C'est avec cinq jours de retard que nous venons ici rendre hommage à un des personnages les plus attachants de notre panthéon rok'n rollien : Wilko Johnson.
Originaire du quartier portuaire et prolétaire de Canvey Island, notre guitar hero a changé la face du rock en deux ans et trois albums entre 1975 et 1977 avec ses complices du groupe Dr. Feelgood.
Résumons l'affaire : en ces premières années de la décennie 1970, à part quelques notables furieux, le devenir du rock est mal barré : musiciens virtuoses en quête de respectabilité devenant "progressifs", jazz rock se muant en musique d'ascenseur, hard rockeurs planqués derrière des montagnes d'amplis, glam rock rigolo et énergique mais destiné à des pré adolescents...
Et voici quatre gars au cheveux un peu plus courts, sapés comme des employés de bureau qui retournent aux sources du blues et écument les bars pour se produire à deux mètres d'une quarantaine de personnes. Comme la presse a besoin d'étiquettes, le Pub rock (le rock du bistrot du coin) est né. D'autres suivront ce sillon (Eddie and the Hot rods, Ducks Deluxe, Count Bishop, etc.) et les jeuunes gens qui assistent à ça en profitentpour durcir le mouvement et accoucher du punk britannique.
Les Feelgood n'ont jamais prétendu inventer quoi que ce soit ; juste redonner un coup de jeunesse via un retour aux sources. Quatre gars avec lesquels valait mieux pas plaisanter tenant la scène comme des furieux. Principal compositeur, Wilko a un jeu de scène très... particulier. Quant à sa manière de mitrailler sa Telecaster sans médiator, il a toujours confessé avoir repris le jeu de Mick Green, légendaire musicien du grand ancien Johnny Kidd.
Les voici en 1975 reprenant le Boom boom de Muddy Waters. Wilko au chant.
Et à St Pithiviers, en 1976, lors d'une séquence tournée par FR3 dans un "Going back home" filmé dans une cour d'école devant un public inhabituel.
Pour des raisons tenant tant à l'épuisement qu'à des divergences de consommation, Wilko abandonne Dr. Feelgood en pleine vague punk, en 1977, et joue un temps avec l'inénarrable Ian Dury avant de continuer son bonhomme de chemin en solo.
Et de s'adonner à sa passion pour l'astronomie.
On peut l'apercevoir dans quelques scènes de la séries Game of thrones, en bourreau. En 2013, il annonce être en phase terminale de cancer du pancréas, refuser la chimiothérapie et se lance dans une mini tournée et un disque de potes avec Roger Daltrey, ci-devant chanteur des Who.
Pratiquant de "médecine douce", Wilko annonce être guéri de son cancer en octobre 2014. Il participe au groupe The Mutants (avec des ex MC5, Specials, Stiff Little Fingers) et sort récemment quelques titres dont ce Marijuana, ô combien prémonitoire.
Il s'est donc éteint chez lui le 21 novembre 2022.
Nuit de la Saint Sylvestre, 1994, état du Chiapas, situé au fin
fond du Mexique, en bas à gauche. Une armée de rebelles surgie de
la nuit s’empare des villes de San Cristobal de Las Casas,
Ocosingo, Las Margaritas et Altamirano. Après avoir réglé leurs
comptes aux prisons et polices locales, ils enfoncent les portes des
mairies pour brûler les titres de propriétés. Puis, ces indiens
zapatistes occupent les stations de radio et, entre deux communiqués
maison, y jouent une chanson de José de (Jésús
Núñez) Molina,
La Bomba (Allumons la mèche de la bombe, la situation
l’exige). La guerre est déclarée là où on ne l’attendait
pas¹.
José de Molina,
ménestrel des rues choisi pour mettre cette guerre en zizique, a
déjà une carrière de poil à gratter de la chanson mexicaine
derrière lui.
Né en 1938 à l’autre extrémité du pays, à Hermosillo, Sonora,
il en a gardé le goût de l’argot du Nord².
Dans la grande tradition des chanteurs itinérants, il exerce d’abord
divers boulots (paysan, ouvrier, vendeur ambulant, acteur) jusqu’en
1970 où il décide de devenir chanteur ambulant. Ensuite, tel un
Traven de la rengaine, Molina met sa biographie en scène tout en
brouillant les pistes.
Il dit avoir survécu au massacre de Tlatelolco, le 2 octobre 1968 à Mexico et à la manifestation sanglante du 10 juin 1971, dans la même ville. Prétend avoir eu des relations avec l’ACG, la guérilla de l’instituteur Genaro Vázquez Rojas (qui outre ses qualités de combattant était le sosie de Charles Bronson) au Guerrero, au début des années 1970. Et s’est retrouvé à pousser ses beuglantes dans les usines, aux piquets de grèves, dans les villages reculés et, dans les années 90, sur la grand-place du Zocalo de Mexico, tous les dimanches après-midi, devant un public de gueux lui réclamant ses « tubes » à cor et à cri entre deux sketches.
Pour
donner une idée de ces performances dominicales, il se lance
dans une diatribe contre les abus du clergé avant d’attaquer sa
salsa, Dialogo entre
el Papa y Jesucristo
dans lequel, miracle des miracles, le Christ apparaît au Vatican
pour engueuler la Pape au sujet de son niveau de vie. Au dernier
couplet, après que sa Sainteté ait
manifesté quelques regrets, le toubib appelé auprès de lui
diagnostique un délire dû à une forte fièvre qui envoie aussi sec
Monseigneur vers sa sépulture.
Puis, après avoir rappelé le
massacre des ouvriers agricoles de la noix de coco (Acapulco 1967) en
parallèle avec celui des syndicalistes paysans de l’OCSS à
Aguas Blancas (1995),
il exécute
son légendaire Corrido
a Ruben Jaramillo
(paysan et guérillero exécuté traîtreusement par l’armée avec
toute sa famille sur une pyramide aztèque en ruine). Puis, un salut
aux sans-abris du tremblement de terre de
1985, dont une bonne partie campe
encore dans les parcs vingt ans après, pour enchaîner sur la cumbia
Se acabo
(La
patience, c’est terminé)
reprise dans toutes les manifs du pays.
Un sketch sur les minables pelotant les femmes dans le métro (et
si je te mets la main aux couilles, crétin, tu vas aimer?)
et, sans autre
transition, sa fabuleuse Salsa
Roja, tropicale dont
les paroles méritent qu’on s’y arrête : Tu
fais semblant de me payer / je fais semblant de travailler. Tu fais
semblant de m’apprécier / je t’envoie te faire foutre. Patron,
on peut pas être amis / ni faire la paix. Ceci n’est pas un
baloche / c’est la lutte des classes.Une valse norteña
à l’accordéon pour ridiculiser les Charros,
syndicalistes officiels aux ordres du tout-puissant et indétrônable
Fidel Velázquez³,
mieux connu sous le sobriquet de « la Momie ».
Le tout accompagné
de sa guitare et d’une
bande enregistrée tout en demandant au public laquelle il souhaitait
entendre.
En conséquence, il
termine immanquablement
par La bomba,
citée plus haut. « Oh, non ! Vous faîtes chier, ils vont
encore me traiter
de terroriste et me foutre une
amende ! » Minaude-il
ravi.
Cabotin
sublime, Molina est
à mille lieux de la tradition des chansonniers
gauchistes pompeusement
ennuyeux. Ses
enregistrements alternent systématiquement musique
et discours incendiaires, descriptions d’un massacre rural, d’une
grève réprimée, de disparitions
d’activistes sans
dédaigner réaliser un disque de poèmes surréalistes au
passage. Comme
l’a dit Emma Goldman,
pas question de faire la révolution sans danser. Et
Molina mêle salsas, cumbias, valses à ses corridos à
ses complaintes.
Affirmant sut tous les tons
qu’un
gouvernement, autant de
gauche fut-il,devient fatalement
despotique et tyrannique, Molina
ne s’est jamais inscrit à aucun parti ou groupuscule.
Tâchant de survivre de sa musique,
il a enregistré une douzaine de disques entre 1971 et 1996. Il fut
un temps où on ne les trouvait qu’en cassettes sur les trottoirs
de la ville ou dans une librairie vieillotte de la rue Articulo
123, spécialisée en
pornographie et littérature semi-clandestine de guérilla. Ce
curieux commerce était situé dans un quartier encore populaire
jusqu’au années 2010, prisé par les indiens Zapotèques venus de
Oaxaca et les Espagnols de l’armée en déroute venus de 1939.
Il reste
un des chansonniers les plus populaires du
paysun
autre grand chanteur ambulant prolétaire,León Chavez Teixeiro.
Bien
entendu interdit de
radios et télévisions,
il bouffe de la vache enragée, particulièrement dans la décennie
1990 où ses amis lancent des appels aux
comités de quartier, syndicats indépendants, grévistes pour
l’inviter à se produire.
Le Mexique étant un pays civilisé où, avant de vous faire
disparaître ou de vous flinguer, on vous propose d’abord un
marché, cet irrécupérable s’est toujours vanté d’avoir refusé
toute offre de corruption. Ce qui ne lui a pas porté chance :
plusieurs fois tabassé ou mis à l’amende par la police, il est
enlevé en mai 1997, au cours de la visite du président Bill Clinton
à Mexico. On le retrouve dans un état si lamentable qu’il doit
être hospitalisé des mois durant. Ces séances de torture alliées
à un cancer détecté à ce moment n’ont certainement pas été
pour rien dans son suicide en 1998.
Dans une contrée où
Emiliano Zapata, criblé de balles en 1919, et Doroteo Arango, dit
Pancho Villa, tout aussi criblé de balles en 1923, cavalent encore,
quoi de plus naturel que les refrains de José de Molina soient
encore sur les lèvres des misérables ?
¹ N’exagérons
pas : les services de renseignements militaires s’attendaient
à un soulèvement et l’armée avait pris quelques précautions en
conséquence. L’amour entre différents corps répressifs étant
légendaire, ils ont simplement « oublié » de passer
l’information aux policiers et les ont abandonné à leur triste
sort.
² Desde buki jineteaba,
(cavalier dès l’enfance) chantait-il.
³ Chef
des syndicats dépendant du Parti
Révolutionnaire Institutionnel, 84 ans de
pouvoir. Le
Mexique est le pays surréaliste par excellence
(André breton).
Ok, c'était un exagéré : bagarreur, ivrogne, libidineux, grand amateur stupéfiants, emmerdeur patenté et provocateur né, mais que voulez-vous, on a toujours eu un faible pour les casseurs de vaisselle.
N'empêche, Jerry Lee Lewis, alias The Killer, né en 1935 et disparu samedi dernier, était le dernier des grands pionniers du rock'n roll encore présent.
À part une culture musicale encyclopédique, le gars a produit quelques uns des meilleurs disques live de l'histoire du rock.
La preuve, cet enregistrement de 1964 avec Great Balls of fire /
You win again /
High School confidential /
I´m on fire / Your cheatin´heart /
Whole lot of shakin´Goin´On