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dimanche 18 juin 2017

Mort Shuman et Bakounine

Petite précision en préambule : Mort Shuman (1938-1991) ne fut pas uniquement le chanteur de variétoche qui squattait nos trois radios périphériques dans les années 70.
De 1958 à 1965, ce petit gars de Brooklin fait équipe avec l'ex chanteur, bluesman et parolier Doc Pomus pour pondre une bonne centaine de chansons aux Drifters, Ray Charles, Elvis Presley, Janis Joplin, Ben E KIng, the Coasters, etc.
Et puis, le bonhomme s'étant lié d'amitié avec Brel et Eddy Mitchell, il s'installera en Europe pour la suite que l'on sait.
Un beau fleuron de la production des forçats de la partition par des Animals tardifs.


En musardant sur le ouèbe (ouais, y'en qui ont du temps à perdre) on tombe parfois sur des élucubrations* étonnantes.
Nous reproduisons partiellement cet article de Jean-Christophe Angaut sur le site des Ateliers de Création Libertaire : Bakounine et le Lac Majeur.

 Une amie m’a récemment transmis une question : il semblerait que la chanson Le Lac Majeur, interprétée par Mort Shuman, contienne une allusion à Bakounine, mais celle-ci est peu évidente… Sur le moment, cela m’a un peu surpris, sans doute parce que je n’avais qu’un souvenir très lointain de ce qui était pour moi un morceau de variété sentimentale des années 1970, ensuite parce que, réécoutant la chanson, l’allusion, en effet, n’apparaît pas d’une manière flagrante. Alors je me suis un peu documenté et j’ai d’abord découvert que la chanson avait été écrite par Étienne Roda-Gil, ce qui est un début de piste.


Roda-Gil

Fils d’anarchistes espagnols, il fut militant libertaire dans sa jeunesse, avant de devenir le célèbre parolier que l’on sait. Il écrivit d’ailleurs l’une des chansons les plus connues de ces dernières décennies, en hommage à l’insurrection makhnoviste d’Ukraine lors de la guerre civile de 1918-1921, la fameuse Makhnovtchina (composée sur un air qui servit de chant aussi bien pour les armées blanches que pour les bolcheviques), titre présent sur la compilation éditée par Jacques Le Glou en 1974, Pour en finir avec le travail.

Perron et Bakounine à Bâle (1869)
D’autre part, il y a en effet un lien entre Bakounine et le Lac Majeur, puisque le révolutionnaire russe séjourna sur les rives de ce dernier de 1869 à 1874, d’abord à Locarno , puis à partir de 1873 à La Baronata, une propriété achetée par son ami et compagnon de lutte Carlo Cafiero. Celui-ci, issu d’une famille de la grande bourgeoisie, avait fait le choix de tourner le dos à son destin social et de consacrer son héritage à financer la Cause (il fut aussi l’auteur d’un remarquable Abrégé du Capital de Karl Marx,réédité en 2008 par les Éditions du Chien Rouge). L’idée était alors de disposer d’un lieu, à proximité de la frontière italo-suisse (dans le canton italophone du Tessin), qui puisse héberger des révolutionnaires et en même temps posséder une certaine autonomie grâce à la mise en culture du terrain environnant. Mais l’expérience tourna court, le projet trop vaste engloutissant l’héritage du (désormais) pauvre Cafiero, Bakounine s’avérant à cette occasion un piètre gestionnaire (il eut par exemple l’idée de faire exploser les rendements agricoles du terrain en utilisant force engrais, ce qui eut pour seul résultat de tout brûler). Il en résulta une brouille entre Bakounine et Cafiero et le projet fut abandonné. C’est finalement à Lugano, non loin de là, que Bakounine, malade, passa les deux dernières années de sa vie.

Dans un livre en anglais sur Mort Shuman sur lequel je suis tombé en faisant ma petite enquête (Graham Vickers, Pomus & Shuman: Hitmakers Together and Apart) on trouve l’éclairage suivant, qui viendrait de Mort Shuman lui-même : “Assurément, on ne pouvait attendre de personne qu’il remontât au germe initial de l’inspiration de la chanson de Roda-Gil qui, selon Mort, était une anecdote à propos de Bakounine, qui vola toutes les recettes collectées pour un congrès de parti à Moscou et emmena sa femme au bord du Lac Majeur où il fit tirer un grand feu d’artifice en son honneur, ce qui suggéra à Roda-Gil l’image de la neige tombant sur l’eau”. Le récit attribué à Mort Shuman contient bien des inexactitudes qui en compromettent la crédibilité : il n’y a jamais eu de congrès de parti, encore moins à Moscou, pour lequel des fonds auraient été levés et que Bakounine aurait détournés - et ce dernier n’eut pas besoin d’emmener sa femme à un endroit où ils vivaient ensemble depuis cinq ans. Néanmoins l’histoire possède un fond de réalité, et il n’est pas impossible que l’interprète ait brodé à partir des quelques informations transmises par son parolier.
Carlo Cafiero

L’anecdote du feu d’artifice est véridique : Bakounine en fit tirer un par son ami Celso Cerrutti, en l’honneur de sa femme de retour d’Italie. L’anecdote est rapportée par James Guillaume dans L’Internationale. Voici ce qu’écrit Bakounine à propos de cette soirée du 13 juillet : « Lundi 13. Arrivée d’Antonie, que Ross, parti hier dimanche, a rencontrée à Milan, avec toute sa famille, papa et les enfants. Arrivés à onze heures et demie. Enchantés. Soir illumination et feu d’artifice, arrangés par Cerrutti. Le soir, tard survient Carlo Cafiero. » L’anecdote n’en serait qu’une de plus sur la vie de Bakounine si elle ne prenait place sur la toile du fond du désastre de la Baronata et des relations de Bakounine avec Cafiero, qui se détériorèrent précisément durant ces quelques jours de juillet 1874 - sans que l’on sache si l’épisode du feu d’artifice, dont on imagine qu’il s’agissait d’un divertissement coûteux, a pu jouer son rôle dans le sentiment qui semble avoir grandi chez Cafiero que l’argent qu’il destinait à la lutte révolutionnaire se trouvait bien mal employé en étant investi dans la Baronata (on est libre d’imaginer, par exemple, qu’il goûta assez peu le feu d’artifice, au moment où il arrivait à la Baronata avec de l’argent, des armes et de la dynamite pour une insurrection à venir).

Insurrection de Bologne, 1874
Mais on peut tenter d’aller plus loin, et  par exemple avancer que les enfants qui crient de bonheur sont ceux qui accompagnent Antonia revenant d’Italie. Mais c’est peut-être aussi une allusion aux enfants de la Page d’écriture de Prévert, saluant l’oiseau-lyre dans le ciel - ce qui, au demeurant, ne nous dit pas ce que viennent faire des oiseaux-lyre, volatiles originaires d’Australie, dans une chanson sur le Lac Majeur… Quant au pauvre sang italien qui coule en vain, pourquoi ne s’agirait-il pas de celui des révolutionnaires italiens, compagnons de Bakounine, qui s’apprêtaient au moment du feu d’artifice, à lancer un mouvement insurrectionnel dans toute la péninsule - mouvement qui finalement rendit le fameux bruit du pétard mouillé (mais auquel Bakounine tenta de participer, espérant, en plein désastre de la Baronata, trouver la mort sur une barricade). Mais la chanson ayant été écrite au début des années 1970, pourquoi ne pas y voir, aussi, une allusion aux mouvements italiens de l’époque?

* 1593 "Ouvrage exécuté à force de veilles et de travail" (première des deux définitions du petit Robert)

jeudi 11 décembre 2014

Ce coup-là c'est la reprise à HECTOR

A l'origine, "A city slick", un blues à tendance sudiste chanté par un petit gars de Detroit, Jay Hammond, alias Timmy Shaw (1938-1984). En 1964, ce titre dans lequel il menace une naïve jeune fille de la cambrousse de la renvoyer chez sa mère avec ses valoches fera un tabac dans tous les dancings de Motor City.

La même année, Eric Burdon, l'extraordinaire voix du groupe The Animals, transforme la chanson en la popularisant dans toute l'Europe.
Le groupe de Manchester, remplace simplement la Géorgie de l'original par la ville de Walker (Newcastle upon Tyne) d'où Burdon est lui-même natif.



Et voilà notre JP Kalfon, plus connu comme Hector, qui se lance à son tour, toujours en 1964, sans la complicité de son parolier occasionnel, Jean Yanne.
A l'écoute, on comprendra pourquoi cette reprise est restée une rareté.Elle rejoint la cohorte des adaptations anecdotiques. On vous l'envoie tout de même pour son côté sympathique. Et puis c'est toujours moins tarte que du Claude François.