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mercredi 6 janvier 2021

On a chanté la Veuve

Le 9 octobre 1981, Robert "les Gros sourcils" priva notre beau pays de l'outil qui, comme la Tour Eiffel ou le camembert, lui assurait une notoriété mondiale. Rassurez-vous, les socialos mettront vite en fonction des Quartiers d'isolement, des peines incompressibles et tout un attirail destiné à faire miroiter une mort lente aux voyous et autres malfaisants. Pour mémoire, le regretté Giscard d'Estaing doté "d'une aversion profonde à la peine de mort" avait fait raccourcir trois personnes et au moins quatre autres attendaient la visite matinale du coiffeur au 10 mai 1981. 
Auparavant, l'immonde joujou des Deibler (bourreaux de père en fils de 1853 à 1939) avait excité les imaginaires, surtout lors d'une "Belle époque" où il s'agissait de vivre vite et de laisser un beau cadavre. 
Anatole Deibler (400 exécutions au compteur) et deux apaches de la bande de Béthune dont il se chargea.
 
Rappel historique : dans un souci d'humanisme, d'égalité, de sérénité et d'abolition des privilèges (seule la noblesse avait alors droit à la décapitation) l'Assemblée nationale adopta la guillotine le 6 octobre 1791. 
Contrairement à la légende, cette loi n'est pas l’œuvre de Joseph Ignace "appelez-moi docteur" Guillotin mais des députés Lepeltier et Saint Fargeau. Le bon docteur s'était contenté de suggérer pour accompagner les exécutions équitables un instrument déjà populaire dans les pays germaniques depuis le XVIème siècle, visant "à supprimer des souffrances inutiles".
Son engin fut rebaptisé du nom de son promoteur qui sera assez vite écœuré par l'utilisation industrielle qu'on lui trouvera. Contrairement à la légende, Guillotin mourut dans son lit à 75 ans.
Mais l'enthousiasme des patriotes se traduisait déjà en chansons, dont une qui dut ensuite inspirer le Père Léon, La guillotine permanente, tube de 1793, ici repris par Catherine Ribeiro dans un disque commémorant le bicentenaire de la Révolution.

L'image d'Épinal veut que la béquillarde ait tourné à plein rendement lors de la Terreur robespierriste. Certes, Samson (ça ne s'invente pas) exécuteur des basses œuvres n'a pas chômé, pas plus que les pauvres rémouleurs chargés d'aiguiser la bête. Mais, contrairement à bien d'autres symboles, la Restauration ne se débarrassa pas d'un engin si ingénieux et durant tout le XIXème, la bascule à Charlot ravagera le pays. A l'instar du bagne, on y passait pour un oui ou pour un non, en témoigne le fameux Derniers jours d'un condamné que Victor Hugo a mis trois années à oser signer de son vrai nom. C'était l'époque des complaintes criminelles.
Pour les grandes occasions, l'État préférait tout de même les canons chargés à la mitraille et la troupe qui chargeait pour calmer les ardeurs du populo.
Au tournant du siècle, vint la mode du voyou faubourien, mi-romantique, mi-épouvantail à bourgeois, qui trouva son accomplissement avec la figure de l'Apache* de la soi-disant Belle époque. Malgré l'opposition déclarée à la peine de mort du débonnaire président Armand Fallières, les exécutions en public restèrent encore le spectacle gratuit devant lequel on s'indignait, voire on se bastonnait avec les sergots (comme celle de Liabeuf en 1910) lorsqu'on ne se réjouissait pas du balcon en sablant le champagne.
C'était l'âge d'or des cabarets et des chants d'apaches. Devant un tel déferlement, on vous en pose deux, l'inévitable décrivant les derniers instants d'un voyou, écrite par Bruant, À la Roquette, ici par Bromure, des skins parisiens (2017).


 On ne saurait oublier l'impeccable Jacques Marchais dans son anthologie On a chanté les voyous un de nos disques de chevet, qui chanta une chanson de Desforges et Gueteville, créée par Reschal au cabaret l'Horloge, les confidences ironiques d'un futur guillotiné : Monte à regret
Ce qui n'est par ailleurs qu'un autre nom de la Veuve ou la rue de Limoges qui va de la taule à la place fatale.
Mais les beaux jours s'enfuient et le spectacle des exécutions au petit jour devient pénible à un public avide de happy ends avec l'arrivée du cinématographe.
 
Ainsi, vu le flou, le photographe qui prit le document ci-dessus devait être quelque peu ému ou frigorifié à l'occasion de l'ultime exécution publique, celle d'Eugène Weidmann, à l'aube du 17 juin 1939.
Désormais, on planquera les assassinats légaux derrière de hauts murs et la peine de mort se trimballera une réputation de plus en plus honteuse même si elle eut et a encore de chauds partisans. De 1968 à 1978, elle sera encore prononcée trois à quatre fois par an aux assiettes.
Mais on trouvait alors peu d'amateurs pour la braver ouvertement. et quelques indécrottables réacs pour la célébrer. Les années 1970 sont plutôt au chagrin et à la pitié.
On terminera donc ce tour d'horizon incomplet par un sympathique chanteur de variétoche, Julien Clerc, qui met en musique une chanson de Jean-Loup Dabadie en 1980, L'assassin assassiné.
 

 

* À creuser aux rubriques "Cabaret" ou "Bandits bien aimés" sur ce même blogue.

jeudi 19 novembre 2020

Suites polonaise


C'était il y a une trentaine d'années. Vautrés devant le magnétoscope, nous regardions le pachydermique film de David Lean, Docteur Jivago. Plus exactement, la scène de la manifestation de 1905 avec orchestre. Et l'amie Maria G. émit cette interrogation mémorables :
- Pourquoi les Popovs jouent-ils A las barricadas ?
- Parce qu'à la base, ça s'appelle La Varsovienne et que les Russes la chantaient aussi.
- M'enfin, c'est l'hymne de la CNT.
- Pas à l'origine. Varsovie n'est pas dans la péninsule ibérique, si je me souviens bien.
- Tu dis vraiment n'importe quoi ! C'est de chez nous, ça.
Si elle n'avait pas disparu, je crois qu'elle en serait encore persuadée. 
 
Examinons l'objet du délit.
Ce tube universel, Warszawianka serait né comme chant de révolte des internés anti tsaristes en 1893 et aurait été écrit par le poète Wacław Święcicki. À ne pas confondre avec la Varsovienne de 1831 qui se jouait sur l'air de la Marseillaise.
La chanson fut massivement entonnée par les révolutionnaires russes de 1905, puis de 1917, qui l'ont popularisée dans l'imaginaire des révoltés du Monde.
Ce qui fait que l'immortel pom pom popoom fut adapté dans différentes langues.
Contrairement à ce qu'affirme certaine encyclopédie en ligne, la version française ne vient pas des guérilleros espagnols de la Résistance. elle fut écrite par Stefan Priacel et Pierre Migennes. Et fut particulièrement populaire dans la mouvance communiste.
Une version par Catherine Ribeiro qui ne plaisante pas


Là où l'Histoire a de belles ironies et que l'amie Maria avait quelques raisons de sursauter, c'est lorsque cette scie, nationalisée en par les bolcheviques en URSS, fut adoptée par les anarchistes espagnols dans sa version écrite par Valeriano Orobón Fernández, publiée en 1933 dans la revue Tierra y Libertad
Ce qui en fit le chant de guerre de la CNT et son hymne officieux.


Donc, le chant résonna bien dans les maquis de France et aux barricades parisiennes. 
Et voilà encore une chanson partagée par des gens aux idées incompatibles. J'en connais même qui collectionnent les versions.
On avoue un faible pour celle qui ouvrait le deuxième maxi de La Souris Déglinguée en 1982. Sauvage plus que martiale, comme on aime, quoi.