mardi 29 mars 2022

Un caillou dans la botte

 

Une évidence : il n'y a rien de plus contre-révolutionnaire qu'une guerre entre États. Ceci posé, dans le cas de la guerre entre Russie et Ukraine (entamée en 2014, faut-il le rappeler) la position du défaitisme révolutionnaire est inopérante et complètement larguée. Désolé, camarades gauchistes, nous ne sommes pas en 1914 !
Évidemment, nous n'avons pas plus de sympathie pour le gentil Zelensky que pour le méchant Poutine. Ce qui leur fait une belle jambe à tous deux !
Pour l'instant,nous nous contenterons de laisser la parole à quelques-uns des premiers concernés. Au cas où certains n'aient pas encore pris connaissance de ce texte produit par des camarades acculés qui n'ont de choix qu'entre des solutions merdiques, on le remet en lien. Extrait: Nous considérons que les slogans « Dites non à la guerre » ou « La guerre des empires » sont inefficaces et populistes. Le mouvement anarchiste n’a aucune influence sur le processus, donc de telles déclarations ne changent rien du tout.
Et désolé, camarades anarchistes, malgré tous ces riches enseignements, nous ne sommes pas en guerre d'Espagne en 1936 ! Pas plus qu'il n'y aurait, pour l'instant disions-nous, quoi que ce soit de comparable à l'émergence d'un mouvement de type makhnoviste. 
Ceci dit, il existe quelques motifs de réjouissance.
Les cheminots biélorusses ont mis un beau bordel dans les lignes approvisionnant l'armée occupante.
Un chef mécanicien sabote le yatch de son patron, oligarque russe, aux Baléares.
Un citoyen irlandais enfonce le portail de l'ambassade russe de Dublin (on sait, même si ça sent le pari au pub du coin, le geste n'en reste pas moins beau).
Saboteurs de tous les pays, unissez-vous !

mardi 22 mars 2022

Le massacre du printemps


La seule idéologie qui reste, ou peut rester vivante en Russie, c’est le chauvinisme grand-russien. Le seul imaginaire qui garde une efficace historique, c’est l’imaginaire nationaliste — ou impérial. Cet imaginaire n’a pas besoin du Parti — sauf comme masque et, surtout, truchement de propagande et d’action, de pénétration internationale. Son porteur organique, c’est l’Armée. […] L’Armée est le seul secteur vraiment moderne de la société russe — et le seul secteur qui fonctionne effectivement. 

Cornelius Castoriadis Devant la guerre (1981)
Cité par Temps critiques
 
La limite des analyses lucides, comme celle ci-dessus, produite du temps de l'URSS encore puissante, est qu'elles ont très peu d'effet sur la réalité.
Quant aux chansons prophétiques venues d'une époque où certains pensaient qu'on jouait à se faire peur mais au cours de laquelle il fallait être un petit occidental bien hypocrite pour s'imaginer vivre dans un monde en paix...
Le père Béranger en 1970 (album Tranche de vie)

samedi 19 mars 2022

Du côté des modernes

 

Éloignons-nous momentanément de la guerre, enfin de la pure et dure, pour revenir à notre doux pays.
Ainsi, le pass vaccinal a été suspendu (Pigé ? Sus-pen-du, peut resservir à tout moment) le masque tombe en désuétude, nous pouvons tous et toutes revenir consommer dans les boites de nuits et autres restaus et le télétravail n'est plus obligatoire pour ceux qui avaient encore le choix. 
Enfin, on va pouvoir retrouver ses collègues au turbin.
Il reste toutefois d'indécrottables cul-terreux rétifs au progrès.Sauf en ce qui concerne le fond musical.
Mesdames et messieurs, les Astaffort Mods. L'odyssée du putain d'espace du disque Sardines à l'huile aux pruneaux (2020).
  

lundi 7 mars 2022

Vissotsky : le retour du soldat


Dans le cadre d'un nouvelle semaine d'effort de guerre à l'Est et avec une attention toute particulière au moral des troupes, voici un chanteur qui fut à la fois marginalisé par le pouvoir et massivement admiré par les sentimentaux, les poètes, les ivrognes, les désespérés, les indécrottables rieurs, les amoureux des mots, les humbles, les voleurs et pas mal d'autres, en Russie, pardon, en URSS, j'ai nommé l'indispensable Vladimir Vissotsky.
Car ce n'est pas tout d'arriver à se taper une guerre prolongée où on vous a envoyé avec trois jours de rations et un demi plein de gasoil, il faut aussi tâcher de ne pas rentrer au pays dans un sac, pardon dans un cercueil en zinc (merci Svletana).  Il s'agit donc de revenir à peu près intact, oh pas psychologiquement faut pas rêver, mais sur ses deux jambes serait déjà pas mal. 
C'est ce que narre notre tovaritch la Déprime dans La chanson d'un soldat, ou Солдатская, balade joyeuse de 1974 dont on ne résiste à vous envoyer la traduction. Bienvenue chez toi, vaillant conscrit !
Tant qu'on y est, on est estomaqué de constater à quel point un billet d'il y a huit ans est encore d'actualité.
Dans toutes les batailles du monde entier, j’ai peiné, j’ai rampé avec mon régiment.
Puis on m’a ramené chez moi, malade, défait, sur un train spécial du Service de Santé.
Et d’un camion on m’a déposé devant chez moi, juste devant la porte.
Je l’ai regardée. J’étais étonné, stupéfait: une drôle de fumée montait de la cheminée.
Les gens aux fenêtres évitaient mon regard et la maîtresse m’a reçu comme un étranger.
Elle ne m’a pas serré dans ses bras, en larmes, seulement le geste, puis elle est rentrée dedans.
Les chiens hurlaient et mordaient la chaîne alors que je fendais la foule là dedans;
j’ai trébuché sur quelque chose qui n’était pas à moi, puis j’ai tâté la porte. Je suis entré, si faible, à genoux. 
Le nouveau maître de la maison, à l’air sombre, était assis à table, à ma place de tous les jours.
Une femme était assise à son côté, et c’est pour ça, et c’est pour ça que les chiens aboyaient si fort.
Donc - j’ai pensé - pendant que je faisais mon devoir sous le feu, en me passant de toute pitié ou sagesse,
ce type-là avait tout déplacé, chez moi, il avait tout changé à sa façon, comme il voulait.

 

Et avant chaque assaut, nous priions Dieu que son feu de couverture ne rate pas le coup...
Mais ce coup, plus mortel, m’était lâché dans le dos et transperçait mon cœur comme la trahison.
Comme un paysan, j’ai fait de grandes révérences, j’ai fait appel à toute ma volonté pour murmurer:
«Pardonnez-moi ma faute, bon, je repars, c’est pas la maison juste, mes amis, c’est comme ça.» 
Je voulais dire ça: Que la paix et l’amour règnent chez vous, que vous ayez toujours du bon pain à cuire...
Mais lui, bon, il n’a levé pas même ses yeux comme si tout ce qui s’était passé était normal.
Le plancher, tout décapé, a branlé fort, mais je n’ai pas claqué la porte, comme autrefois.
Je suis parti. Les fenêtres se sont rouvertes et on m’a lancé de loin des regards coupables.
Traduction Riccardo Venturi

jeudi 3 mars 2022

Tranche de vie (politico stratégique)

 

 
- Le voilà bien leur Front populaire, peste Dartmann en repoussant son assiette. Il faut le combattre bec et ongles.
- Oui mais comment ? Je demande. On va nous dire que le seul moyen efficace de combattre le fascisme, c'est l'armée unifiée.
- Mais ce n'est pas vrai ! proteste Dartmann. Les miliciens qui ont tenu au Jarama, c'était une armée unifiée ? Non. Les ouvriers qui ont combattu l'insurrection à Barcelone, c'était une armée régulière ? Non. Les unités internationales qui se sont formées au pied levé pour se lancer à l'assaut contre les fascistes au bout de deux semaines d'entraînement seulement, c'était...
- Tu sais que je connais tous ces arguments, Dartmann, et que je suis d'accord avec toi. Sur toute le ligne.
- Alors ?
- On peut disposer de tous les arguments irréfutables qu'on veut, mais si les gens ne veulent pas les entendre ? T'as pensé à ça un peu ?
- Et comment veux-tu convaincre les gens autrement que par des arguments ?
- Alors là, tu me poses une colle.
(...)
- On va perdre si ça continue comme ça, dit Dartmann en se donnant bonne contenance. Il faut être aveugle pour ne pas voir que ce qui fait notre force, c'est l'ouvrier armé qui décide de ses propres méthodes de combat avec ses compagnons de travail ou de quartier, l'ouvrier armé qui sait qu'il est vraiment maître de son destin, l'ouvrier qui n'a pas peur de se lancer au combat parce qu'il est partie prenante des initiatives de combat. Et justement, ces républicains bourgeois ne sont pas aveugles. Ils veulent freiner toutes les initiatives ouvrières, détruire tous les acquis de la révolution et ils vont se servir de cette armée prétendument populaire pour le faire. Et les amis les plus fidèles des républicains bourgeois, c'est qui ?
- Les communistes.
- Et moi donc, suis-je un ami fidèle des républic...
- Les staliniens, je veux dire. 
- Exact. Les staliniens. 
David M. Thomas Un plat de sang andalou

Pour paraphraser l'écrivain Isaac Rosa, encore un putain de roman sur la guerre d'Espagne. Mais ce premier volet d'une trilogie incomplète (le troisième tome n'est toujours pas édité) écrit en français par un prolo gallois rescapé de la grande grève de 1984, recèle d'agréables surprises. À commencer par le cadre d'Almería, généralement ignoré.
Tout parallèle avec une situation présente ne serait qu'abusif.
Faute de mieux, un extrait musical du très moyen film de Vicente Aranda, Libertarias (1996)