Affichage des articles dont le libellé est Viva el arte. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Viva el arte. Afficher tous les articles

lundi 12 juin 2023

Chronique cinoche : Modelo 77

 

Le réalisateur Alberto Rodríguez avait déjà commis l'excellent thriller post franquiste La isla minima en 2014. Avec Modelo 77 (Prison 1977) il s'attaque à un thème assez peu évoqué hors des cercles anti carcéraux ou connaisseurs des années de la "transaction" démocratique espagnole.
Dans la période où il fut question d'amnistie au compte-gouttes pour les "politiques".
On y suit les prises de conscience puis la révolte des prisonniers "sociaux" (de droit commun) au sein des taules ibériques, en particulier par la création de la COPEL (Coordination des prisonniers en lutte), les différentes étapes de cette confrontation et on y évoque la fameuse "évasion des 45" qui bouleversa Barcelone en 1978. Les trahisons de l'administration pénitentiaire, des politiques et le lâchage massif d'héroïne sont aussi traités.
Disons le tout net, on a trouvé ce film passionnant. Les acteurs (Miguel Herrán, Javier Gutiérrez, Fernando Tejero, et le gitan Jesús Carroza entre autres) irréprochables, la photographie virtuose et le film haletant. En outre, c'est bien moins putassier que Celda 211 qui avait tout de même un certain charme.
 
Mais surtout, on est allé voir ce qu'on pu en dire les anciens protagonistes. Et on a trouvé deux articles
Daniel Pont trouve le film "digne, honnête, nécessaire" en soulignant à quel point, en prime, la situation carcérale s'est durcie et dégradée. Rien de plus juste sur ce dernier point.
Fernando Alcatraz, de Valencia (https://tokata.info/pros-y-contras-de-modelo-77-por-otro-participante-mas-en-la-copel/) dans un long texte, sans nier son plaisir de spectateur développe quelques critiques censées être plus "radicales".
En vrac, il est déçu que le film ne tienne pas compte des événements chronologiques, ne rende pas l'ambiance globale de l'époque 1976/1978 avec non pas uniquement des luttes de prisonniers mais généralisées (de quartier, ouvrières, etc.) et fasse donc comme si c'était "hors de l'Histoire". Et là, on ne l'approuve pas entièrement.
C'est un film, camarade. Et avec un scénario et une durée de 2h05. on ne peut jamais tout y mettre. Constance des films de prison : on suit l'itinéraire de deux ou trois personnages et à travers leur Odyssée enfermé, on développe toute une situation alentour (voir Brute Force de Jules Dassin ou Animal factory de Steve Buscemi pour deux exemples très honorables). On a suffisamment de reproches à adresser aux oeuvres littéraires (BD ou romans), ou cinématographiques qui chargent la mule et se perdent dans les méandres des événements racontés pour ne pas être d'accord avec les déceptions d'un ancien activiste.
Il s'agace aussi du manque d'argot de l'époque. Là, on peut comprendre que c'est du cinéma et que les producteurs n'auraient jamais laissé tourner un film dans un langage des années 70 que plus personne ou pas grand monde ne comprend. Ceci dit, y'a moyen de saupoudrer et ils auraient pu faire un effort. Je me souviens du film La peur qui m'avait particulièrement énervé car les poilus dans les tranchées s'y exprimaient avec un vocabulaire et un ton des années 2010. Ce qui bousille tout le film.
Un truc pas compris, par contre, c'est pourquoi pour les transferts suite à une émeute, on envoie les "meneurs" à El Espinar (Ségovie) plutôt qu'à El Dueso (Santander). D'autant que cette partie a été tournée dans une caserne désaffectée de Séville... Mais bon, détail.
Le reste a été tourné à la Modelo de Barcelone ou ce qu'il en reste et la réussite est que ce bâtiment dévoreur d'hommes en devient un vrai protagoniste.
Z'aurez compris que ce film ayant fait une carrière confidentielle en France, n'hésitez pas à le rechercher, on vous garantit un bon moment globalement honnête dans ses intentions.  

Et une qui fit les belles heures de cette période.

dimanche 29 août 2021

De Bertold Brecht à Ivà : le dernier truand

 

En 1928, en introduction de leur Dreigroschenoper, Bertold Brecht et Kurt Weill créèrent le personnage de Mackie Messer (Mackie le surineur) et le dotèrent d'une complainte qui fera le tour du Monde, Die Moritat von Mackie Messer.
Ici par Lotte Lenya, interprète préférée et un temps épouse de Weill.
 

 
Le personnage d'assassin est inspiré du bandit Macheat de l'opéra originel de John Gay, le Beggar's opera
Même si la pièce de Brecht ne connaît pas un succès immédiat, cette chanson sera l'objet d'innombrables reprises, particulièrement aux États-Unis (Armstrong, The Doors, Sinatra, Fitzgerald, etc.) Voici la première version gravée en français par Florelle.

Et le personnage va prendre un nouvel aspect, totalement inattendu.
L'Espagne avait elle aussi été contaminée par le tube berlinois, repris, entre autre, par José Gardiola.
Mais en 1986, le génial auteur de BD Ramón Tosas (1941-1993), mieux connu comme IVÀ (acronyme de tentative de variations artistique) invente un immortel personnage de braqueur philosophe et anarchisant : Makinavajas, el ulitimo choriso (Maki la lame, le dernier des truands). Au moment du boom de la bande dessinée péninsulaire (grâce à des revues comme El jueves) et d'un mouvement antimilitariste explosant dans la jeunesse, Ivà avait déjà créé Historia de la puta mili pour brocarder l'armée de sa majesté Juan Carlos. Il fallaitt une certaine dose de courage pour s'attaquer à l'institution militaire en Espagne. 
Maki et sa bande (Popeye dit Popi, Mustafá dit Mojamé ou Moromielda, tous réunis au bar "El Pirata" du barrio chino de Barcelone) s'attaquent non seulement aux banques, bijouteries et autres réservoirs de fric mais aussi à toutes les institutions du pays, politiciens, prisons, bourgeoisie catalane, immobilier, tourisme, salariat...

Dessinés grossièrement, les protagonistes valent surtout pour un vocabulaire incroyable, mixture d'argot gitan, de parler populaire du Barrio Chino et surtout, de néologismes et d'insultes inventés par l'auteur, le tout prononcé (vous avez bien lu) avec un tel accent qu'on conseille à ceux qui découvriront ça de d'abord lire à haute voix sinon on est vite paumés. Certaines expressions vont même passer à l'usage courant ("Cagontó !" ou “Po fueno, po fale, po malegro” par exemple).
Tout en menant un travail de destruction systématique de la corruption policière, du cinqcentenaire de la "découverte" de l'Amérique, de la trahison syndicale, des arnaques immobilières, du racisme, de la modernisation à outrance, en particulier de la ville de Barcelone en pleine transformation, de la politique carcérale et autres joyeusetés, les aventures de Makinaja vont connaître une popularité phénoménale. Peut-être parce qu'outre ses outrances verbales, le thème est avant tout la revanche des petites gens et l'évidence que des braqueurs de banque ne sont, au fond, que de petits criminels dans une société où tout le monde se rue sur le pognon. 
Le succès est tel que la BD sera adaptée au théâtre en 1989 avec musique du groupe flamenco rock Pata Negra, au cinéma pour deux films en 1992 (l'année des jeux Olympiques !) et 1993 et en série télévisée en 1994. 
Évidemment, malgré quelques acteurs flamboyants, toutes ces adaptations n'arrivent pas à la cheville de la BD.
Devenu, lui-même, une machine à générer du fric, Ivà n'avait plus qu'à disparaître dans un accident de circulation. 
Le générique de la série télévision où Maki était joué par Pepe Rubianes et la chanson par Cabecera.


Il ne reste plus qu'à vous souhaiter la lecture de l'intégrale qui est encore et toujours régulièrement rééditée. Après ça vous serez armés pour n'importe quelle situation dans une rue espagnole.
Et à s'arrêter sur un dernier hommage par le groupe punk et déconneur de Pampelune, Tijuana in Blue, sur son album de 1988, A bocajarro.

dimanche 9 mai 2021

Garcia Lorca, Leonard Cohen et le duende


Prenez un grand nom du flamenco, Enrique Morente (1942-2010) qui fit ses premières armes au quartier de l'Albaicin à Grenade. Adjoignez-lui des guitaristes virtuoses comme Tomatito ou Vicente Amigo et quelques percussionnistes méritants tel Tino di Geraldo. En guise de surprise du chef, rajoutez un groupe de rock, lui aussi grenadin, qu'on a qualifié de l'appellation fourre-tout "post-punk" à l'époque. 
Comme nous sommes entre Andalous de bonne compagnie, pourquoi ne pas mettre du Garcia Lorca en zizique ? Plus précisément des poèmes tirés du recueil  Poeta en Nueva York
Houps ! C'est alors que vous réalisez qu'un certain Leonard Cohen, qui a eu un certain succès, vous a devancé sur quelques titres.
Qu'à cela ne tienne, on enregistrera aussi des chansons du gars en les arrangeant à la sauce flamenca. 
Même qu'on appellera le disque Omega et que ce sera un bon coup de saton dans le monde assoupi des cantaores en cette année 1995.


Et que croyez-vous qu'il advint ? 
Une bonne partie de ce que la péninsule compte de critiques et d'aficionados (autre mot pour puristes pénibles) ont hurlé à la trahison, à la bâtardise, voire à la prostitution !
Et pourtant, vingt six ans plus tard cet album demeure une des plus beaux, un des plus sincères hommages rendu aux deux poètes, l'Andalou et le Canadien.
Il suffit d'écouter Este vals pour s'en convaincre.
 

 
Et de comparer avec la version de Cohen pour mémoire (ici en concert à donostia en 1988)


Pour mieux mesurer le talent de nos iconoclastes du Sud, une autre version du maestro (first we take) Manhattan nettement à l'avantage de nos chers grenadins.
 

 

 


 

mardi 2 février 2021

Pour García Lorca (et Marie)

(José Guadalupe Posada)

On a toujours professé le plus grand respect pour les traducteurs et traductrices qui se sont risqués à s'attaquer à l'immense Federico García Lorca. On en a fréquenté une, figure libertaire et féministe bien connue du Toulouse des années 1960 à 1990. Marie L., atteinte d'une poliomyélite, abritait un merveilleux cerveau dans un corps torturé. C'était du temps ou même les plus incorrigibles pacifistes n'hésitaient pas à donner des coups de main à des camarades plus agités ou énervés non sans le regard mélancolique de rigueur. 
Mais revenons à ce cher Federico, touche-à-tout de génie foudroyé par des ordures un 19 août de l'année 1936.
Prenons, une chanson en apparence toute simple : la Canción del jinete, enregistrée par Paco Ibañez  la première fois en 1965.
 
Les deux premiers couplets sont 

En la luna negra de los bandoleros,

cantan las espuelas.
En la luna negra de los bandoleros,
cantan las espuelas. 
Ay, caballito negro, 
¿Dónde llevas tu jinete muerto? 
¿Dónde llevas tu jinete muerto? 

Las duras espuelas del bandido inmóvil

que perdió las riendas.
Las duras espuelas del bandido inmóvil
que perdió las riendas.
Ay, caballito frío,
¡Qué perfume de flor de cuchillo!
¡Qué perfume de flor de cuchillo!
 
Ce qui pourrait donner
Sous la lune noire des brigands
chantent les éperons (x2)
Ô petit cheval noir
où mènes-tu ton cavalier mort ?
 
Les solides éperons du bandit immobile
qui a lâché les rènes (x2)
Ô petit cheval noir
quel parfum de fleur de couteau !
 
On vous laisse imaginer le nombre d'autres formulations jouables. 
Et on s'écoute une autre merveille du maestro, le Romance de la Guardia Civil española, en référence au Corps  vert qui terrorisa son Andalousie durant des décennies. 
Elle est interprétée ici par Vicente Pradal.
 
 
Il semblerait qu'on manque un peu de ciel bleu et de murs à la chaux blanche, ces temps-ci. Et d'un fino en terrasse.
n la luna negra de los bandoleros,
cantan las espuelas.
En la luna negra de los bandoleros,
cantan las espuelas.
Ay, caballito negro,
¿Dónde llevas tu jinete muerto?
¿Dónde llevas tu jinete muerto?
 
Las duras espuelas del bandido inmóvil
que perdió las riendas.
Las duras espuelas del bandido inmóvil
que perdió las riendas.
Ay, caballito frío,
¡Qué perfume de flor de cuchillo!
¡Qué perfume de flor de cuchillo!
https://lyricstranslate.com
En la luna negra de los bandoleros,
cantan las espuelas.
En la luna negra de los bandoleros,
cantan las espuelas.
Ay, caballito negro,
¿Dónde llevas tu jinete muerto?
¿Dónde llevas tu jinete muerto?
 
Las duras espuelas del bandido inmóvil
que perdió las riendas.
Las duras espuelas del bandido inmóvil
que perdió las riendas.
Ay, caballito frío,
¡Qué perfume de flor de cuchillo!
¡Qué perfume de flor de cuchillo!
https://lyricstranslate.com
En la luna negra de los bandoleros,
cantan las espuelas.
En la luna negra de los bandoleros,
cantan las espuelas.
Ay, caballito negro,
¿Dónde llevas tu jinete muerto?
¿Dónde llevas tu jinete muerto?
 
Las duras espuelas del bandido inmóvil
que perdió las riendas.
Las duras espuelas del bandido inmóvil
que perdió las riendas.
Ay, caballito frío,
¡Qué perfume de flor de cuchillo!
¡Qué perfume de flor de cuchillo!
https://lyricstranslate.com

mercredi 6 mai 2020

Tranche de vie (Ibérique)


Le pire est que le système consistant à arracher des aveux de culpabilité aux innocents n'était pas seulement utilisé avec les prisonniers politiques mais aussi et, je le crains, de façon plus généralisée, avec les délinquants de droit commun.
Mais eux, personne ne prend leur défense, les héros sont les activistes politiques, les ouvriers et les étudiants, personne ne parle de la pauvre andouille qu'on arrête, à qui on essaie de coller le délit d'un autre et qu'on massacre de la même façon. Personne ne demande la libération des voleurs qui ont souffert plus que tout autre du système policier, judiciaire et pénitentiaire franquiste, ils en ont certainement souffert plus, parce que le traitement qu'ils subissaient ne faisait pas scandale comme celui des prisonniers politiques, ils ne soulevaient aucune protestation internationale, ne provoquaient ni grèves ni manifestations, ils n'avaient pas d'avocats prestigieux en mesure d'arracher pour eux un minimum de garanties dans le déroulement d'un procès.
Quelqu'un devrait écrire l'histoire de la petite délinquance sous le franquisme car de nombreux escrocs minables mériteraient une plaque commémorative ou au moins une tombe décente, étant donné ce qu'ils ont souffert. Un jour on videra les barrages et remonteront à la surface les voleurs de poules qui sont entrés un soir dans un commissariat ou une caserne et n'en sont pas sortis vivants, ceux que personne n'a réclamé.
Isaac Rosa La mémoire vaine


vendredi 3 avril 2020

Peur sur les villes

Ces deux-là n'ont pas leurs attestations

Extrait d'un courrier envoyé depuis Madrid le 2 avril
Et oui, la dystopie avance à pas de géants. Ici de facto, nous sommes en État d'exception avec soldatesque et flics dans les rues qui alignent les gens, faut avoir le sauf-conduit, etc.  
Les entreprise de téléphonie mobile ont accepté de refiler les données des mouvements des abonnés aux autorités, soi-disant anonymement et juste pour des statistiques pour le contrôle sanitaire de la pandémie (OUARF ! OUARF ! OUARF !).
L'autre jour, le ministre de l'intérieur a causé de "possibles sanctions pénales" pour plusieurs contaminés qui s'étaient barrés des hôpitaux sans avoir l'autorisation médicale (ce qui ne me surprend pas, vu ce que me racontait X qui y a passée trois semaines) et la flicaille a été à leur domicile pour les choper et les ramener à l'hosto. J'hallucine ! Voilà t-il pas que l'assistance sanitaire devient un devoir et plus un droit ! Voyons voir, si je décide de rentrer chez moi me guérir seul (ou mourir) en restant confiné, quel est le problème pour la santé publique ?
Enfin, tout ça est biiiiieeeen pire que ce qu'on déguste avec ce microbe de merde. On va avoir pas mal de boulot à faire dans les rues quand on aura fini notre peine, frangin. 

Quant aux prisons sur lesquelles tu m'interrogeais l'autre jour, ils ont renvoyé chez eux les prisonniers en semi-liberté. Jusqu'à maintenant, que je sache, il n'y a pas eu de grosses émeutes sauf dans les CIES (camps de concentration pour migrants). Certains les ont purement et simplement ouverts et les détenus se sont libérés eux-mêmes. Mais en ce qui concerne les taules, ça ne va pas tarder à péter.
 

L'Espagne ayant à peu près une semaine d'avance sur la France, on jure que ceci n'est pas destiné à ruiner le moral du lectorat mais à l'inviter à en tirer les conclusions qui s'imposent. 

En 1346, les gentes dames filaient la quenouille pour payer les rançons des chevaliers captifs des godons après Crécy. En 1917, les marraines de guerre tricotaient des chaussettes pour les vaillants poilus englués dans la gadoue. En 2020, on coud des masques artisanaux pour le personnel médical dépourvu du minimum vital.
Après tout oui, on est peut-être en guerre. Le point commun de ces trois situations étant la nullité crasse du haut commandement.


Pour d'évidentes raisons d'isolement, Radio Canal Sud rejoint Radio Paris en gavant son ordinateur de rediffusions. 
Pas de Vanneaux d'avril donc, mais les amateurs de direct auront droit à l'Herbe Tendre de décembre 2015. Actualité oblige.

lundi 9 septembre 2019

Souvenir du Maestrazgo

photo Agustin Centelles

C’est à Calanda que se situe un évènement assez extraordinaire, je pense (je ne sais pas si d’autres villages l’ont connu) , je veux parler de la proclamation publique de l’amour libre. Un beau jour, sur ordre des anarchistes, le crieur public s’avança sur la place principale, emboucha une petite trompette, sonna puis déclara :
- Compañeros, à partir d’aujourd’hui, l’amour libre est décrété à Calanda !

Je ne crois pas que cette proclamation, accueillie avec la stupéfaction qu’on imagine, ait eu des conséquences remarquables. Quelques femmes furent agressées dans les rues, sommées de céder à l’amour libre (dont personne ne savait bien ce que c’était) et, sur leur très vif refus, relâchées. Mais les esprits demeuraient troublés.
Passer de la rigidité sans faille du catholicisme à l’amour libre des anarchistes n’était pas une mince affaire. Pour remettre en ordre les sentiments, mon ami Mantecon, gouverneur d’Aragon, accepta d’improviser un discours, un jour, du haut du balcon de notre maison.
Il déclara que l’amour libre lui paraissait une absurdité et que nous avions autre chose à faire, ne fût-ce que gagner la guerre.

Luis Buñuel Mon dernier soupir (1982)

Une reprise d'Oum Kalthoum pour honorer le maître. 
 

dimanche 10 février 2019

Camarón

Le flamenco se chante avec des fautes d'orthographe.
Rancapino


Inutile de chercher des ressemblances entre ce fandango, grand succès du Cabrero, et Soy gitano, Rosa María, Canastera ou La Leyenda del tiempo. Paco de Lucía le résumait ainsi : « Si d’autres cantaores font appel à des thématiques sociales, la voix déchirante de Camarón évoque, à elle seule, toute la désolation de son peuple. »
Le Cabrero parque ses chèvres et se rend là où il doit jouer avec plusieurs heures d’avance. (...) Vêtu de noir, portant son foulard à la Clint Eastwood et chantant dans la voiture, il part dans des villages, conduit par Jeromo et aime prendre tranquillement son gazpacho, s’essuyer la bouche à son mouchoir et, s’il le faut, discuter avec les gens, puis, s’en aller sans se presser.  
Le cas de Camarón est tout autre mais Jeromo a su s’adapter aux deux.
Pour José, il a versé deux fois des larmes en vingt minutes. La première fois de peine, lorsqu’on lui a appris sa mort à la Feria de Séville, la deuxième, de joie, quand on lui a appris qu’il s’agissait d’une fausse rumeur.

Pachón ne pensait pas que Camarón appréciait réellement Lorca. Le producteur estime qu’on peut transmettre un profond sentiment même si le cantaor ne le saisit pas.
Il marchait à l’intuition. Dans le titre La leyenda del tiempo (« El sueño va sobre el tiempo flotando como un velero* ») Camarón demandait à Pachón « Mais qu’est ce que ça veut dire ? »
Et l’autre haussait les épaules car il n’avait pas, non plus, la moindre idée de la signification de ce poème.


La douleur d'un prince, une biographie de José Monge Cruz, à jamais Camarón de la Isla, plutôt centrée sur son entourage, par Francisco Peregil (Les Fondeurs de briques)


* Le songe file avec le temps / flottant comme un voilier.

lundi 31 décembre 2018

Les Vanneaux à la fête

Gilets rouges, rond-point de Stalingrad, janvier 1943
Le 31 décembre 2018, les Vanneaux se retrouveront donc à un rendez-vous qui sera révélé à 23h45 pour honorer dignement une année qui nous promet tous les dangers et bien des espoirs. Les festivités suivront.
Le 7 janvier 2019, ils célébreront donc la fête sous toutes ses formes et en chansons. Sur les ondes de Canal Sud à 17h30.

En guise d'apéritif, et en hommage aux tovaritchs de l'illustration ci-dessus, les joyeux bougres du groupe  Отава Ё (Otava Yo) venus du far-east : Про Ивана Groove, dans lequel, puisque Ivan a disparu, sa chère et tendre part jouer du violon dans la rue.



Suivi des rudes conséquences de nos excès, ici illustrées par le maître es flamenco burlesque et coupe de jambon noir, Tito el Francès, avec une vidéo artisanale.


mardi 23 mai 2017

Flamenco de circonstance

De Goya
Pour célébrer le prochain déménagement de la dépouille du nabot d'El Ferrol de son immonde monument et en attendant l'éradication d'icelui.


A ustedes señores míos
nuestros dignos mandatarios
quiero aclararles un punto
que es necesario aclararlo.

Ustedes fueron guerreros
azules rojos o blancos
ustedes se asesinaron
como lobos sanguinarios.

A ustedes señores míos
se os llenaron las manos
de sangres de oscuros gritos
que fue inundando los campos.

(...)

A ustede señores míos
ilustrísimos falsarios
quería aclararles un punto
que quede bien aclarado.

Y por más vueltas que le doy
no me queda más remedio
que seguir siendo quien soy.


À vous messeigneurs,
nos dignes gouvernants
je veux éclaircir un point
qu’il vaut mieux préciser

Vous fûtes des guerriers
rouges, bleus ou blancs.
Vous vous êtes assassinés
comme des loups sanguinaires
Vos mains, mes seigneurs
débordent de sang
de cris obscurs
répandus sur les champs.
(…)
Donc, messeigneurs,
illustres faussaires,
je veux éclaircir un point
qu’il vaut mieux préciser
Et j’ai beau y penser mille fois
il ne me reste pas d’autre issue
que de rester ce que je suis.

dimanche 20 septembre 2015

Vivre vite, mourir jeune et laisser une belle image

Scène de la transaction* démocratique espagnole
On profite de l'édition d'un livre consacré au groupe du Mans, Nuclear Device, coédité par nos camarades de Libertalia et de la Boite à Outil pour se pencher sur une chanson de ce groupe qui fit les beaux jours de nos années quatre-vingt.
Sans raconter notre vie, ça nous rappelle une anecdote.
C'était en 1985 (ou 1986, d'ailleurs). Lassés des concerts hors de prix et d'attendre que nos groupes chéris daignent avoir la faveur d'un tourneur, avec quelques potes du Mirail, on organisa un concert en banlieue toulousaine, une soirée avec le label Bondage : au programme Washington Dead Cats, Ludwig von 88, les Béruriers Noir et Nuclear Device.
Au cours de la conversation avec ces derniers, après les avoir gentiment moqués pour leur titre "Arriba España" (en cette ville qui se targuait d'être la deuxième capitale espagnole, l'utilisation de ce slogan franquiste en fit s'étrangler plus d'un) on causa cinoche. Et on leur conseilla chaudement d'aller voir un de nos films, préféré qu'on regardait alors en boucle, Deprisa, deprisa (en français Vivre vite) de Carlos Saura.
Non seulement nos sarthois ont suivi le conseil mais ils en ont tiré profit.
Deprisa, deprisa, c'est un peu l'apogée du film Quinqui**, genre spécifiquement espagnol des années 1976 / 1984.

Loin des frasques des branchouilles petits bourgeois de la Movida, ces films narraient les aventures de délinquants juvéniles (interprétés par de vrais voyous souvent payés sur la bête) dans leur quotidien au sein d'un pays d'après dictature où rien n'avait changé.
Des bagnoles, des braquages, de la dope, des filles et des garçons perdus dans leurs quartiers de clapiers en construction, des flics tortionnaires, voilà qui fit le quotidien des jeunes de Madrid, Barcelone ou Bilbao et le succès de ce sous-genre cinématographique (un million d'entrées pour Perros callejeros de Antonio de la Loma)    
On a même vu certains bandits célébres comme El Torete ou El Vaquilla y faire des apparitions.
Longtemps avant l'existence du gangsta rap, la bande son de ces films était constituée de beaucoup de flamenco à tendance rumbero, d'un peu de rock local et d'une pincée de disco.
Carlos Saura avait anticipé le genre d'une bonne décennie en réalisant Los Golfos (les voyous) en 1962.
En 1981, il récidive en contant l'histoire romantique et sans avenir de trois amis et d'une fille qui passent du vol de "bugas" (tires) au braquage. Le tout pour tuer l'ennui et s'insérer dans une normalité désespérante, devenant ainsi le reflet de cette société qu'ils rejettent.
Plusieurs acteurs don Jésus Arias ("Meca") ont eu une belle carrière carcérale et on en retrouvera même dans la COPEL (Coordination des Prisonniers En Lutte)
On vous envoie les premières minutes et on parie que la musique d'ouverture, écrite pour l'occase par los Chunguitos, ne vous est pas tout à fait inconnue.



* z'avez bien lu.
** Plus ou moins "ferrailleur" de l'argot gitan, systématiquement employé dans ces films.

lundi 5 mai 2014

Et un romancero pour changer un peu

Celui de Durruti 

Durruti sur le front d'Aragon
Allez, encore un petit détour en castillan. Vamonos....
Le Romancero est une forme de poésie espagnole en octosyllabe qui remonte au XIVème siècle.
Ses thèmes sont propagandistes (La reconquista) héroïques (Le Cid) satiriques ou lyriques. Au XXème siècle, le gennre a été repris par les plus grands poètes dont bien entendu Federico Garcia Lorca ("Le romancero de la Guardia Civil") ou Miguel de Unamuno.
Et ça continue de nos jours... Les extraits du romancero présentés ici sont consacrés à la figure de l'anarchiste Buenaventura Durruti (1896-1936).
Metallurgiste, syndicaliste, homme d'action, braqueur pour la cause, coordinateur de la colonne qui portait son nom, libérateur de l'Aragon et sauveur de Madrid, on ne va pas ici vous faire la biographie du monstre sacré de l'anarchisme qui a déjà inspiré tellement de musiciens. Biographie et bibliographie en cliquant là.

Ironie du sort, Chicho Sanchez Ferlosio, le chanteur* ici présent, est un des fils de Rafael Mazas, co-fondateur, avec José Antonio Primo de Rivera, de la phalange espagnole (fasciste). Rompant définitivement avec son milieu familial, il est entré au Parti Communiste avant d'émigrer vers des positions pro-albanaises qu'il fuira suite à ...un salutaire séjour en Albanie pour aller se rapprocher des libertaires en 1976, année des meetings monstres qui ont pu faire espérer un renouveau de la cause.

Mai 2015 : une version sous-titrée en français est disponible. Ne nous en privons point.



Extraits choisis :
"Voici venir Durruti face à la caserne
qui ordonne aux soldats de se rendre."
"L'histoire des trois amis qui ne se firent pas anarchistes par hasard,
Los Solidarios..."** 
"Ou vous libérez Durruti ou il n'y aura plus de métal dans tout le pays..."
"Maudits socialistes, vendus au patron...
...on réglera tout ça le jour de l'addition"
Y'a pas que la java dans la vie ! 
Ces miliciens-là sont du POUM mais on s'en fout.

* Il est aussi correcteur de presse et inventeur de nombreux jeux et casse-têtes.
** Durruti, tué lors de la bataille de Madrid le 20 novembre 1936, Francisco Ascaso, tué à Barcelone le 18 juillet 1936, Joan Garcia Oliver sera nommé ministre de la justice en 1937 avant de finir au Mexique en 1980.