J’ai débarqué dans ce foutu terrain vague à
Montreuil, la caravane au cul d’une camionnette conduite sans permis.
Novembre, la pluie, la boue… J’ai réappris la vie dans ce décor de rêve :
un cirque abandonné, des ânes, des arbres qui refleurissent au
printemps, des roms qui ont mis les voiles depuis mais qui sont restés
mes frères, des bandits, des voyous. Il y a aussi Blacky qui gère le
courrier et qui répare nos tires. J’étais venu pour faire du son et j’ai
été servi : Kik Liard à l’harmonica, Rön « Droogish » aux guitares et
Visten « Fatcircle » à la batterie. Des sauvages ! Avec eux des chansons
sont venues et on est devenus des potes. On a surtout monté un crew
redoutable et infaillible prêt à tout déboîter sur scène. Rock’n’roll ma
gueule !
Faisons un point rapide au sujet du rock 'n roll de proximité au rayon cuir prolétaire, mobylettes, banlieue, canettes et mégots à l'ancienne : Papa Schultz nous a lâché voilà plus de sept ans, les Moonshiners sévissent encore et deci delà, il reste quelques gloires locales ni entièrement blues ni entièrement punk ni tout à fait rockab'.
Johnny Montreuil estde ceux-là.
Pas vraiment un petit nouveau, on l'avait ainsi apprécié au Bar des sports de la place Robespierre il y a déjà une dizaine d'années.
Et le bougre s'accroche. À sa mythologie de ferrailleurs, de Pento et de goldo, au rock et au blues, à ses complices dont l'inévitable Kick, à son personnage de Johnny Cash du pauvre, pardon, du 9-3. Un récent album, Narvalos forever et un écumage systématique des rades (tant que l'ausweiss ou les odieux le permettent) et si c'est pas possible, autant jouer dans les jardin d'Aubervilliers en hommage aux biffins.
Voilà qui mérite un clin d’œil d'encouragement. Ces gars n'ont pas inventé le médiator mais ils ont l'immense mérite de maintenir l'étincelle du rock popu qui pue du bec.
Et même s'ils ont inventé le blues, le country et le rock, y'a malgré tout un truc que les Ricains nous envient : le musette, gros ! Et le jazz manouche tant qu'on y est. Hommage à Django et à ses disciples.
Les années 70 traînaient en longueur. Pour l'industrie du spectacle, le rock était désormais affaire de virtuoses, de respectabilité, de montagnes d'amplis, de musiciens se contentant de singer Beethoven au lieu de rouler dessus. On entassait le public dans des festivals à la sonorisation dégueulasse, au service d'ordre brutal et à un abrutissement stupéfiant (même pas) garanti.
Eddie & the Hot Rods, 1975
C'est alors qu'une vague surgit d'Angleterre, marquée par sa énième redécouverte du rhythm'n blues et du bistrot.
Des jeunes gens attifés en loubards ou en employés de banque se coupèrent plus ou moins les cheveux, trimballèrent des guitares et des amplis à 20 balles et envahirent les troquets d'Albion pour remettre à jour le rhythm'n blues de leurs ancêtres du british blues, mods ou garagistes, et le débiter à moins de deux mètres des amateurs du genre.
Ce mouvement, aussitôt baptisé Pub Rock, précédait de peu et annonçait le punk rock. Ses représentants les plus brillants avaient pour nom Doctor Feelgood, Eddie and the Hot Rods, the Count Bishops, the 101ers, the Ducks Deluxe... En France,Little Bob ou Bijou entretinrent cette même flamme.
Évidemment méprisés, traités de provinciaux réactionnaires, ces galopins ont redonné à toute une génération le goût des joies primitives ainsi que l'intérêt pour les grands anciens du Delta ou de Chicago.
Et puis, toute musique patinant dans la semoule, chaque sous-préfecture possède désormais au moins un combo s'échinant à marcher dans les pas des ancêtres.
Tout ce long rappel pour rendre un p'tit coup de chapeau aux camarades vétérans de Gommard (Montreuil-sous-bois 93100) puisqu'en musardant sur le blogue de George, on apprend qu'on peut désormais rencontrer ces émérites sur youtube.
On y retrouve Bob (basse), Éric (batterie), Kik (chant et harmo) Max et Pierrot (guitares) ci-dessous à l'Armony, dans un hommage à Dominique Villebrun "Dom", guitariste d'OTH, disparu le 15 janvier 2016.
Ils reprennent y Les révoltés du Bloc B, adaptation signée OTH, d'un classique (et sujet d'un précédent article)
Contrairement à ce que nous affirmions un peu trop légèrement, l'original, Cheque book, ne fut pas écrit par Dr Feelgood mais par un vieux de la vieille des années 60, qui rejoignit ensuite la vague Pub rock et auquel les jeunots rendirent moult hommages, le guitariste, chanteur, compositeur Mickey Jupp qui enregistra cette chanson en janvier 1970.
Par contre, il n'y a aucun doute : Going back home fut bien l’œuvre de Wilko Johnson cosignée avec son maître ès guitare, Mick Green.
Occasion rêvée de retrouver Dr Feelgood des origines dans une étonnante séquence tirée de "Beau Fixe Sur Pithiviers", émission de FR3 du 14 août 1976 . On se demande comment le manager ou la maison de disque ont réussi à incruster les furieux de Canvey Island dans un programme familial. À l'époque où un passage à la télévision relevait du miracle, Lee chante à s'en faire péter la jugulaire et Wilko se démène dans une cour d'école face à un surprenant parterre de vacanciers, mémés et parents médusés gardant un œil distrait sur leur progéniture.
Quoi qu'il en soit, c'est de l'authentique direct.
Et évidemment, la même par Gommard, toujours à Montreuil, le 9 octobre 2015