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lundi 17 mai 2021

La légende des frères Quero

Paco, Pepe et Antonio en 1943
Puisque nous étions à Grenade la semaine dernière, prolongeons le séjour dans la perle d'Al Andaluz. 
Voici l'histoire d'une guérilla urbaine anti-franquiste qui possédait deux particularités : ses membres étaient anarchistes et elle était menée par trois, puis quatre frères.
Les frères Quero Robles étaient toujours tirés à quatre épingles, ils passaient dans le centre de la capitale andalouse en saluant leurs connaissances sans se dissimuler et poussaient leur bonne éducation à laisser de généreux pourboires dans les bars et restaurants accompagnés d'une note précisant "Ici se sont restaurés les frères Quero" ! Ces Robins des rues connaissaient comme leurs poches les quartiers populaires de l'Albaicín et du Sacromonte.
 
De 1940 à 1947, on leur attribue l'exécution de nombreux phalangistes, policiers, gardes civils, collaborateurs du régime et délateurs, d'un colonel, d'un général ainsi qu'un nombre conséquent de braquages grâce auxquels ils ont alimenté tant leurs activités que les caisses de la CNT clandestine. 
Malgré quatre jours de combats dans l'Albaicín, Grenade était très vite tombée aux mains des fascistes le 23 juillet 1936. 
Fils d'un boucher du quartier, les frères Antonio et José parviennent à gagner la zone républicaine. Engagés dans la 78ème brigade mixte, ils combattent au sein des Fils de la nuit, guérilleros spécialisés en infiltration du territoire franquiste pour sabotages, évasions ou espionnage. 
À la fin de la guerre, Antonio et José sont internés à la prison de la Campana d'où ils s'évadent pour éviter les nombreuses exécutions sommaires menées par les phalangistes et mieux connues sous le charmant euphémisme de paseos (promenades). Ils rejoignent, dans la sierra, le maquis de l'anarchiste Juan Francisco Medina "Yatero". Reprochant à celui-ci un manque d'activité offensive, ils regagnent la ville pour monter leur propre groupe avec l'aide d'un autre frère, Francisco, et de quelques libertaires, dont Loquillo et Mecanico. Plusieurs membres de leur famille avaient été assassinés par les vainqueurs et, soumis à de nombreux tabassages, le benjamin, Pedro, qui était un de leurs agents de liaison, les rejoint dans la clandestinité en 1944.
Évidemment, tout ce que la région compte de flics et militaires est à leur trousse mais, couverts par les quartiers pauvres, ils échappent à tous les pièges, même si, encerclés dans une grotte du Sacromonte le jour de noël 1943, ils doivent s'échapper en fonçant dans le tas ou si en janvier 1945, la police doit dynamiter plusieurs maisons de la rue de la Cuesta pour abattre six membres du groupe. 
En juillet de la même année, Pedro, à nouveau cerné dans une grotte se suicide non sans avoir descendu deux flics. En novembre 1944, José avait été flingué dans le dos lors d'un braquage. Loquillo est abattu en janvier 1946 et Francisco en mars 1947, dans une maison assiégée de l'Albaicín. Le 22 mai 1947, Antonio est tué dans une planque du Camino de Ronda suite à une dénonciation. Les deux traîtres ont été ensuite exécutés par les ultimes survivants d'une bande désormais éteinte.
Depuis, les frères Quero sont devenus une légende et l'orgueil de la cité.Une bibliothèque porte même leur nom. 
Et c'est là que nous retrouvons les Lagartija Nick, dont il a été question précédemment. Voici un single tiré de leur album de 2017, Crimen, Sabotaje y Creación, tout simplement nommé La leyenda de los hermanos Quero.
Pour boucler la boucle, précisons que l'idée de faire cette chanson provient du défunt Morente, grand admirateur de ces indomptables. Viva el arte !

dimanche 9 mai 2021

Garcia Lorca, Leonard Cohen et le duende


Prenez un grand nom du flamenco, Enrique Morente (1942-2010) qui fit ses premières armes au quartier de l'Albaicin à Grenade. Adjoignez-lui des guitaristes virtuoses comme Tomatito ou Vicente Amigo et quelques percussionnistes méritants tel Tino di Geraldo. En guise de surprise du chef, rajoutez un groupe de rock, lui aussi grenadin, qu'on a qualifié de l'appellation fourre-tout "post-punk" à l'époque. 
Comme nous sommes entre Andalous de bonne compagnie, pourquoi ne pas mettre du Garcia Lorca en zizique ? Plus précisément des poèmes tirés du recueil  Poeta en Nueva York
Houps ! C'est alors que vous réalisez qu'un certain Leonard Cohen, qui a eu un certain succès, vous a devancé sur quelques titres.
Qu'à cela ne tienne, on enregistrera aussi des chansons du gars en les arrangeant à la sauce flamenca. 
Même qu'on appellera le disque Omega et que ce sera un bon coup de saton dans le monde assoupi des cantaores en cette année 1995.


Et que croyez-vous qu'il advint ? 
Une bonne partie de ce que la péninsule compte de critiques et d'aficionados (autre mot pour puristes pénibles) ont hurlé à la trahison, à la bâtardise, voire à la prostitution !
Et pourtant, vingt six ans plus tard cet album demeure une des plus beaux, un des plus sincères hommages rendu aux deux poètes, l'Andalou et le Canadien.
Il suffit d'écouter Este vals pour s'en convaincre.
 

 
Et de comparer avec la version de Cohen pour mémoire (ici en concert à donostia en 1988)


Pour mieux mesurer le talent de nos iconoclastes du Sud, une autre version du maestro (first we take) Manhattan nettement à l'avantage de nos chers grenadins.