mercredi 1 avril 2020

Tranche de vie (antique)



Cette année-là, de l'aveu général, la population avait été particulièrement indemne de toute maladie ; mais toutes celles qui sévissaient aboutissaient à ce mal. En général on était atteint sans indice précurseur, subitement en pleine santé. On éprouvait de violentes chaleurs à la tête ; les yeux étaient rouges et enflammés ; à l'intérieur, le pharynx et la langue devenaient sanguinolents, la respiration irrégulière, l'haleine fétide. A ces symptômes succédaient l'éternuement et l'enrouement ; peu de temps après la douleur gagnait la poitrine, s'accompagnant d'une toux violente ; quand le mal s'attaquait à l'estomac, il y provoquait des troubles et y déterminait, avec des souffrances aiguës, toutes les sortes d'évacuation de bile auxquelles les médecins ont donné des noms. Presque tous les malades étaient pris de hoquets non suivis de vomissements, mais accompagnés de convulsions ; chez les uns ce hoquet cessait immédiatement, chez d'autres il durait fort longtemps.
Au toucher, la peau n'était pas très chaude ; elle n'était pas livide non plus, mais rougeâtre avec une éruption de phlyctènes et d'ulcères ; mais à l'intérieur le corps était si brûlant qu'il ne supportait pas le contact des vêtements et des tissus les plus légers ; les malades demeuraient nus et étaient tentés de se jeter dans l'eau froide ; c'est ce qui arriva à beaucoup, faute de surveillance ; en proie à une soif inextinguible, ils se précipitèrent dans des puits. On n'était pas plus soulagé, qu'on bût beaucoup ou peu. L'on souffrait constamment du manque de repos et de sommeil. Le corps, tant que la maladie était dans toute sa force, ne se flétrissait pas et résistait contre toute attente à la souffrance.
La plupart mouraient au bout de neuf ou de sept jours, consumés par le feu intérieur, sans avoir perdu toutes leurs forces. Si l'on dépassait ce stade, le mal descendait dans l'intestin ; une violente ulcération s'y déclarait, accompagnée d'une diarrhée rebelle qui faisait périr de faiblesse beaucoup de malades. Le mal, qui commençait par la partie supérieure du corps et qui avait au début son siège dans la tête, gagnait ensuite le corps entier et ceux qui survivaient aux accidents les plus graves en gardaient aux extrémités les traces. Il attaquait les parties sexuelles, l'extrémité des mains et des pieds et l'on n'échappait souvent qu'en perdant une de ces parties ; quelques-uns même perdirent la vue. D'autres, aussitôt guéris, n'avaient plus dès lors souvenir de rien, oubliaient leur personnalité et ne reconnaissaient plus leurs proches.

Thucydide La guerre du Péloponnèse livre II

Une pensée solidaire pour des oubliés parmi les oubliés (à l'exception notable de ce reportage du 27 mars sur FC) : les prisonniers. Car ça commence à tomber comme à Gravelotte à l'intérieur. Contrairement à ce qui a ét annoncé, la chancellerie s'est contentée de doubler par décret le temps de détention provisoire. Les détenus ont déjà bloqués de nombreuses promenades avant de s'en prendre plein la gueule. Leurs revendications ? Des mesures sanitaires et la sortie des courtes peines. 
Une pensée aussi pour le camarade Olivier, disparu il y a trois jours. 
C'est le premier avril et on a très moyennement envie de rigoler.
Un classique du rebetiko repris en rock par les Villagers of Ionnanina City. Ça envoie des mots doux au forces de l'ordre. 


7 commentaires:

  1. Hello, juste pour relayer un site d'infos indispensable par les temps qui courent (ou ne courent pas d'ailleurs) : https://acta.zone/coronavirus-confinement-et-resistances-suivi-en-continu/

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  2. "Nous sommes en effet les seuls à penser qu'un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile"
    (Thucydide, Guerre du Péloponnèse, Livre 2, chapitre 1)

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  3. C'est de Péricles, non ?
    Vous nous manquez, Moine. surtout en ces temps confinés.

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    1. Ouais, Périclès, emporté par le virus (la variole, peut-être, plutôt que la "peste"), à peine deux ans après le début de la Guerre.
      On vous embrasse, Jules, sans aucune distanciation sociale. C'est toujours un plaisir de vous lire. D'autant (exemple : ce texte de Thucydide) qu'on pense souvent exactement aux mêmes trucs que vous en même temps. On appelle ça "hasard objectif", paraît-il.

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  4. This is the beginning of a beautiful friendship, Louis.

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    1. Gardez toute votre énergie pour l'après-confinement. Va y avoir du sport.

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  5. C'est tout le mal que je nous souhaite.
    Comme m'écrit un copain espagnol, on va avoir du taf pour nettoyer les rues.
    Même si parfois, je redoute une apathie générale, une acceptation de sortir de là fractionnés et prêts à tout prendre.
    Mais, bon les idées, ça va, ça vient.

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