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vendredi 28 juin 2024

Vers la guerre civile ?

 

Barcelone, juillet 1936 (A. Centelles)

Je n'avais jusqu'alors jamais remis l'Espagne en question. J'y avais accepté que, bien gras et bien riche, le gros bonnet contemplât tout d'un oeil vitreux au fond de son club alors qu'au marché des hommes se battaient pour quelques déchets, que d'aimables vierges de la haute vinssent à l'église en carrosse alors que des mendiantes accouchaient dans les coins des portes.
Naïf et dépourvu de sens critique, j'avais cru que les uns et les autres faisaient tout simplement partie du tableau et ne m'étais jamais posé la question de savoir si c'était juste ou injuste.
C'est sur le pont de Séville que j'eus pour la première fois conscience que le grabuge n'allait pas tarder. Je m'y étais arrêté vers minuit pour regarder le fleuve lorsqu'un jeune marin s'approcha de moi et, m'ayant salué d'un "Salut Johnny!" me demanda une cigarette. Crachant ce qu'il disait comme si ça lui faisait mal à la langue, il parlait l'anglais qu'il avait appris à bord d'un navire charbonnier de Cardiff.

- J'sais pas qui t'es, fit-il, mais si t'as envie d'voir du sang, t'as qu'à rester dans le coin... va y en avoir plein. 

Laurie Lee Un beau matin d'été



jeudi 25 avril 2024

Du passé et du tourisme de masse

 

Ce qui ne se visite plus

Cédons exceptionnellement au lamentable exhibitionnisme des réseaux sociaux en donnant quelques conclusions sur un récent déplacement.
Il sera ici question de le province de Biscaye (en local, Bizkaia) vue comme symbole de la manière dont le spectacle (au sens situ du terme) étend sa griffe sur toute terre immergée.
Déjà, la capitale, Bilbao. On a déjà évoqué le sort de l'ex forteresse ouvrière, les chantiers navals Euskalduna qui ont dû céder la place, non pas comme on l'avait abusivement écrit au très bourgeois musée Guggenheim mais à un immonde palais des congrès, manière d'effacer une bonne fois pour toutes l'histoire du peuple travailleur.  

Toutefois le Guggenheim et son monde ont parfaitement rempli leur office.
Ainsi, quelle n'a pas été notre surprise et tristesse de constater que l'embouchure du Nervion se voit encombrée par des paquebots de croisière déversant des milliers de consommateurs sur la ville.
Et, comme ailleurs, spéculation et Rbnb ont fait leur oeuvre. Ainsi, la région côtière est-elle constellée de protestations contre les conséquences de la soi-disant culture et l'augmentation de 30 % du tourisme.
Mais le plus beau reste à venir.
Tout près de la pointe du cap Matxixako, entre Bermeo et Bakio, se trouve un charmant îlot, le Gaztelugatxe, relié à la terre ferme par une antique chaussée régulièrement submergée. Un ermitage du IXème siècle orne le rocher. Il fut un temps où il suffisait de prendre un duvet (les nuits sont fraîches) pour passer une nuit dans ce cadre magnifique. Mais depuis que les petits génies de la série Game of Thrones ont eu l'idée de tourner dans ce charmant paysage, il faut compter entre quatre et cinq mois d'attente, en réservant par le net, pour avoir l'insigne avantage de s'entasser sur le lieu du tournage.
On sait bien que c'est partout pareil mais on ne peut s'empêcher d'une bouffée de nostalgie du temps où ces terres regorgeaient de prolos rebelles ou de délinquants énervés.


Allons faire un tour à l'intérieur des terres. À Gernika où le Condor passa (milesker Pott).
Depuis Picasso, chacun sait que ce bourg fut rasé par l'aviation nazie le 26 avril 1937.
Ce qui est nouveau est qu'après une relative (très relative) discrétion sur ce massacre, il est devenu ce qu'il faut, hélas, bien nommer l'argument principal de l'attraction touristique locale.
Le "Condor tour" comprend des reproductions du tableau de Picasso, des photos d'époques du désastre disséminées dans le centre-ville, un inévitable mémorial, des abris anti-aériens (Sans dec', y'avait des abris à Gernika ???) et une superbe statue de gudaris (soldats basques) dans le plus pur style réaliste socialiste.


Comprenons-nous, on n'a rien contre la mémoire historique, bien au contraire.
Mais transformer une ville moyenne en nécropole touristique ne comporte-t'il pas une certaine part d'obscénité ?
En tout cas, de quoi rendre furieux l'office de tourisme de Durango, ville distante d'une grosse trentaine de kilomètres. Durango fut, elle aussi, copieusement bombardée par l'aviation fasciste mais, manque de bol, n'étant ni siège de réunion historique ni sujet d'une peinture célèbre, désolé les gars, va falloir trouver autre chose pour attirer le chaland !
Comme tout n'est pas négatif, le moment comique est venu de la campagne des élections régionales. Certains partis utilisent encore des bagnoles munies de haut-parleurs pour balancer leur propagande. C'est lorsqu'on croise simultanément un cirque en tournée usant du même dispositif qu'on est devenu franchement hilare. 
Jamais l'expression "cirque électoral" n'avait mieux justifié son existence.

lundi 12 juin 2023

Chronique cinoche : Modelo 77

 

Le réalisateur Alberto Rodríguez avait déjà commis l'excellent thriller post franquiste La isla minima en 2014. Avec Modelo 77 (Prison 1977) il s'attaque à un thème assez peu évoqué hors des cercles anti carcéraux ou connaisseurs des années de la "transaction" démocratique espagnole.
Dans la période où il fut question d'amnistie au compte-gouttes pour les "politiques".
On y suit les prises de conscience puis la révolte des prisonniers "sociaux" (de droit commun) au sein des taules ibériques, en particulier par la création de la COPEL (Coordination des prisonniers en lutte), les différentes étapes de cette confrontation et on y évoque la fameuse "évasion des 45" qui bouleversa Barcelone en 1978. Les trahisons de l'administration pénitentiaire, des politiques et le lâchage massif d'héroïne sont aussi traités.
Disons le tout net, on a trouvé ce film passionnant. Les acteurs (Miguel Herrán, Javier Gutiérrez, Fernando Tejero, et le gitan Jesús Carroza entre autres) irréprochables, la photographie virtuose et le film haletant. En outre, c'est bien moins putassier que Celda 211 qui avait tout de même un certain charme.
 
Mais surtout, on est allé voir ce qu'on pu en dire les anciens protagonistes. Et on a trouvé deux articles
Daniel Pont trouve le film "digne, honnête, nécessaire" en soulignant à quel point, en prime, la situation carcérale s'est durcie et dégradée. Rien de plus juste sur ce dernier point.
Fernando Alcatraz, de Valencia (https://tokata.info/pros-y-contras-de-modelo-77-por-otro-participante-mas-en-la-copel/) dans un long texte, sans nier son plaisir de spectateur développe quelques critiques censées être plus "radicales".
En vrac, il est déçu que le film ne tienne pas compte des événements chronologiques, ne rende pas l'ambiance globale de l'époque 1976/1978 avec non pas uniquement des luttes de prisonniers mais généralisées (de quartier, ouvrières, etc.) et fasse donc comme si c'était "hors de l'Histoire". Et là, on ne l'approuve pas entièrement.
C'est un film, camarade. Et avec un scénario et une durée de 2h05. on ne peut jamais tout y mettre. Constance des films de prison : on suit l'itinéraire de deux ou trois personnages et à travers leur Odyssée enfermé, on développe toute une situation alentour (voir Brute Force de Jules Dassin ou Animal factory de Steve Buscemi pour deux exemples très honorables). On a suffisamment de reproches à adresser aux oeuvres littéraires (BD ou romans), ou cinématographiques qui chargent la mule et se perdent dans les méandres des événements racontés pour ne pas être d'accord avec les déceptions d'un ancien activiste.
Il s'agace aussi du manque d'argot de l'époque. Là, on peut comprendre que c'est du cinéma et que les producteurs n'auraient jamais laissé tourner un film dans un langage des années 70 que plus personne ou pas grand monde ne comprend. Ceci dit, y'a moyen de saupoudrer et ils auraient pu faire un effort. Je me souviens du film La peur qui m'avait particulièrement énervé car les poilus dans les tranchées s'y exprimaient avec un vocabulaire et un ton des années 2010. Ce qui bousille tout le film.
Un truc pas compris, par contre, c'est pourquoi pour les transferts suite à une émeute, on envoie les "meneurs" à El Espinar (Ségovie) plutôt qu'à El Dueso (Santander). D'autant que cette partie a été tournée dans une caserne désaffectée de Séville... Mais bon, détail.
Le reste a été tourné à la Modelo de Barcelone ou ce qu'il en reste et la réussite est que ce bâtiment dévoreur d'hommes en devient un vrai protagoniste.
Z'aurez compris que ce film ayant fait une carrière confidentielle en France, n'hésitez pas à le rechercher, on vous garantit un bon moment globalement honnête dans ses intentions.  

Et une qui fit les belles heures de cette période.

lundi 30 janvier 2023

Alors, comme ça l'Europe voit les Français qui ne veulent plus bosser avec stupéfaction ?

 

Estimé monsieur le patron,
je t'envoie cette lettre  
parce que j'ai été ouvrier pour toi, à la tuilerie.
J'ai bossé pour toi et ça ne m'a pas réussi. 
Je t'ai donné ma santé et ma jeunesse. 
Une vie perdue à cavaler après des factures.
Et j'ai mal aux reins
Qui ont sué tes millions.
 
Toujours à faire la même chose
pour suivre ma destinée toute tracée.
Et ce n'était pas marrant.
Même si je m'en rends compte bien tard, 
C'est le boulot qui m'a fait ça.
Je n'en suis pas satisfait et je voulais que tu le saches.
Et j'ai mal aux reins
Mes douleurs, tes millions.  
La Polla Records (1991) du LP Los Jubilados (Les retraités)

jeudi 5 janvier 2023

Une nouvelle tambour battant de Josu Arteaga

 

Allez, petite distraction de début d'année grâce au camarade Bidon Fumant dans son émission Un frisson dans la nuit du 16 décembre dernier, avec une nouvelle radiophonique de Josu Arteaga, La grosse caisse (parue, superbement illustrée par Matt Konture dans le Chéri Bibi n12).
Il y est question des mille et un usages du rock'n roll et de ses fondations : la batterie. 
Et ça peut se déguster ou télécharger à cette adresse.
On se permet juste de rappeler au distrait que le sieur Arteaga s'appelle Josu (se prononce Yochou) et pas José et que son ouvrage s'appelle Histoire universelle des hommes chats et pas la malédiction, ce qui serait d'ailleurs assez drôle.
Par contre, la magie du hasard fait que le premier morceau, celui de Wire, a été très heureusement repris par le groupe célèbre du bled de Josu, les RIP
Jugez-en donc : ceux de Londres en 1977

 

Et ceux d'Arrasate en 1987

 



lundi 12 septembre 2022

Quand les moineaux pourchassaient les faucons: les Irmandiños

 

En ces temps, la terre entière s'est soulevée. Et ce fut à cause des chevaliers de mauvaise vie qui ne savaient que piller et voler. Pour cela, notre Seigneur voulut regagner ses terres qui étaient le royaume de Galice, tout ravagé par la mâle conduite de ses chevaliers... 
Rui Vázquez, Chronique de Santa María de Iria, 1467.

On vous en avait touché deux mots à l'émission de mai 2019 sur les révoltes paysannes mais celles-ci sont si méconnues qu'elles méritent d'y revenir. 
Précisons d'abord que le terme d'irmandiños signifie tout simplement "frères" dérivé de la Irmandade, fraternité.  
En ce XVème siècle*, après plusieurs querelles dynastiques sanglantes et malgré son rattachement à celui de Castille et Léon, le royaume excentré de Galice conserve une large autonomie. Les nobles locaux avaient déposé Henri IV pour donner le royaume à son frère Alfonso, conservant pour eux le droit de justice civile et criminelle, étant exempts d'impôts qu'eux-mêmes pouvaient lever à leur profit, exigeant tout type de corvées et vivant dans un luxe insolent. Bien entendu, paysans, pêcheurs, métayers et artisans, qui avaient payé les pots cassés des guerres civiles, devaient désormais s'épuiser en journées interminables pour entretenir tout ce petit monde.
C'est là, où ces révoltes sont remarquables : contrairement à bien des soulèvements contemporains, on n'y découvre guère de trace de raisons religieuses ou de prophéties millénaristes, juste des pauvres qui partent simplement exproprier des riches.   
Une première rébellion éclate en 1431, provoquée contre les abus du seigneur d'Andrade, Nuno Freire. Menée par un bourgeois de la Corogne, Roi Xordo, elle rameute des fraternités de Pontedeume, Betanzos, Lugo, Mondoñedo et Saint-Jacques-de-Compostelle. Quatre ans d'embuscades et de châteaux brûlés qui s'achèvent par l'exécution publique de Roi Xordo. 

En 1467, les paysans, organisés dans la Sainte Fraternité dos Irmandiños qui regroupe environ 80 000 combattants, dévastent la bagatelle de 150 forteresses et débordent sur la région voisine du Bierzo.
Guidés par le chevalier Alonso de Lanzós, les rebelles fabriquent des armes de siège, réduisant à néant les domaines des puissants seigneurs Andrade, Lemos, Moscoso, Ulloa, Sotomaior… Et mettent bas les tours et donjons, symboles les plus visibles du pouvoir féodal. 
Le très puissant comte de Lemos se réfugie à Ponferrada (Léon) et l'évêque Fonseca court jusqu'au royaume du Portugal. 
Deux ans durant, la Galice sera gouvernée par des communes municipales, élues en assemblée, ce qui ne sera guère du goût du roi Henri IV qui avait profité de l'occasion pour revenir par la fenêtre. 
Trois armées seigneuriales, commandées par le comte de Lemos, l'évêque Fonseca et le comte de Benavente, seront nécessaires pour réoccuper la Galice et vaincre les insurgés à la bataille d'Almáciga, près de Santiago.
Dispersés, anéantis, les rebelles ne sont toutefois pas exterminés, les nobles locaux ayant besoin de main d’œuvre pour rebâtir leurs châteaux détruits.
Toutefois, l'ordre ancien est bousculé. Changement de propriétaire pour les gueux : le roi de Castille nomme un gouverneur (capitaine-général) et retire le pouvoir de justice à la noblesse en mettant un coup d'arrêt intéressé à la reconstruction des forteresses. Les fraternités seront finalement "légalisées" et le servage aboli en 1480.
Et c'est parti pour mille ans de justice et de bonheur...
Le souvenir de ces révoltes est trop souvent folklorisé ou confisqué par les nationalistes galiciens. Une des plus belles et des plus sobres chansons reste celle de Miro Casabella sur son disque Treboada (1977) 


On trouve aussi une belle allusion aux rebelles chez le groupe Ruxe-Ruxe dans Rock do país
 
 
* Siècle de révoltes paysannes s'étendant sur toute l'Europe dont la Catalogne et les Baléares, en ce qui concerne la péninsule. 

lundi 8 août 2022

Charniers universels

 

La Bornaina (Asturies)

Ce n'étaient ni des héros ni des martyrs, ils sont seulement partis se battre, avec la rage des pauvres, contre un fascisme brutal.
Ils ont combattu les caciques et le mépris militaire et y ont perdu leurs vies simplement pour la dignité.
Les tueurs rigolaient et le putain de curé les bénissait pendant qu'ils les flinguaient au nom de son Dieu.
Face au soleil, à l'aube, avec une chemise bleue, on les a jetés comme des chiens dans une fosse commune.
Le silence des morts crie à la liberté.
Ils les ont tué d'un tir dans la nuque ou fusillé contre un mur, les ont éliminé avec une fureur criminelle. 
Les tueurs rigolaient et ce putain de curé les bénissait pendant qu'ils flinguaient au nom de son Dieu.
Ceux qui ont appuyé sur la gâchette ne devraient jamais oublier que leurs balles n'ont pas tué tout le monde. Que personne ne tue la vérité. 
Dans une tranchée, entre cadavres criblés, est née une démocratie.
Face au soleil, à l'aube, avec une chemise bleue, on les a jetés comme des chiens dans une fosse commune.
Le silence des morts crie à la liberté.
LA PLAIE RESTE OUVERTE !    
Gatillazo Fosa común (trad. maison)  
 

 

Photo certainement montage (on ne tire pas si près d'un mur, ça ricoche !)

Pravia (Asturies)


mercredi 11 mai 2022

La révolution asturienne au cinéma

 

Les lèvres serrées

LUNDI 16 MAI À 20H30 cinéma American Cosmograph (24 rue Montardy, Toulouse)

Projection unique suivie d’une rencontre avec le réalisateur Sergio Montero Fernandez, des membres du collectif Smolny, éditeurs notamment de l'ouvrage Asturies 1934, une révolution sans chefs, ainsi que PJ B., traducteur du livre.

La BO non sous-titrée. Le film l'est.
 

« Les meilleures "archives" du bassin minier des Asturies se trouvent dans ses cimetières. »

Il y a quelques années, Sergio – fils d’un mineur asturien – voyage à Buenos Aires. Il ne sait pas alors qu’en parallèle, il entame un autre voyage : celui de la mémoire. Là-bas, il découvre qu’un événement historique de répercussion mondiale a eu lieu dans sa région d’origine. On ne lui avait jamais rien raconté, dans aucune école ! Le jeune homme va passer d’un côté à l’autre de l’Océan en poursuivant l’ombre de cette révolution à laquelle il ne connaît rien, même si certains vieux de chez lui y font parfois allusion.

Espagne, octobre 1934. Face à la prise de pouvoir par la droite dure, la grève insurrectionnelle est déclenchée. Censée embraser tout le pays, elle échoue en Catalogne et est vite matée au Pays Basque. Mais dans les Asturies, la République socialiste est proclamée. Casernes et usines d’armement tombent les unes après les autres ; dans les bassins miniers, argent et propriété sont abolis. Cela va bien au-delà de l’antifascisme. Madrid envoie trente mille soldats, sous la coordination d’un certain général Franco, pour étouffer cette rébellion. Accompagnés de la flotte de guerre et de l’aviation, face à la résistance acharnée des ouvriers, ces militaires mettront plus de deux semaines à parvenir aux centres de la rébellion...


 

jeudi 3 mars 2022

Tranche de vie (politico stratégique)

 

 
- Le voilà bien leur Front populaire, peste Dartmann en repoussant son assiette. Il faut le combattre bec et ongles.
- Oui mais comment ? Je demande. On va nous dire que le seul moyen efficace de combattre le fascisme, c'est l'armée unifiée.
- Mais ce n'est pas vrai ! proteste Dartmann. Les miliciens qui ont tenu au Jarama, c'était une armée unifiée ? Non. Les ouvriers qui ont combattu l'insurrection à Barcelone, c'était une armée régulière ? Non. Les unités internationales qui se sont formées au pied levé pour se lancer à l'assaut contre les fascistes au bout de deux semaines d'entraînement seulement, c'était...
- Tu sais que je connais tous ces arguments, Dartmann, et que je suis d'accord avec toi. Sur toute le ligne.
- Alors ?
- On peut disposer de tous les arguments irréfutables qu'on veut, mais si les gens ne veulent pas les entendre ? T'as pensé à ça un peu ?
- Et comment veux-tu convaincre les gens autrement que par des arguments ?
- Alors là, tu me poses une colle.
(...)
- On va perdre si ça continue comme ça, dit Dartmann en se donnant bonne contenance. Il faut être aveugle pour ne pas voir que ce qui fait notre force, c'est l'ouvrier armé qui décide de ses propres méthodes de combat avec ses compagnons de travail ou de quartier, l'ouvrier armé qui sait qu'il est vraiment maître de son destin, l'ouvrier qui n'a pas peur de se lancer au combat parce qu'il est partie prenante des initiatives de combat. Et justement, ces républicains bourgeois ne sont pas aveugles. Ils veulent freiner toutes les initiatives ouvrières, détruire tous les acquis de la révolution et ils vont se servir de cette armée prétendument populaire pour le faire. Et les amis les plus fidèles des républicains bourgeois, c'est qui ?
- Les communistes.
- Et moi donc, suis-je un ami fidèle des républic...
- Les staliniens, je veux dire. 
- Exact. Les staliniens. 
David M. Thomas Un plat de sang andalou

Pour paraphraser l'écrivain Isaac Rosa, encore un putain de roman sur la guerre d'Espagne. Mais ce premier volet d'une trilogie incomplète (le troisième tome n'est toujours pas édité) écrit en français par un prolo gallois rescapé de la grande grève de 1984, recèle d'agréables surprises. À commencer par le cadre d'Almería, généralement ignoré.
Tout parallèle avec une situation présente ne serait qu'abusif.
Faute de mieux, un extrait musical du très moyen film de Vicente Aranda, Libertarias (1996) 

lundi 21 février 2022

Qui sont les Hommes chats ?

 

Le maire de l'époque a reçu de nombreux individus et plus de deux cents appels téléphoniques. Il parlait aux journalistes, aux policiers, à la Maria Teresa Campos¹, aux émissions de la télévision basque et au président de la communauté autonome de Navarre. À un tas de gens connus. Il s'est pas mal affaibli. Il ne dormait presque plus. Mangeait peu. Il était sempiternellement entouré d'étrangers et répondait à deux téléphones portables en même temps. Une chose chassant l'autre.

Qui l’eut cru ? On avait vécu avec un collectionneur. Mais celui-là ne s'était pas passionné pour les timbres ou pour les images de footballeurs. Il se contentait de nettoyer la contrée de tous ceux qui rôdaient autour de son troupeau. Il les tuait et leur tranchait les mains. Aux voleurs de bétail. Pour les conserver ensuite dans le sel. Nous, on pouvait l'entendre. On doit défendre sa propriété envers et contre tous. Mais du monde extérieur, on n'a reçu que de la merde et du venin. Ce n'était que sauvageries incompréhensibles pour les esprits comme il faut.

Qu'avec les mains, il se faisait des attouchements pas catholiques. Je ne sais quoi encore à propos de fétiches. Qu'il était complètement cinoque. Que pendant des décennies, il avait terrorisé toute la région. Qu'il était impossible que les autres n'aient rien suspecté. Qu'on avait encore peur de parler alors qu'il était mort. Qu'on était complices. Par ce qu'on s'était tus et qu'on n'avait pas voulu alerter qui que ce soit. Qu'on entravait l'enquête. Que nous vivions en pleine folie. Que vivre éloignés du monde avait fait de nous des misérables. Que si ça se trouve, c'était nous, ses propres voisins, qui avions mis le feu pour nous libérer de ce fou. Que nous représentions l'Espagne Noire. Que nous étions tous coupables. Et je ne sais combien d'autres conneries.
Josu Arteaga Histoire universelle des Hommes-chats (Nouveau Monde) 

L'auteur ne dédaigne pas taquiner la muse du rock et la mythologie du western spaghetti made in Spain.
Avec ses deux complices de la Banda del abuelo.

 

Un village enchâssé dans les brumes des montagnes basques, non loin de la frontière française. Qui se maintient à l'écart d'un monde qu'il méprise et qui l'agresse.

Un village dont plusieurs habitants sont décrits comme correspondants à un félin particulier. D'où leurs surnoms d'Hommes Chats.

Un village dont une bonne partie de la population, traditionnellement catholique, a choisi le camp des vainqueurs durant la guerre civile mais autour duquel des guérilleros anti-franquistes ont longtemps rodé.

Un village qui cache de terribles secrets. Outre les jalousies, rivalités ou haines qui se résolvent de façon tragique ou cocasse, une rumeur persistante fait état de cadavres aux mains coupées, on ne sait par qui ni pourquoi.

Jusqu'à ce que le brouillard se lève sur la scène des crimes. 
 

¹ Maria Teresa Campos : animatrice de différents talk-show de la télévision espagnole.

 

dimanche 17 octobre 2021

Tranche de vie (christianophobe)

J’apprécie le parc du Singe Charli. C’est le territoire de mon enfance et de mon adolescence. J’y ai fumé mes premières clopes, maté mes premières revues pornos, bu mes premiers litrons… À l’époque, il s’appelait encore parc du Généralissime1. Je me souviens quand on a emménagé Charli, dans un recoin du jardin. Et quand on l’a enlevé. Charli était enfermé dans une grande cage. Il devint célèbre dans tout Jamerdana parce qu’il se masturbait sans aucun pudeur devant tout le monde, comme par vengeance contre l’enfermement. Il aimait bien aussi voler des lunettes et mordre les enfants. Et il fumait. Nous-autres, les gamins, on lui passait des Fortunas (ce singe sybarite n’appréciait que les blondes) et il se les liquidait en deux ou trois bouffées anxieuses. Parfois, il les fumait tout en les réduisant en morceaux. Il disparut subitement, du jour au lendemain, sans que personne ne donne la moindre explication. Mais il était clair qu’il avait été victime d’une purge idéologique.

Quelques années plus tard, quand la municipalité proposa la béatification du fondateur de l’université catholique de Jamerdana, nous, les punks, avons alors exigé celle du singe Charli qui, à notre avis, avait été bien plus utile à la cité. C’était au temps des campagnes d’apostasie et processions athées2. Je me souviens qu’au cours d’une de ces processions, nous avons croisé la vraie, en pleine semaine sainte, et qu’une confrérie nous a attaqué à coup de cierges géants et de crucifix pendant que nous bombardions de canettes le passage de la Dolorosa, argumentant que c’était la meilleure manière d’adorer une Vierge dotée d’un pareil nom. (...)

En ce qui concerne le parc, quelques années plus tard on a changé son nom, il est passé de Généralissime à Constitution même si personne, en ville, ne l’a jamais appelé comme ça et que tout le monde le connaît comme parc du singe Charli avec plus de dévotion que pour n'importe quel saint.

Patxi Izurzun Tratado de Hortografia

 

1Francisco Franco

2Dans les années 1980, de nombreux charivaris anti-cléricaux furent organisés dans les villes basques. Affiche ci-dessus

mercredi 29 septembre 2021

MAQUIS


Groupe "Roberto" sierra de Grenade, 1948
 
La mort est omniprésente. Maladies, affrontements avec les forces de l'ordre et dangerosité des actions économiques posent un cadre de vie hautement précaire. Le guérillero est un mélange d'audace, de courage et de fatalisme. Évoquant « Machado », Victorio Vicuña signale « Je me souviens qu'il se disait courageux, car il savait qu'il allait se faire tuer. Et que ça lui était bien égal que ça lui arrive aujourd'hui ou demain ». On le constate, la montagne n'est pas le lieu le plus approprié pour les lâches. Dans tous les témoignages des survivants, on rencontre une plus grande appréhension pour la blessure ou l'arrestation que pour la mort elle-même. La détention est particulièrement redoutée, la condition de prisonnier de guerre n'étant pas reconnue, son sort et sa vie dépendent alors exclusivement de l'attitude de ses gardiens. 
À partir de 1947, il est clair qu'être arrêté équivaut à une mort certaine précédée de tortures en tous genres induisant le risque de dénoncer ses compagnons et les agents de liaison. En connaissance de cause, de nombreux guérilleros préfèrent se suicider plutôt que de tomber aux mains de la Garde civile. Ou ils mènent une attaque désespérée en sachant que l'issue leur sera fatale.
 
Maquis. Histoire des guérillas anti-franquistes. Secundino Serrano.

Le livre de l'historien Secundino Serrano, étude complète et surprenante sur les maquis et la résistance active dans l'Espagne post-guerre civile sort enfin en français (édition Nouveau Monde). Cette petite vidéo* de 23 minutes présente plusieurs aspects de l'ouvrage. On peut trouver une version courte de 6 minutes à ce lien.

 

Et pour quelques traces laissées dans l'imaginaire populaire, un rap de Mala Fama en mémoire des deux derniers guérilleros de Cantabrie, Juanin  et Bedoya.

 

 

* Montage réalisé avec des extraits de Los ultimos guerilleros de José Vicente Viadel et Los del monte de Reyes Ramos.


jeudi 16 septembre 2021

Un poème de Cara Quemada

 

Je veux que ma tombe 
se trouve loin des champs consacrés,
là où il n'y a ni blouses blanches
ni caveaux dorés.
Loin de ces lieux trompeurs
où les gens passent une fois l'an
déposer leurs pleurs.
Je veux être enterré
en haut de la montagne
près de ce pin blanc
qui ne pousse qu'au fond du ravin.
Ma tombe sera
entre deux galets  
et mes compagnons seront
couleuvres multicolores et lézards verts.
À mon enterrement, je ne veux 
ni curés laïques ni romains
et les fleurs seront
un bouquet de chardons acérés.
Je ne veux pas plus
de discours ou de psaumes,
de drapeaux ou de gerbes,
oripeaux du monde civilisé.
Pour oraison, les croassements
des corbeaux et des corneilles
le glapissement du vieux renard
aveugle et abandonné.
Pas de lumière de cierges,
éclairant l'effroi.
Je serai illuminé
par les rayons du soleil et les éclairs.
Que ma tombe soit recouverte
de hautes épines,
de ronces épaisses,
de chardons sauvages
et que pousse autour
de l'herbe pour le bétail
pour que se repose à son ombre 
le chien noir fatigué.
Je veux que mon corps repose,
loin du tapage humain,
contre le plus haut pin du ravin solitaire.
Trad. maison

 

Le vœu de Ramon Vila Capdevila, dit "Cara quemada" (visage brûlé) dit "Pasos largos" (grands pas) dit "Capitaine Raymond" dans les FFI, ne fut jamais exaucé. Il dut se contenter d'un enterrement à la sauvette dans une tombe anonyme, ce qui est presque aussi beau. Il fut l'ultime maquisard de sa génération en activité en territoire espagnol. Mineur anarchiste de la CNT, volontaire de la colonne de Fer en 1936, guérillero jusqu'en 1939, héros de la résistance française ayant refusé la légion d'honneur, il continua la guerre contre la dictature jusqu'au 7 août 1963 où il tomba dans une embuscade de la Garde civile qui le laissa se vider de son sang six heures durant sans oser l'approcher. Il avait 55 ans.  

dimanche 29 août 2021

De Bertold Brecht à Ivà : le dernier truand

 

En 1928, en introduction de leur Dreigroschenoper, Bertold Brecht et Kurt Weill créèrent le personnage de Mackie Messer (Mackie le surineur) et le dotèrent d'une complainte qui fera le tour du Monde, Die Moritat von Mackie Messer.
Ici par Lotte Lenya, interprète préférée et un temps épouse de Weill.
 

 
Le personnage d'assassin est inspiré du bandit Macheat de l'opéra originel de John Gay, le Beggar's opera
Même si la pièce de Brecht ne connaît pas un succès immédiat, cette chanson sera l'objet d'innombrables reprises, particulièrement aux États-Unis (Armstrong, The Doors, Sinatra, Fitzgerald, etc.) Voici la première version gravée en français par Florelle.

Et le personnage va prendre un nouvel aspect, totalement inattendu.
L'Espagne avait elle aussi été contaminée par le tube berlinois, repris, entre autre, par José Gardiola.
Mais en 1986, le génial auteur de BD Ramón Tosas (1941-1993), mieux connu comme IVÀ (acronyme de tentative de variations artistique) invente un immortel personnage de braqueur philosophe et anarchisant : Makinavajas, el ulitimo choriso (Maki la lame, le dernier des truands). Au moment du boom de la bande dessinée péninsulaire (grâce à des revues comme El jueves) et d'un mouvement antimilitariste explosant dans la jeunesse, Ivà avait déjà créé Historia de la puta mili pour brocarder l'armée de sa majesté Juan Carlos. Il fallaitt une certaine dose de courage pour s'attaquer à l'institution militaire en Espagne. 
Maki et sa bande (Popeye dit Popi, Mustafá dit Mojamé ou Moromielda, tous réunis au bar "El Pirata" du barrio chino de Barcelone) s'attaquent non seulement aux banques, bijouteries et autres réservoirs de fric mais aussi à toutes les institutions du pays, politiciens, prisons, bourgeoisie catalane, immobilier, tourisme, salariat...

Dessinés grossièrement, les protagonistes valent surtout pour un vocabulaire incroyable, mixture d'argot gitan, de parler populaire du Barrio Chino et surtout, de néologismes et d'insultes inventés par l'auteur, le tout prononcé (vous avez bien lu) avec un tel accent qu'on conseille à ceux qui découvriront ça de d'abord lire à haute voix sinon on est vite paumés. Certaines expressions vont même passer à l'usage courant ("Cagontó !" ou “Po fueno, po fale, po malegro” par exemple).
Tout en menant un travail de destruction systématique de la corruption policière, du cinqcentenaire de la "découverte" de l'Amérique, de la trahison syndicale, des arnaques immobilières, du racisme, de la modernisation à outrance, en particulier de la ville de Barcelone en pleine transformation, de la politique carcérale et autres joyeusetés, les aventures de Makinaja vont connaître une popularité phénoménale. Peut-être parce qu'outre ses outrances verbales, le thème est avant tout la revanche des petites gens et l'évidence que des braqueurs de banque ne sont, au fond, que de petits criminels dans une société où tout le monde se rue sur le pognon. 
Le succès est tel que la BD sera adaptée au théâtre en 1989 avec musique du groupe flamenco rock Pata Negra, au cinéma pour deux films en 1992 (l'année des jeux Olympiques !) et 1993 et en série télévisée en 1994. 
Évidemment, malgré quelques acteurs flamboyants, toutes ces adaptations n'arrivent pas à la cheville de la BD.
Devenu, lui-même, une machine à générer du fric, Ivà n'avait plus qu'à disparaître dans un accident de circulation. 
Le générique de la série télévision où Maki était joué par Pepe Rubianes et la chanson par Cabecera.


Il ne reste plus qu'à vous souhaiter la lecture de l'intégrale qui est encore et toujours régulièrement rééditée. Après ça vous serez armés pour n'importe quelle situation dans une rue espagnole.
Et à s'arrêter sur un dernier hommage par le groupe punk et déconneur de Pampelune, Tijuana in Blue, sur son album de 1988, A bocajarro.

vendredi 13 août 2021

Tranche de vie (alimentaire)


Ce matin je suis allé faire les courses. Je hais les courses. Par dessus tout le moment de passer en caisse. Les caisses de supermarchés sont le plus parfait résumé du capitalisme : nous on y fait la queue, on place sur le tapis roulant des blancs de poulet, des préservatifs, des canettes de bière, il n’y a pas de temps à perdre, faut sortir les cartes bancaires, la carte d’identité, la carte de fidélité… et la caisse enregistreuse fait cling cling, au suivant, la fête ne s’achève jamais, c’est le blues des codes barres, hey, presse-toi, y’en a qui attendent, hey, tranquille, laisse-moi trente secondes, laisse-moi choper le sac et mettre les congelés là où ils n’aplatiront pas le pain de mie.



Je hais le supermarché. Le niveau de violence d’un film de Tarentino n’arrive pas à la cheville de la scène où quelqu'un compare les étiquettes des barquettes de viande dans les allées afin d’acheter la moins chère, de la pire qualité, celle qui va le tuer à petit feu, lui obstruer les artères et celles de ses gosses parce qu’il ne peux rien te payer de mieux, de plus sain. Nous les pauvres, mourons en un holocauste lent et silencieux que nous finançons au passage. Morts de froid dans nos domiciles qu’on ne chauffe pas. Rendus barjots par des maladies mentales que la sécurité sociale ne couvre pas…
Patxi Irurzun Tratado de Hortografia
(Una novela sobre el Rock Radical Vasco) 
 

mercredi 28 juillet 2021

Héroïnes oubliées du rock 'n rol : Las Vulpes


Le rock fut souvent, et c'est là son honneur, provocateur, déconnant et impertinent. Certains l'ont payé cher.
À quinze ans, Loles Vázquez, petite sœur du batteur et du bassiste de MCD, combo punk de Bilbao, ressent le besoin urgent de former elle aussi un groupe. Elle s'attelle donc à la guitare et embarque une autre frangine, Lupe au chant avec deux amies, Tere et Susi à la batterie et à la basse avant de passer une annonce, "Quatre punkettes cherchent local de répétition". 
Après deux ans de balbutiements, en 1982, le groupe trouve un semblant de stabilité avec toujours Loles à la guitare, Lupe à la batterie, Begoña Astigarraga à la basse et Mamen Rodrigo au chant. Pour fêter ça, elles se baptisent Las Vulpes (s'écrit aussi avec deux S et signifie quelque chose comme "les Traînées" en plus grossier) et reprennent des titres des Ramones, des Stooges ou de Tonton Loquillo. Elles commencent à tourner au Pays Basque, en particulier avec les mythiques et insupportables Eskorbuto.
 
C'est l'époque où la musique la plus brute, la plus sauvage et débridée se joue au Pays Basque ou en Catalogne, la scène de Madrid, à de notables exceptions près, étant plus dandy, plus mode, branchouille, quoi.
Comme il y a là-dedans un potentiel commercial, les producteurs de l'émission Caja de ritmos,seul programme rock de la télévision qu'on a placé le dimanche matin (rigolez pas, on faisait pas mieux en France avec Chorus) vont inviter quelques groupes de barjots basques. Et comme les filles n'ont même pas de maquettes, elles sont choisies pour interpréter deux chansons en direct dont leur tube scénique Me gusta ser una zorra (j'adore être une salope) reprise même pas déguisée de I wanna be your dog.
 
 
Coup d'essai et coup de maître! C'est bien mignon de chanter Je préfère me masturber que de me taper un idiot qui me cause de lendemains. Je préfère me taper un cadre qui envoie la monnaie et m'oublie. Ou de promettre les pires sévices à un porc nommé Lou Reed, mais dans l'Espagne catholique, apostolique et romaine, ça va provoquer un beau bordel. 
Ça commence par une tribune du journal réac ABC intitulée Ça suffit ! affirmant que ce genre d'émissions "dégrade la société espagnole, écœure les pères de famille, indigne les citoyens responsables, brise la quiétude des foyers et dépasse les limites permises par la Constitution" (rien que ça!) Ça suit avec les membres du conseil des médias qui virent immédiatement les producteurs de Caja de ritmos. Ça continue avec des intellos (de droite) tels Camilo José Cela, Antonio Gala, Francisco Umbral ou Rosa Montero qui y vont de leurs couplets contre l'obscénité. 
Le label Dos Rombos en profitera pour écouler aussitôt 7000 copies de la chanson en 45 tour mais le groupe va désormais être la cible de tous les abrutis du temps et les filles se faire insulter et agresser partout où elles passent. Même en territoire basque, il leur faudra compter sur la solidarité de leurs collègues, en particulier de Mahoma, imposant chanteur de RIP, pour pouvoir s'accrocher à une scène. Elles auront beau s'expliquer auprès de la meute de journalistes lâchée contre elles " Personne ne devrait se scandaliser qu'on se masturbe, tout le monde le fait. C'est plus dégueulasse de faire des films violents ou d'obliger les gosses à adopter telle ou telle religion."    
Avec la police les persécutant, diverses plaintes, un aréopage de fachos ou de militaires venant les empêcher de jouer et même un concert en prison annulé par les autorités judiciaires, le groupe épuisé et ruiné, se sépare en 1985, devenant un mythe et effectuant un bref retour en 2005.   
Reste le premier groupe de filles à avoir chanté un hymne féministe à la télévision ibérique et ayant créé un bordel sur le petit écran seulement comparable à celui des Sex Pistols. Mais eux n'étaient pas arrivés trop tôt et en ont largement profité.


lundi 19 juillet 2021

Morves écarlates

C’est un de ces jours où tu vas peinard, en plein registre zen, avec ta respiration biodynamique et tes chakras ouverts plein pot, te faire vacciner à cause de l’autre cochonnerie chinoise et il faut que débarque le flic municipal le mieux noté de sa promotion para-olympique pour te prendre le chou alors que ça fait à peine deux minutes que tu es stationné là et qu’il te sort que ça fait une demi-heure que tu es garé et alors, tu lui réponds la vérité, que ça fait trente secondes, qu’il n’est qu’une merde et qu’il peut toujours te la sucer et qu’il le prends super mal alors qu’il devrait être habitué vu qu’on les entraîne à ça dans leurs académies de chiens de garde mais qu’il te lâche la totale, qu’il va le dire au juge et toi tu réponds que d’accord, que le juge vienne te la sucer aussi. Le tout s’est déroulé en deux secondes, puis tu prends l’amende, en fait une boulette, la jette et elle atterrit sur le front du grand connard qui recule et donc, tu as gagné, comme c’est justice, et tu penses que tu lui as fermé le bec et que tu es enfin libre.

Et puis finalement non. Vient le jour du procès où revoilà l’autre enfoiré de municipal avec d’autres têtes de nœuds et tu le défie du regard jusqu’à qu’on passe à autre chose puis tu entres dans la salle parce qu’on t’appelle et que lorsque le procureur te demande si c’est vrai que tu as dit au municipal qu’il te la suce, tu réponds la vérité. Que pas du tout. Et lorsqu’il te demande si c’est vrai que tu as dit que le juge te la suce aussi et qu’il se trouve que la juge est une pure beauté, alors tu réponds que ça, tu l’as peut-être dit mais que tu ne t’en souviens pas vraiment bien parce qu’on t’avait vacciné et que t’avais encore des traces de junkie au bras et que t’étais mort de trouille de te choper un AVC. Et pour conclure, on en vient au truc de la boulette de papier et toi, ben non, ça c’est pas passé comme ça, juré, craché. Puis vient la sentence et tu te retrouves à devoir payer trois cent euros, que tu n’as pas, à un imbécile qui touche deux mille balles par mois pour arrêter des boulettes de papier avec son front. Si c’est à ça qu’il se consacre, qu’il se fasse clown dans un cirque, l’autre con. En fin de compte, au moins, la nuit même, tu te branles en pensant à la juge. Branlette un peu hors de prix mais bon, on est pas là pour jeter l’argent par les fenêtres.

Pour commencer, à cause du speed, on a saigné des gencives puis on perdu nos dents, puis finalement la garde des enfants pour avoir transité des afters aux urgences puis on a accumulé des séparations, des procès pour agressions, résistances à l’autorité, comparutions immédiates, comparutions au long cours, comparutions perdues, moitié regagnées, séparations de biens, assistantes sociales, poli toxicomanies, gosses qui te haïssent, chômage, boulots de merde, parents qui finissent par pardonner, copines qui ne le feront jamais, voisins qui ne t’adressent plus la parole, contrôles anti-terroristes, copains morts les bottes aux pieds, disques vinyles, maquettes et fanzines. Et voilà qu’il faut que je dégotte trois cent balles et que je dois vendre ma collection de fanzines Masakre et Si Volem, la première maquette de Nocivo, un CD de Cólera qui sonne génial parce que même si mon ex à la somme, elle ne veut pas me la refiler mais je vais me les démerder rapidement.

Ouvrir un crowfunding parce que j’en peux plus de cette bande de fils de chiennes. Vous pigez ou je dois tout réexpliquer sans le côté biodynamique ? Il me faut trois cent balles là, tout de suite !

Sinon, allez vous faire un selfie avec vos morves écarlates sur Instagram. 

Josu Arteaga

Traduction maison  



vendredi 16 juillet 2021

Savoir terminer une révolution

 

Le canon de San Lazaro continuait de tonner (...)
Belarmino était hors de lui parce que ce canon semblait prouver que les ouvriers ne respectaient pas le pacte. Il décidé d'aller lui-même les mettre au pas, suivi d'un groupe de fidèles.
Le canon était servi par un artilleur de Trubia qui obéissait aux ordres d'un groupe de Mieres. Belarmino se dirigea vers lui.
- Mais vous n'avez pas reçu l'ordre de cessez-le-feu ?
- C'est qu'ils m'obligent. Je dois tirer de force.
- On va voir ça. Où est le chef de groupe ?
Le chef, un petit jeune trapu à la chemise déboutonnée et à l'air hostile apparut à la porte d'une maison voisine. Il avait le pistolet au poing et était escorté d'une demi-douzaine d'hommes armés. Belarmino l'interpella.
- Tu ne me reconnais pas, camarade ?
L'autre le regarda, un peu sombrement avant de répondre.
- Si, je sais que tu es Belarmino, celui de Sama.
- Pourquoi n'a-tu pas exigé le cessez-le-feu ? Le comité l'a exigé.
- Le comité, connais pas, répondit le mineur excité. Y'en a qui disent que les comités se sont enfuis, d'autres qu'ils négocient avec les militaires. Moi, j'en sais rien. Moi, c'est Peña qui m'a nommé ici et il ne m'a pas encore donné l'ordre d'abandonner.
- Nous autres on se rend pas, intervint un autre jeune en arme. S'ils veulent le canon, qu'ils viennent le chercher.
Belarmino Tomàs expliqua calmement dans quelles conditions la reddition avait été décidée. La lutte était perdue et il fallait éviter des représailles dans les foyers des bassins miniers. L'idée socialiste n'était pas vaincue et ils auraient l'occasion de retourner au combat en son nom. Mais y faire obstacle désormais ne ferait que nuire à la classe ouvrière.
Face à ses paroles, les révolutionnaires ont cédé.
- Mais on rend pas les fusils, hein ? Ça, à aucun prix.
 
Manuel Grossi Mier L'insurrection des Asturies
cité par Ignacio Diaz, Asturies 1934, une révolution sans chefs 
Belarmino Tomàs  

Germaine Montéro dans une chanson de Paul Lançois et Paul Arma (1934)

Et pour détendre l'ambiance, Cuenca minera (bassin minier) de Siniestro Total (1993)