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lundi 31 août 2020

Une heure avec Jules Vallès


Bon, ben, puisqu'on nous claironne la rentrée, voici l'occase de revenir sur un individu cher à notre cœur.
Samedi 29 août, dans son émission Concordance des temps, Jean-Noël Jeannneney a reçu Céline Léger qui a écrit Jules Vallès et la fabrique médiatique de l'événement (1857-1870).
Un très agréable moment de radio qui n'apprendra peut-être pas de nouveautés bouleversants aux aficionados du alias Vingtras mais revient avec bonheur sur quelques-uns de ses textes réjouissants.



En sus, la maison vous offre un billet du même, tiré du journal hebdomadaire "irico-blagueur" Le Chat Noir, quatre feuilles tirées jusqu'à 120 000 exemplaires par Rodolphe Salis, patron du cabaret éponyme.
Vallès y commit ce Aux copains du Chat Noir (lu ici par jean-Luc Debattice) qui résume parfaitement son humour et ses humeurs. Suffit de cliquer sur le titre.

Par ailleurs, on craque. Comment faire entendre à des ignorants de journalistes que les nazis n'ont PAS incendié le Reichstag en 1933 et qu'ils se sont contentés de tirer les marrons du feu ?  Et ça prétend combattre les fake news, cette engeance.

vendredi 14 juin 2019

Du côté du Chat Noir (10) Erik Satie s'amusait

En 1909
Grand seigneur du piano, reconnu par son inventivité comme un ancêtre du surréalisme et de la musique répétitive, surnommé Ésotérik Satie par Alphonse Allais, qualifié par Claude Debussy de musicien médiéval et doux, égaré dans ce siècle, et de mélancolico-rigolo par Marcel Gotlib, Erik Satie naquit à Honfleur en 1866 pour aller mourir à Paris en 1925 suite à une longue carrière de buveur d'absinthe et une dèche récurrente, sa dignité lui interdisant d'aller taper ses connaissances plus fortunées.
Pour survivre, ce proche de Debussy ou de Stravinsky se fit artiste de cabaret, écrivant des mélodies qualifiées par lui-même de "rudes saloperies", sur des textes où l'absurde dispute à l'ironie. 


Parodiant la Marche funèbre de Chopin, rebaptisée Embryons desséchés pour l'occasion, traitant un célèbre critique musical de Trou du cul, mais un cul sans musique, Satie n'hésitait pas à se moquer allègrement de sa corporation ou de lui-même. 
Ci-dessous un extrait de Mémoire d'un amnésique lu par Oliver Alain Christie. C'est le sixième texte : L'Intelligence et la Musicalité chez les animaux.



Mémoires d'un amnésique fut une série de six articles que Satie rédigea sur deux ans, publiés dans "La Revue musicale S.I.M." (Société Internationale de Musique) d'avril 1912 à février 1914.
Autre intermède, cet extrait du spectacle Cabaret Satie, La Journée du musicien lu par Philippe Nesme . La Musique, Sonatine bureaucratique, premier et deuxième mouvements, est jouée par Carmen Martinez-Pierret.

samedi 5 mai 2018

Un débutant au Lapin Agile

Public bienveillant (1953)
" Accordez tranquillement votre guitare. Détendez-vous. Dites-vous que vous allez, comme d'habitude, chanter devant des copains." Mais les apaisantes paroles d'Yves Mathieu n'étaient pas d'immense secours. "C'est de la panique que je sentais en lui. Il était tellement intimidé qu'il n'osait demander un verre d'eau. Je lui amenais une bouteille. Pourrait-il chanter ? Je me disais : si Grello l'a recommandé à Paulo, c'est qu'il a du talent. Je me rassurais...


Au Lapin, il n'y a ni micro, ni scène. On est seul devant le public que, d'un geste, on peut toucher tant il est proche. Brassens était livide. Il posa son pied sur un tabouret, plaqua quelques accords sur sa guitare et chanta Le Petit cheval de Paul Fort. De sa moustache mouillée par la transpiration qui coulait sur son visage sortait une voix blanche, bredouillante, sans articulation, souffle Yves Mathieu comme s'il revivait la scène. Le texte était incompréhensible. Le trac qui paralyse y allait de toute sa cruauté. J'avais mal pour cet homme que je ne connaissais pas il y a deux heures. Il m'attendrissait. Le public percevait cette panique. Bon enfant, il applaudissait, encourageait. N'a-t-on pas plus besoins de bravos dans la vie, que de sifflets ?
Ce fut encore Le Gorille, Les Bancs publics, Brave Margot. Voilà, c'était terminé. (...)
Il persévérera deux semaines. parfois, quand venait le moment où il devait chanter, la salle se vidait : l'heure était trop tardive et et il était difficile d'inverser l'ordre de passage des artistes. À la fois triste et soulagé, Brassens partait en lançant son "À demain!" (...)
Un matin, vers deux heures, Brassens fit part à Paulo de sa décision : il renonçait à interpréter lui-même ses chansons. "Il m'est impossible de surmonter le trac... Devant le public, je perds tous mes moyens. Je crois que je ne suis pas fait pour ça. Tant pis, je ferai chanter mes chansons par d'autres.'"

Louis Nucéra Les contes du Lapin Agile

Remarquons que, vingt ans plus tard, le gars avait appris à se détendre et à se marrer. 

samedi 22 octobre 2016

Du côté du Chat Noir (9) Richepin et ses interprètes

Jules Massenet et Jean Richepin


On ne va pas ici retracer la carrière de Jean Richepin, (1849-1926) il occupe déjà une place conséquente, ne serait-ce que sur internet.
Journaliste, matelot, professeur, docker, il fut un pilier du Chat Noir à partir de 1881. Son œuvre la plus célèbre est sans conteste "La chanson des gueux" qui lui vallut un mois de séjour à sainte Pélagie.
Faute de goût impardonnable, en 1909, cet anarchiste de papier a fini par se présenter à L'Académie Française où il fut intronisé par Maurice Barrés (ses potes du Chat Noir, Verlaine en tête, ont dû se retourner dans leurs tombes).


Citons Octave Mirbeau à son propos : En dehors du cabotinisme dont il s’est plu à s’entourer, j’ai la plus grande estime pour le talent de M. Richepin. C’est vraiment un poète, d’un souffle superbe, et dont le lyrisme amer escalada souvent les cimes inexplorées, trop hautes pour les poumons malades de la plupart des rimailleurs parnassiens. La Chanson des gueux nous donna un art nouveau, des rythmes nouveaux, une poésie magnifique et canaille où l’âme de Lamartine transparaissait sur des lèvres crispées de voyou. 
 
Brassens, amoureux du swing et des belles lettres, l'a popularisé au temps de l'industrie du disque avec les "Oiseaux de passage".
Dont, pour rappel, voici une très honorable version par Nicolas Bacchus.

 
Mais rappelons que le poète avait d'ores et déjà été chanté par Yvette Guilbert, Polaire, Lys Gauty, Tino Rossi, et Damia et mis en musique par rien moins que Charles Gounod, Gabriel Fauré ou Emmanuel Chabrier, entre autres.
Plus récemment La chanson des gueux a été adaptée par Jean-Michel Piton. Disque plein de bonnes intentions, mais plutôt gâché par une mise en musique grandiloquente. On lui préfère celle de Tonio Gémène (ici "Voyou")



Pour compléter, voici deux interprétations fort honorables,
 "La chanson des cloches de baptême" rebaptisée "Philistins" par Brassens ici reprise par Nicole Louvier (1964).
Et Mon verre est vidé par Rémo Gary (1999)  

mercredi 25 mai 2016

Du côté du Chat Noir (8) : Charles Cros


Charles Cros est né en 1842 à Fabrezan (11200) et mort en 1888 à Paris.
Et ne serait-ce que pour le tourne-disque, Charles, on t'aime !
Imaginez, ce petit gars de Lagrasse (antique et charmant village de l'Aude, aujourd'hui proie de cultureux fortunés) a inventé successivement le télégraphe automatique (1867), la photo couleur en trichromie (1869) et le paléophone (1877) prototype du phonographe que ce businessman d'Edison va aller breveter avant lui.
Ça, c'est le côté scientifique du bonhomme.
Le moustachu a aussi été membre des Vilains Bonhommes, des Hydropathes (d'Émile Goudeau et de son pote Maurice Mac Nab) et créé Cercle des Zutistes, tous éminents poètes.
Il a brûlé les planches du Chat Noir avec ses fameux monologues (le Hareng saur) et s'est révélé un sacré précurseur des surréalistes.
Extrait :
Je me distrais à voir à travers les carreaux
Des boutiques, les gants, les truffes et les chèques
Où le bonheur est un suivi de six zéros.

Je m'étonne, valant bien les rois, les évêques,
Les colonels et les receveurs généraux
De n'avoir pas de l’eau, du soleil, des pastèques


Voici un autre de ses poèmes en guise d'avertissementAux imbéciles, ici chanté par Jean-Luc Debattice. (Suffit de cliquer sur le titre).

Et sa célèbre Berceuse par Juliette Gréco (1969, musique de Yani Spanos)


Charles Cros fut même chanté par Brigitte Bardot : Sidonie sur l'album Vie Privée (1962)

lundi 21 mars 2016

Du côté du Chat Noir (7) Jehan Rictus




Gabriel Randon dit Jehan-Rictus (1867-1933) était un poète chansonnier du Montmartrois du début XXème.
Proche des anarchistes jusqu’en 1914, Dreyfusard, il sera, comme tant d'autres, contaminé par l'union sacrée et finira son existence en sympathisant monarchiste.
Ses recueils de poèmes, notamment Les soliloques du pauvre (1897) ou Doléances (1900), évoquent l’amour, la souffrance, la mort, le travail, le bistrot, la guillotine...
Il donne la parole aux victimes, vagabonds, prostituées et marginaux.
Lui-même s'était retrouvé à la rue, survivant de boulots minables jusqu'en 1889, année où il fut embauché par la municipalité de Paris avant d'en être renvoyé deux ans plus tard.
Il prit son pseudonyme en débutant au cabaret des Quat'zarts, place Clichy, en 1895, créant un personnage de clochard gouailleur.
Il devint ensuite un habitué des cabarets et des meetings politiques et syndicaux où on l'invitait à déclamer.

Dans ses textes, il a mélangé le parler picard du Boulonnais de son enfance (placé chez des paysans car il n'avait pas été reconnu par ses parents) et l’argot parisien.
Les Soliloques ayant connu un succès immédiat, ils seront réédités en 1903 illustrés par Steinlen, qui a croqué l'auteur ci-contre.
Il plaça chroniques et poèmes dans plusieurs revues : L'Assiette au Beurre, en 1903, Comœdia et Les Hommes du Jour.
Il a publié une dizaine de recueils de son vivant. Son journal et des inédits sortiront à titre posthumes car après, la Première Guerre Mondiale, il n'a plus rien sorti, se contentant de recevoir une légion d'honneur en 1933.
En 1931, il a enregistré trois 78 tours de ses textes.
Marie Dubas l'avait mis en musique dans les mêmes années.
Depuis, il a été repris, entre autre par Monique Morelli.

 
et par Ricet Barrier, pour un très émouvant texte autobiographique sur son enfance pourrie, évoquée dans son unique roman Fil de Fer (1906).

dimanche 14 février 2016

Émission spéciale : balade en Couté

C'était un 11 novembre froid et brumeux, comme il se doit en cette date anniversaire.
Eliott, Jules et Serge avaient rencard dans un coin de cambrousse détrempée avec Lucien, des éditions le Vent du Ch'min, dédiées, depuis longtemps déjà, à l’œuvre de Gaston Couté.
S'ensuivit une matinée de discussion dont voilà quelques extraits enregistrés.
On a donc demandé à Lucien comment ce collectif (dont l'intégrale des publications se trouve à cette adresse) s'est entièrement consacré à cette figure de la "belle époque". 
On y est aussi revenu sur l'enfance et la jeunesse du petit gars de Meung sur Loire, son arrivée et sa carrière à Paris, ses copains poètes, anars, marginaux dans l'ambiance des cabarets de l'époque et sa postérité en dents de scie (mort à 31 ans et enterré une deuxième fois par l'Union sacrée de la guerre 14-18).

Une émission de 109 minutes, saupoudrée de chansons ou de textes de l'auteur.
Ils sont interprétés, dans l'ordre par :
Gérard Pierron     La chanson du braconnier
Gérard Pierron     La Toinon
Bernard Meulien   M'sieur Imbu
Marc Robine         Petit poucet
Pierrot Noir          Le champ d'naviaux
Monique Morelli   Nos vingt ans
Marc Robine         Les mangeux de terre
Loic Lantoine        Jour de lessive
Édith Piaf              Va danser
Le Petit Crème      Sur la grand route

Comme Tilidom est en rade, on peut aller écouter et ou télécharger sur le site de Canal Sud. Faites tourner !



 

mardi 6 janvier 2015

Bibi-la-Purée


Bibi-la-Purée par Picasso

(...) Verlaine plongé par l'abus d'absinthe dans une perpétuelle somnolence, était le véritable président de ces réunions. Ses aventures avec Rimbaud n'étaient pas oubliées. Fanfaron du vice, l'auteur de Sagesse contait à ses voisins comment, récemment, en province, il avait causé un petit scandale en serrant de trop près un jeune berger. Il ajoutait que le maire de la localité était intervenu et lui avait conseillé obligeamment de s'en prendre plutôt au chef de gare, qui venait de Paris et qui, par conséquent, devait être plus au courant des moeurs de la grande ville.
    Verlaine apparaissait au Soleil d'Or flanqué d'une petite cour d'admirateurs, généralement faméliques, mais parmi lesquels se glissaient parfois quelques rimeurs fortunés. L'un de ces derniers avait même tenté d'assurer le couvert du Prince des Poètes, tout au moins pendant un certain temps, en versant pour lui mille francs d'avance à un restaurateur voisin, mais, dès le lendemain, Verlaine, toujours à court d'argent, avait été trouver le commerçant. "Rends-moi cinq cents balles, lui avait-il proposé, et je te promets de ne jamais plus venir manger chez toi."
    Le plus fidèle compagnon de Verlaine était Salis, dit "Bibi-la-Purée". Vêtu de loques et fier de sa dent unique, il se prétendait artiste et se donnait effrontément pour un cousin de son homonyme, le fondateur du Chat Noir. C'était, en réalité, un ancien épicier de Lyon, qui après avoir bu son fonds, avait échoué au Quartier Latin où il subsistait en faisant les courses et en cirant les chaussures des étudiants. Bibi-la-Purée servait le Prince des Poètes avec une docilité d'esclave, le suivant dans tous les cafés et profitant de la moindre distraction de son illustre ami pour ingurgiter subrepticement le contenu des verres d'absinthe servis à celui-ci. Après la mort de Verlaine, Bibi-la-Purée devait vendre aux amateurs plus d'autographes du maître qu'il s'était librement donné que ce dernier n'aurait pu en écrire au cours d'une vie pourtant longue.
    A peu près illettré, Bibi-la-Purée n'en était pas moins l'auteur d'une complainte autobiographique qu'il psalmodiait en faisant la quête :

Bref, quand je serai mort,
Si vous plaigniez mon sort,
Venez à Bagneux même,
Mais surtout sans remords,
Accompagner le corps
Du dernier bohème.


Michel Herbert, La chanson à Montmartre, 1967.




Complainte pour complaire à Bibi-la-Purée
 
Stupeur du badaud, gaîté du trottin,
Le masque à Sardou, la gueule à Voltaire,
La tignasse en pleurs sur maigres vertèbres
Et la requimpette au revers fleuri
D’horribles bouquets pris à la Poubelle,
 
Ainsi se ballade à travers Paris,
Du brillant Montmartre au Quartier-Latin,
Bibi-la-Purée, le pouilleux célèbre,
Prince des Crasseux et des Purotains !
 
Le Mufle au sortir d’un bon restaurant
Hurle en le voyant paraître aux terrasses :
— « Quel est ce cochon ? ce gâte-soirée,
Ce Brummell fétide et malodorant,
Vêtu de microb’s et ganté de crasse ?
Vraiment la Police est plutôt mal faite ! »
 
Mais point ne s’émeut Bibi-la-Purée
Qui porte en son cœur un vaste mépris
Pour quiconque n’est bohème ou poète.
 
Et lors il s’en va promener ailleurs
Sa triste élégance et sa flânerie.

Cy sont ses métiers, besognes étranges
Et premièrement, simple j’m’en-foutiste,
Puis, chacun le sait, ami de Verlaine,
Ami des ponant’s, ami des artistes,
Modèle à sculpteurs dans les ateliers,
Guide à étrangers, cireurs de souliers,
Vadrouilleur encore, s’il vous plaît, bon ange,
Bon ange à poivrots perdus dans la nuit,
Estampeur, filou, truqueur proxénète,
Ainsi va Bibi, l’illustre Bibi !
 
On dit de Bibi : — « Chut ! c’est un mouchard. »
D’autres : — « Taisez-vous, il est bachelier ! »
Et d’autres encor : — « Bibi est rentier. »
Mais nul ne peut croire à la Vérité :
Bibi-la-Purée, c’est le Grand-Déchard.
 
Et quel âge a-t-il ? on ne sait pas bien.
Son nom symbolique en le largongi
Proclame qu’il est assez ancien,
Quasi éternel comme la Misère,
Et trimballes-tu, tu trimballeras,
Ô Bibi, toujours ta rare effigie.
Bibi-la-Purée jamais ne mourra.
 
Va, comédien, noble compagnon,
Cabot de misère, ami de Verlaine,
Errant de Paris, spectre d’un autre âge
Que ne renieraient Gringoire ou Villon,
 
Vilain, dégoûtant, lécheur de bottines,
Gibier de prison, chair à échafaud
Que couve l’œil blanc de la guillotine,
Dandy loqueteux, fabuleux salaud,
 
Ô qui que tu sois, gas d’expédients,
Ministre déchu, ex-étudiant,
Mouchard ou voleur, suce-croquenots,
Tu portes un nom bien plus beau que toi :
 
— « Bibi-la-Purée » : a dit la Putain ;
— « Bibi-la-Purée », dit la Faubourienne
Aussi la Mondaine, aussi le Bourgeois ;
— « Bibi-the-Piourée », daigne l’Angleterre,
— Bibi-la-Purée, songe le Poète...
C’est le Pèlerin, c’est le Solitaire
Qui depuis toujours marche sur la Terre...
 
C’est un sobriquet bon pour l’Être Humain.

Jehan Rictus






BIBI-LA-PUREE

Personnage Hoffmanesque et déambulatoire, le sourire d’un Voltaire ingénu, le cheveu abondant et la dent rare, pendant un tiers de siècle, Bibi la Purée anima les rues de Paris de sa silhouette pittoresque.
 Bibi la Purée n’appartient qu’à moitié à l’histoire de Montmartre, car il partagea ses faveurs entre ce bourg fameux et le quartier Latin. Deux ou trois fois par semaine, armé de son éternel parapluie, drapé dans sa vieille redingote miroitante, une fleur à la boutonnière, son inévitable mégot éternel aux lèvres, il grimpait d’un pas alerte les pentes abruptes de la rue des Martyrs pour venir s’asseoir à la terrasse de l’Auberge du Clou, hiver Comme été, et y savourait une tasse de café nature, car Bibi était sobre, sobre de paroles, sobre de boisson. Le patron du Clou, le jovial Bigot qui adorait toutes les excentricités, aimait voir cette figure sympathique orner sa terrasse et y provoquer la curiosité des passants.
La profession de Bibi la Purée était une des plus jolies que je connaisse et d’une grande facilité à exercer. Il était rentier. Quand il comparaissait devant les tribunaux pour de menus délits qui n’entachaient en rien son honneur professionnel, Bibi la Purée déclinait, à la demande du Président, ses noms, qualités et professions avec la plus exquise complaisanc
e.
- « Bibi la Purée, seigneur de Salis et autres lieux. Et rentier! » ajoutait-il avec orgueil.
 Le véritable Salis, Seigneur de Naintré et de Chanoirville-en–Vexin, qui n’aimait pas qu’on abusât de son nom, menaçait de ses foudres qui étaient, en l’ espèce, des poings solides, le présomptueux Bibi, qui évitait soigneusement de. passer rue Victor Massé où l’illustre seigneur tenait son castel. D’ailleurs, le pauvre Bibi était un petit rentier. Il possédait en tout et pour tout une rente annuelle de quatre cents francs. Et il n’était rentier qu’un jour dans l’année, le jour où il touchait sa rente qu’il dilapidait joyeusement dans le temps que la Terre met à faire sa demie révolution autour du soleil. Heureusement qu’il la touchait le 21 juin, le jour le plus long de l’année. Il était ainsi rentier plus longtemps.
-« Je mène, disait-il, pendant un jour la vie d’un millionnaire. Le reste de l’année, je m’en souviens et j’attends sans impatience, car je suis philosophe, mon autre jour de millionnaire. Aussi bien, ai-je horreur des années bissextiles . » Il ne faudrait pas croire que Bibi la Purée fut un désoeuvré complet. Non, il avait un métier, mais qu’il n’exerçait que rarement et quand l’occasion de le faire se présentait. Il cirait les chaussures. Mais pas à tout le monde! Il n’avait qu’un unique client sur terre, le grand poète Verlaine, et ne consentait à fournir que celui-là.
 Chaque fois qu’ il pouvait se trouver dans la rue en présence de Verlaine, il prenait son pied – c’est le cas de le dire. – Bon gré, mal gré, il fallait que l’infortuné poète passât par les brosses de Bibi qui le cirait éperdument. Et si Verlaine avait le malheur de vouloir récompenser son petit travail par le don de quelques sesterces, Bibi se drapait dans sa dignité et les refusait d’un geste d’empereur outragé.
 Verlaine, qui n’était pas d’une élégance raffinée, avait fini par éviter prudemment les rues et boulevards où Bibi le guettait, armé de ses impitoyables brosses qu’il dissimulait dans les poches des basques de sa redingote.
Un jour même Verlaine, pour le décourager, sortit pieds nus. Bibi se précipita à ses pieds et … les lui cira.

Verlaine, à partir de ce moment, n’opposa plus aucune résistance à Bibi et se résigna à son sort.
Cire! disait-il à Bibi quand il l’apercevait, en tendant son pied.
Il lui parlait comme à un roi.
D’ailleurs, je pus juger un jour par moi-même le désintéressement de Bibi.
Un après-midi que je l’avais rencontré à la terrasse du « Clou », il remarqua la vétusté de mon chapeau, et le lendemain, il m’en apportait une vingtaine à choisir, de toutes les formes, de toutes les dimensions, de toutes les couleurs et de toutes les époques. Aucun ne m’allait. Faut croire que j’ai une drôle de tête! Il me les laissa tous et s’en alla désespéré. Un instant l’idée me vint de m’établir· chapelier, mais toutes réflexions faites, cette idée me sortit de la tête. Je n’ai aucune aptitude pour le Commerce.
Une autre fois, m’étant attardé en sa compagnie jusqu’à l’heure indue de quatre heures du matin, il voulut absolument me reconduire jusqu’à la porte de mon domicile, l’hôtel du Poirier, pour m’assister en cas d’attaque nocturne.

Arrivé à la porte de mon hôtel, je remerciai chaleureusement Bibi et voulus lui offrir une pièce de vingt sous. Je crus qu’il allait me faire un mauvais parti et se livrer sur moi à une « attaque nocturne. »
- Tu m’offense! cria-t-il, jamais avec les amis! Bibi ne mange pas de ce pain-là! Bibi n’est pas un mendiant!
Quoique râpé jusqu’à la corde, Bibi n’était pas d’un abord répugnant. Il se rasait assez régulièrement, prenait un bain dans la Seine de temps à autre et portait un linge qui, quoique douteux, n’atteignit jamais les limites de la décomposition totale.
Bibi n’était pas toujours commode et n’aimait pas se laisser manquer de respect. Une fois je l’ai vu corriger à coups de parapluie, son arme favorite, un quidam qui l’avait insulté.

 Un jour, j’assistai, toujours à la terrasse du Clou, à une scène bien curieuse entre Bibi et un Arabe en costume national, que le dessinateur Henricus venait de ramener d’Afrique.
Tout à coup Bibi, qui était assis auprès de l’Arabe, aperçoit un énorme pou qui se baladait sur le revers de sa propre redingote. Il saisit délicatement l’insecte entre le pouce et l’index et le montrant à l’ Arabe : « C’ est à vous ceci, Sidi ? »
- Parfaitement, répond tranquillement l’Arabe, qui le lui reprend des mains et le repose froidement sur son burnous.
Vous voyez par cette anecdote, que Bibi avait le sentiment exact de la propriété.
Bibi était très galant avec les dames. Il détachait fort souvent de la boutonnière de sa redingote le bouquet de violettes ou l’oeillet rose qui s’y fanait, pour l’offrir à une belle personne du sexe féminin. Il y avait du Don Quichotte en lui.
Un beau dimanche, sous la présidence de Georges Courteline qui n’était pas encore commandeur de la Légion d’honneur, on couronna un poète maintenant oublié, César Leprince, sur le tas de sable qui surmontait le rond-point qui fait face à l’auberge du Clou, et pour corser la fête, on élit Bibi la Purée « rosier » de Montmartre. Il fut très digne et très acclamé dans ce rôle.
D’ailleurs on Soupçonna toujours Bibi d’être mort « vierge et martyr ». Il était galant, il n’était pas amoureux. Il ne faut pas confondre intelligence avec gendarmerie.
Bibi était une espèce de saint. On ne lui connaissait aucun vice. Il ne buvait pas, ne fumait que des cigarettes éteintes et ne disait jamais de mal de son prochain. Il adorait la lecture, la liberté et le grand air.
Des journées entières on le voyait sur les quais ou sous les galeries de l’Odéon, feuilleter de vieux bouquins ou de jeunes revues.
Ses domiciles étaient vagues et indéfinis. L’époque du terme le laissait indifférent. Car jamais les voûtes des arches du Pont-Neuf ou les bancs du boulevard Saint-Michel n’ont présenté leurs quittances de loyer aux locataires qu’ils abritent ou soutiennent. -
Bibi était le noctambule par excellence. Il dormait de préférence le jour, dans des endroits frais abrités du soleil, avec la rumeur de la grande ville au-dessus ou autour de lui.
La campagne, bien qu’il aimât les fleurs, l’attirait peu. Il lui préférait les ombrages du Luxembourg, les moires de l’eau de la fontaine Médicis, les quinconces peuplés des blanches statues de nos reines aux robes de pierre, aux majestueuses attitudes figées. Il passait au milieu des étudiants, des grisettes et des rapins, comme un personnage d’une époque éteinte, le spectre d’un Voltaire bénévole dont il ne serait plus resté que le sourire et dont la malice se serait envolée. Il allait souvent s’asseoir en face de la statue de ce dernier, et Voltaire et Bibi s’envoyaient leur plus gracieux sourire. Mais celui de Voltaire était fixé par l’éternité et par Pigalle.
Comme la plupart des poètes, des rêveurs et ces philosophes, Comme son Dieu Verlaine, Bibi la Purée mourut à l’hôpital.
Sa mort fut tragiquement belle.
Depuis longtemps, dévoré par la fièvre, il était visité d’affreux cauchemars peuplés des fantômes de sa vie passée et s’agitait entre les draps de son lit de douleur sans pouvoir y trouver le repos que la vie ne lui avait jamais donné et que la mort bienfaisante et éternelle était près de lui accorder.
Un jour, pendant la visite, il se leva debout sur son lit. Il s’était enveloppé dans ses draps qui lui faisaient un blanc vêtement sacerdotal. Il s’était coiffé de son vase de nuit qui figurait une tiare papale. L’infortuné, dans son agonie, se prenait pour Léon XIII avec lequel il avait une vague ressemblance. Car Léon XIII, ce croyant, et Voltaire, cet athée, se ressemblaient physiquement. Etrange anomalie propre à faire rêver ceux qui se penchent un moment, au risque d’en avoir le vertige, sur l’insondable abîme de l’Eternité. Alors d’un vaste geste circulaire, vénérable,majestueux et hiératique, pendant que les infirmières poussaient des cris d’orfraie, il les bénit, il bénit le médecin en chef, il bénit les infirmiers, il bénit les malades, il se bénit lui-même. Puis il retomba sur son lit.
Il était mort.

Jules Depaquit, La Vache enragée n°91, novembre 1922.
Texte trouvé sur ce site, merci au blogueur pour la transcription.



Brassens, L'enterrement de Verlaine.


petite annonce : pour un problème d'enregistrement, on mettra notre dernière émission en ligne dans quelques jours.