jeudi 29 avril 2021

Le triomphe des salauds

 

Il ne suffisait pas de pratiquer un darwinisme social qui n'ose pas dire son nom en laissant crever bon nombre de migrants sur leur route d'exil. Il ne suffisait pas de laisser croupir ceux qui passent la frontière entre taudis et trottoir. Il ne suffisait pas de faire passer une nouvelle loi sécuritaire ou anti-terroriste tous les ans. Il ne suffisait pas de rallonger des peines de prison à l'infini. De prolonger des états d'exception, sécuritaires ou sanitaires, qui deviennent la règle commune.
Non. Pour complaire à la frange la plus réactionnaire de l'électorat et paraître viril, il a fallu livrer en pâture à la justice transalpine sept hommes et femmes (tous nos vœux de longue vie aux trois en cavale) qui vivaient ici au vu et au su des autorités, pour certains depuis plus de 40 ans, tout en étant suspendus au quotidien à une menace d'extradition. 
Le problème n'est pas tant qu'en Italie, une fois condamné par contumace, on n'est pas rejugé et que cette soi-disant justice n'est qu'une forme de vengeance. Le problème n'est pas de tergiverser pour savoir si les BR étaient ou non légitimes*, elles appartiennent à l'histoire. Le problème est que l'Italie inaugura en son temps la politique du repentir et que depuis, cette infâme conception est devenue la règle sous nos latitudes. 
Pathétiques ! Ils sont pathétiques. Tant le petit coq qui nous gouverne qui croit se faire une crédibilité en arrêtant d'ex membres de lutte armée devenus majoritairement travailleurs sociaux et aménageant le droit à sa guise (même une crapule comme Mitterrand, même une brute comme Sarkozy savaient que ça ne se fait pas) que l'ancien ténor du barreau médiatique devenu deuxième flic de France. Parce qu'à force de vouloir contenter une soi-disant opinion fascisante, celle-ci va finir par préférer l'original à l'imitation. Et ces sombres manœuvres ne marqueront que le crépuscule des odieux.
Ce lamentable épisode sera au moins l'occasion de passer le très symbolique Addio a Lugano écrit par Pietro Gori en 1895 à l'occasion de l'expulsion de réfugiés italiens (anarchistes ceux-là).
Et de rendre un hommage à la grande Milva, décédée le 23 avril dernier.

 

* Ces lignes sont écrites pendant que le lèche-cul radiophonique du matin mélange allégrement Brigades Rouges, djihad et antisémitisme. À vomir.

Mise à jour du 30 avril : Depuis deux des trois recherchés restant se sont livrés (on comprend que partir en cavale à 71 et 72 ans...) Tous les concernés n'appartenaient pas aux brigades Rouges mais aussi à d'autres groupes (PAC, LC, FCC). Quant aux "crimes de sang" qui auraient justifiés l'extradition, mon œil ! La majorité sont poursuivis pour "appartenance à bande armée".

Des détails, me direz-vous mais comme d'habitude symptomatiques du traitement de l'information.

lundi 26 avril 2021

Encore et toujours du Brel cafardeux

 
D'une part, c'est pas l'anniversaire du désastre de Tchernobyl qui nous pousse à l'allégresse. D'autre part, quand on se sent du vague à l'âme rien ne vaut une dose de joyeux cynisme.
Comme on l'a plusieurs fois souligné, bien avant Gainsbourg, Jacques Brel fut une belle source d'inspiration pour nombre de chanteurs anglo-saxons. Notre avis sur les raisons en sont explicités au lien précédent et on a beaucoup insisté sur le cas Amsterdam.
Passons au Moribond, sorti en 1961 en 45 tour 3 titres et sur l'album Marieke puis réenregistré en version plus énergique en 1972 sur l'album Ne me quitte pas. Pour mémoire, un agonisant passe en revue ses relations en leur faisant quelques recommandations aussi amères que vachardes. 
En voici une version par Brel lui-même dans un certain brouillard télévisuel (arrêtez de taper sur ce poste, ça sert à rien)

En 1974, le folkeux canadien Terry Jacks en fait une adaptation en anglais sous le titre Seasons in the sun. Ce qui donne une aimable tube à tendance variétoche possédant néanmoins deux défauts majeurs : un arrangement bien en dessous de l'original qui sent son folk grand public et niaiseux et puisqu'on a lâché le mot, des paroles tout à fait contraire au thème sarcastique du grand Jacques. Ici, notre mourant se met paisiblement en règle avec ses êtres chers dans une béatitude plutôt hors propos.
Mais cette version fit un carton outre-Atlantique et nombreux furent ceux qui la mirent à leur répertoire. Il semblait que Brel ait été, comment dire, non pas lissé mais raboté.
Heureusement, Zorro est arrivé.
Qui mieux qu'une bande de grands déprimés pouvaient redonner un peu de relief et de brutalité à cette ritournelle ? 
Évidemment, à l'époque où ils l'ont repris, ces jeunes gens décalés ne connaissaient pas la fin de l'histoire. Quoique... On s'interroge.
Voici donc Seasons in the sun par un Nirvana étonnamment traînant.
Faut dire que pour l'occase, ils avaient tout simplement échangé leurs instruments habituels.

 

On se sent beaucoup mieux, du coup. Bonne rentrée à tous !

jeudi 22 avril 2021

Vieilleries : Starshoot' vs Bérus

 
On ne va pas ici gloser sur l'absence de concerts et de chaleur humaine qui en résulte. On se contentera de saluer les musiciens qui persistent à jouer dans les rues.
De même, n'insistons pas sur le fait que dans les dits concerts, il fut un temps où il s'agissait de vivre un instant présent sans slalomer au milieu d'une forêt de téléphones censés immortaliser l'événement pour au moins les deux prochaines heures.  
On a suffisamment l'impression d'avoir rejoint l'espèce des dinosaures comme ça, à force de se demander quelle est l'humanité commune qu'on posséderait à côté de certains zombis accrochés à leur écran portatif.  
On est tombé sur cette archive. Même si on n'a jamais été un grand amateur de Starshooter, il faut reconnaître que ces jeunes gens savaient tenir une scène. Et que celui qui n'a jamais guinché sur Betsy Party nous jette la première canette.
Ça aurait été filmé le 20 novembre 1979 à Joinville et ce serait extrait du film Saloperie de Rock'n roll de Jean-Noël Delamarre (on y croise aussi Téléphone à leurs débuts et les oubliés Ganafoul) sauf qu'on dirait bien qu'il y a là deux séquences.
 
 
 
Dans le cadre de notre promo deux pour un, les Bérurier Noir ne dédaignaient pas reprendre le même air au cours de leur concert. Ce qui donne, à notre avis, une version quelque peu inférieure à l'originale.


dimanche 18 avril 2021

Jouons avec Baudelaire

Par Courbet
Coincé entre Napoléon et la Commune de Paris, ce qui lui va d'ailleurs comme un gant, on dirait que tout le monde a oublié le bicentenaire de la naissance de Charles Baudelaire.
Si nous ne goûtons guère ces commémorations à fragrance de charogne marquons tout de même l'occasion par une petite devinette.
Une lectrice lettrée nous a envoyé l'extrait d'un texte, portrait de Baudelaire.
Le moins qu'on puisse dire est que le rédacteur a une dent tout à fait dure contre le jardinier des Fleurs du mal.
Extrait :

Il y avait en lui du prêtre, de la vieille femme et du cabotin. C’était surtout un cabotin.

Poète, il ne l’était point de par le ciel, et il avait dû se donner un mal affreux pour le devenir : Il eut une minute de gloire, un siècle d’agonie : aura-t-il dix ans d’immortalité?

A peine !

Ses admirateurs peuvent tout au plus espérer qu’un jour un curieux ou un raffiné logera ce fou dans un volume tiré à cent exemplaires, en compagnie de quelques excentriques crottés. Il ne mérite pas davantage : et combien sont tombés qui étaient plus dignes d’être embaumés dans les pages d’un Elzévir ; ceux-là sont morts poitrinaires et non pas fous ; ils n’ont point eu les préoccupations terribles et les angoisses mesquines qu’eut toute sa vie ce forçat lugubre de l’excentricité.

 
Non seulement le critique est hargneux mais il ne se distingue pas ici par son flair. 
Mais qui est ce est donc ce grognon ?
On avoue avoir lamentablement séché à cette même question. Mais comme on a une confiance sans borne dans la culture de l'honorable lectorat...

Mettons à profit les bons conseils du poète, délivrés par Serge Reggiani.

Et persistons à contredire le grincheux inconnu avec cette version des Femmes damnées par Damien Saez.

 

La réponse ayant été trouvée, nous nous bornerons à conclure que notre cher Jules Vallés avait parfois des fautes de goût assez surprenantes. À moins qu'il ne se soit agi d'une tendance "commissaire politique" des Arts et lettres toute à fait déplorable.

mercredi 14 avril 2021

Héros oubliés du rock n roll : Jayne County

 
Un soir, Wayne County, le chanteur ou la chanteuse ... Enfin, le travelo hilarant des Electric Chairs a pété la tronche de Handsome Dick Manitoba, le chanteur des Dictators, un groupe du Bronx plutôt macho.
C'était au CBGB, lors d'un concert des Electric Chairs. Handsome Dick, planté devant la scène n'avait cessé de gueuler "Pédale! Pédale:" jusqu'à ce que Wayne County, en robe blanche, énervé(e) lui réponde
"Tu veux monter sur scène et te battre comme un homme?"
Il monta sans hésiter mais seulement pour se prendre immédiatement le pied du micro en pleine gueule et se retrouva illico à l'hosto.
Philippe Marcadé Au-delà de l'Avenue D
 

Né Wayne Rogers en 1947, Wayne County quitte son Texas natal à 22 ans pour tenter sa chance à New York et, on suppose, y vivre une vie un peu plus détendue. Il se fait rapidement artiste travesti en jouant dans quelques shows chez Warhol ou en montant le groupe the Queen Elizabeth destiné à accompagner son spectacle transformiste. Contrairement à son/sa collègue Divine Wayne ne rencontre pas son John Waters. Alors, dans l'ébullition de 1976, Wayne monte le groupe the Electric Chairs avec le Corse Henry Padovani (futur co-fondateur de Police) et Greg Van Cooke aux guitares, Val Haller à la basse et Chris Dust à la batterie. Sauf que Wayne, trans métamorphosé en Jayne County, a monté son groupe à Londres en pleine explosion punk et que les disques du groupe ne seront pas distribués aux USA.
Les voici dans une vidéo de 1978 reprenant l'immortel Too much to dream des 13th Elevator Floors.
 

Malgré un rythme de tournée soutenu, le groupe n'a rencontré qu'un succès d'estime, particulièrement auprès de ses collègues musiciens. Tout le monde ne peut être aussi cons que les Dictators. Ainsi, malgré des premières parties de Patti Smith, David Bowie, the Ramones, Lou Reed, la bande se déchire entre épuisement et toxicomanie galopante. Et puis l'époque n'était pas vraiment mûre pour que des chansons comme Are you man enough to be a Woman? passassent en radio.
Jayne restera donc comme une référence bien au-delà la mouvance trans, une pionnière, qui a continué sa carrière en dent de scie.
On la retrouve en 2007 dans une reprise parodique des Dead Kennedys. Qui d'autre pouvait avec bonheur reprendre California über alles ?
 

dimanche 11 avril 2021

Le fils père


C'était longtemps avant la loi Neuwirth et, à plus forte raison, la loi Weil.
Une moitié de la classe ouvrière était en butte aux affres d'une grossesse qui ferait sombrer un foyer dans la pauvreté alors qu'une partie de la bourgeoisie subissait les persécutions libidineuses de l'autre. Et il fallait placer les bâtards en nourrice.
Une chanson de 1924 prend ce problème de société à bras le corps. Musique de Pierre Chagnon, paroles de Georgius, celui-ci ne l'a jamais enregistrée, peut-être vu l'énormité du sujet. 
Heureusement, une réjouissante version de Michèle Bernard, enregistrée en 1983.  
Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux

mercredi 7 avril 2021

Et la Wallonie se souleva

La soldatesque tire à Roux

En 1886, une flambée insurrectionnelle se répand de Liège à Charleroi pendant près d'une semaine, résultat d'une rage confusément accumulée pendant des années. Ce mouvement obtiendra deux réponses . D'une part, une implacable répression étatique (la troupe charge, sabre, tire et tue; les magistrats ont la main lourde). D'autre part, l'encadrement politique et social par le tout jeune Parti Ouvrier Belge (futur Parti Socialiste), fondé l'année précédente. 

18 mars 1886, 15e anniversaire de la Commune de Paris. Une poignée d'anarchistes liégeois décide de commémorer l'événement par un meeting qui va déborder au-delà de leurs espérances.


Bien sûr, un tract ne produit pas un soulèvement, mais il peut comme ici en exprimer, en clarifier, en attiser les motivations. Les émeutes qui s'étendent pendant près d'une semaine depuis Liège jusqu'au bassin de Charleroi témoignent d'une colère qui grondait souterrainement. Le radicalisme des mots d'ordre, les destructions perpétrées sur l'appareil de production et sur les biens de leurs propriétaires (comme aux verreries Baudoux à Jumet), la violence des affrontements avec les forces de répression sont autant d'indices qui témoignent de la virulence de la flambée insurrectionnelle. Les autorités craignent même que la contagion ne gagne la troupe envoyée rétablir l'ordre. Le danger devenait en effet bien réel et que l'on passe ainsi de l'émeute et de l'insurrection au mouvement révolutionnaire. Cela ne s'est pas produit. L'histoire a des leçons à donner, pas à recevoir.

La répression n'a eu d'égale que la crainte éprouvée par les possédants. Dès le 24 mars, les sanctions pleuvent. presque toutes les peines prononcées atteignent le maximum. (...) Au lendemain des troubles de Liège, l'opinion conservatrice et le gouvernement, d'une seule voix, en avaient attribué la cause à des agitateurs, à un complot de l'étranger. alertées, les chancelleries n'en ont découvert aucune trace, si ce n'est des mouvements analogues en France, en Angleterre ou aux États-Unis d'Amérique (René Van Santbergen, La grève de 1886).

Le retour au travail, la mise au pas des prolétaires sous l'égide de leur représentants politiques ne se fera pas sans heurts. " Le POB voulait faire peur à la bourgeoisie en lui disant: Attention, je vais lâcher les chiens, mais la vraie peur du POB, c'était de devoir vraiment les lâcher " (Robert Devleeshouwer, cité par JP. Schreiber, in La Wallonie née de la Grève?, édition Labor, 1990). Et puisque régulièrement certains amnésiques accusent le Parti socialiste de trahison, voire même de chanter faux l'Internationale, il est bon de rappeler qu'il n'a résolument jamais rien fait d'autre. 

Comme cet article est tiré du site des René Binamé on leur laisse le dernier mot avec un tube écrit par un Wallon célèbre suivi d'une chanson ouvrière en dialecte wallon. 

dimanche 4 avril 2021

Trompettes de la renommée : Dick Turpin

 

Le film de 1933

La notoriété joue parfois de drôles de tours.
Ainsi, Richard "Dick" Turpin (né en 1705, pendu en 1739) est-il un des bandits de grands chemins parmi les plus légendaires des îles britanniques alors que sa carrière de criminel fut, somme toute, assez médiocre. Fils de boucher, il devint braconnier de cerfs dans l'Essex (crime puni de pendaison dans l'Angleterre du XVIIIème) puis voleur de chevaux et détrousseur de diligences et d'autres voyageurs. 
 
Suite à l'arrestation de plusieurs membres de son gang en 1735, il fait profil bas pendant deux ans avant de réapparaître à la tête d'une nouvelle bande. 
Ayant tué Thomas Morris qui avait tenté de l'arrêter, il s'en alla vivre à York sous l'identité de John Palmer, nom sous lequel il fut emprisonné comme voleur de chevaux.    
Une simple lettre de prison envoyé à son beau-frère dévoilera le vrai patronyme du prisonnier. Le délateur qui avait mis la main sur la correspondance aurait été l'homme qui avait appris à écrire à Turpin. Ce cafard a touché la coquette somme de 200 £ du duc de Newcastle pour avoir permis de reconnaître le meurtrier de Morris.
Turpin fut jugé à York, non pour assassinat mais pour le vol de deux chevaux et fut pendu le 7 avril 1739.
Non sans avoir mis en scène son exécution : habillé de neuf, il paya cinq pleureuses pour suivre sa charrette funeste et salua aimablement le public sur le chemin de la potence. 
Grâce à cette fin si élégante, le bandit devint le héros de ballades, de pièces de théâtres, dont celle de Richard Bayes, écrite dès 1739, et d'un roman de William Harrison Ainsworth paru un siècle après sa mort. Et ça a continué avec plusieurs films, une série télévisée (Dick le rebelle) et un grand nombre de bande dessinées.
La complainte la plus populaire fut sans conteste Turpin hero, aussi nommée Turpin's valour, ici chantée Ewan Mc Coll (vous savez, le type qui avait écrit Dirty old town).



suivi d'ne fantaisie tirée d'un programme pour enfants de la BBC, Horrible Histories, aimable parodie de la vie et l’œuvre du légendaire Highwayman.