par exemple le dernier en date à Bessières qui servit de couverture à un superbe braquage)
En 1973, Khadafi leur envoya même un émissaire pour proposer de les financer, offre qui fut déclinée par les travailleurs du pinard.
Claude Marti enregistra ce titre en 76 dont voici la traduction :
Nous sommes en paix et il faut faire guerre A minuit il faudra partir Tout à l'heure, à la barrière Nous nous retrouverons dix-huit.
Sachant bien que sur d'autres routes Marchent ceux du Minervois, De Carcassonne et de Corbières, Nous sommes les commandos de la nuit.
Alors que la loi nous étrangle Nous défendons nos enfants : Ils vont brûler sur la route nationale, Les camions des trafiquants.
Nous n'avons pas eu peur du Tigre En 1907 : Nous nous moquons comme d'une figue Des menaces de Ponia .
Languedoc , si ceux qui travaillent Un jour se prennent par la main Il est sûr que dans la bourrasque Quelque chose de neuf luira.
En attendant, sur d'autres routes Marchent ceux du Minervois, De Carcassonne et de Corbières, Nous sommes les commandos de la nuit
Cette chanson reste toujours chantée dans les fêtes de village et bistrots de la région.
Enfin, n'oublions pas ce slogan d'époque : "Bourrées à toute heure, soutien aux viticulteurs!"
* Dans le département de l'Aude. Résultat du match: 1 mort partout et une tombe régulièrement bousillée, celle du flic que des crétins ont eu l'idée géniale et très républicaine de coller à côté de celle du vigneron.
Évidemment, youtube ayant fini par censurer la chanson, on vous refile donc un film rare et entier ici
Son nom signifie "Main de sorcier" et lui a été donné par des Gitans de Carcassone.
En
1975 il met en musique le célébre slogan VVAP (Volem viure al pais)
Slogan auquel, dans notre souci d'internationalisme, nous répondions alors
"Jou savou pas parler la lengou !"
Mais Mans de Breish (Gérard
Pourhomme, de son état civil) fut aussi un communiste conséquent (pas ceux du
parti, donc) et son disque de 1975 contient ce poème de Joan Bodon commémorant
la grève des mineurs de Decazeville en 1962 et 1963 (un an d'une grève
toute aussi perdue que celle de leurs camarades britanniques quelques temps après !).
Suivi d'une chanson qui conseille d'exproprier le patronat, ce qui reste on ne peut plus d'actualité.
Aux dernières nouvelles on en est encore là et Mans de Breish est remonté sur scène au début des années 2000...
Comme promis en avril, le clip de nos marseillais préférés :
O moun bòn Joan, o moun coulègam'en arriva una que'm pega.Mas de que paoun de mòun essian?M'an pas dit vai t'en mal, feniant.Veçì la causa: dins l'usinaOunt eri desprès quarante ansLou patroun me fesait la mina.Desièu ren, mis pichouns an fam,Maougar que je sitgi de paouvaAou travailh, el n'ès pas countent,Aou travailh, era pas countent. (Premier couplet)