dimanche 27 juin 2021

Aubervilliers d'avant (cinoche du dimanche)


Les amateurs de ce blogue ont compris que le rédacteur d'icelui est un plouc issu de la Gascogne profonde. Il a donc mis pas mal de temps à "monter" à la capitale, comme on disait alors. Et le premier lieu qu'il a fréquenté fut la riante banlieue d'Aubervilliers. Plus précisément le quartier du Landy, aussi nommé "la petite Espagne". Peut-être le fait que la plupart de ses habitants s'appelaient López, García ou Ibañez était-il moins dépaysant pour lui.
 Les copains vivaient au bord du canal St Denis, au-dessus d'un bar de mariniers, les chiottes communes étaient sur le pallier et les entrepôts se vidaient inexorablement. Ce qui en fit un terrain de jeux pour cinéastes en mal de décor : Zidi y tournait Les Ripoux et ceux de la Mano Negra allaient bientôt réaliser des clips dans ce lieu si authentiquement prolétarien. 
Et puis, une amie a envoyé ce film D'Eli Lothar et de 1946.
Il s'agit d'une commande du PCF, plus précisément à la demande de Charles Tillon, maire d'Auber, ex mutin de la mer Noire, dirigeant des FTP dans la résistance, à l'époque ministre de l'aviation et très prochainement purgé du Parti des travailleurs lors d'un de ces règlements de compte dont les staliniens avaient le secret si ce n'est le monopole.  
Remarquons que l'ancien maire, jamais nommé, n'était autre que l'immonde Pierre Laval, maire depuis 1929 et fusillé pour son aimable collaboration en octobre 1945.
Montret la misère, l'urgence de la reconstruction, les plaies de la guerre, qu'elle soit mondiale ou sociale, tel est le propos.
Ce court documentaire est écrit par Jacques Prévert dont on reconnaît parfaitement le à la fois chaleureux et faussement naïf, voire parfois agaçant. La musique est bien entendu de Joseph Kosma, le texte dit par Roger Pigaut. Les extraits des chansons Chanson de la Seine, Gentils enfants d'Aubervilliers ou Chanson de l'eau sont interprétées par Germaine Montéro et Fabien Loris.
Ce film de 24 minutes était projeté en première partie de La bataille du rail de René Clément. Puis il fut censuré pour manque manifeste d'optimisme. Après tout, on avait gagné la Guerre.


   

Ce qui m'a évoqué une rengaine de Léo Ferré (1949) qui cause justement de la guerre, d'Aubervilliers et aussi du Pape.



mardi 22 juin 2021

Billie Joe et Marie-Jeanne, mais de quoi que ça cause ?

 

Bobbie Gentry sur le Tallahatchie Bridge (Miss.)                  I

Il arrive qu'une bonne vieille chanson de variétoche vendue à des millions d'exemplaires garde une part de mystère.
Le cas de Ode to Billie Joe de Bobbie Gentry est l'exemple idéal du gentil tube à côté obscur. 
En 1967, l'artiste country folk enregistre cette sombre ballade qui se propulse immédiatement en haut des charts et être ensuite reprise par le gratin de la chanson américaine, d'Ella Fitzgerald à Frank Sinatra.
Mais que raconte la chose ? Une jeune paysanne rentre chez elle pour le déjeuner et dans une ambiance lourdingue, ô combien peuplée de non dits, elle apprend que ce jeune bon à rien de Billie Joe MacAllister s'est foutu en l'air en se jetant du pont de la Tallahatchie River. La narratrice en a l’appétit coupé, surtout lorsque sa mère rapporte avoir vu une fille lui ressemblant étrangement en compagnie dudit vaurien jeter un paquet dans la même rivière quelques temps auparavant. Ici, l'auditeur attentif se demande si cette aimable scène champêtre avec suicide ne dissimule pas un infanticide...
Puis la chanson se clôt sur le quotidien du Sud profond : le frangin s'est barré, le père est mort de la grippe et la mère déprime. De la joie par kilo tonnes, donc. 
La chanteuse à la BBC en 1968.

 

Le tube aura donné un nombre invraisemblable d'interprétations pour expliquer le suicide de Billie Joe, de relations homosexuelles sous-jacentes avec le frangin, à une allusion à la conscription au Vietnam. Bobbie Gentry avancé des hypothèses variées en préférant ne rien révéler de cette tranche de vie et de mort. 
Il existe quelques reprises en autre langue. Joe Dassin a adapté la chanson l'année de sa sortie et cartonné aussi sec.
Sauf que dans l'adaptation du fils du génial cinéaste, Billie est devenu Marie Jeanne, le coton de la vigne, le 3 juin le 4, et Choctaw Ridge Bourg-les-Essones où coulerait la Garonne ( d'où l'incompréhension totale des habitants des bords du fleuve qui se demandaient où se trouvait donc ce putain de bled !)
Pour le reste, il demeure l'atmosphère lourdingue, les secrets de famille et les amours adolescentes malheureuses. 
On reste encore étonné du succès obtenu avec un tel sordide.
À moins qu'on n'ait rien compris et ait l'esprit mal tourné.
 

 

lundi 14 juin 2021

Un hymne ouvrier asturien

 

Profitons de la sortie du livre d'Ignacio Díaz pour nous arrêter sur l'autre hymne asturien, l'officieux. Autre parce que comme toute province, cette contrée possède un hymne officiel qui vante ses jolis paysages et qui fut d'ailleurs écrit par un compositeur cubain. Passons.
En el pozu María Luisa est devenu à la fois le chant de ralliement des mineurs et la chanson asturienne par excellence, celle qui est reprise dans toutes les fêtes et manifestations. 

Le puits María Luisa est situé dans un des principaux bastions ouvrier, sur la commune de Langreo. L'extraction du charbon était destinée à alimenter les hauts fourneaux de l'entreprise métallurgiste Duro Felguera, que les ouvriers occupèrent en octobre 1934 pour y construire des véhicules blindés au service de la révolution. 
Sa construction dura de 1918 jusqu'en 1943. 
Si cette mine est passée à l'histoire, c'est par la faute d'un coup de grisou qui la ravagea le 14 juillet 1949, tuant 17 ouvriers.
Ce massacre industriel passa en chanson en détournant un cantique dédiée à la patronne des mineurs Santa Barbara bendita. 
Un mineur maculé de sang, tête fracassée et chemise en lambeaux y témoigne de l'accident à sa femme qu'il appelle du diminutif affectueux Maruxina (Coccinelle en asturien). Outre la description de la catastrophe, il y est souvent rajouté des couplets insultants patrons, actionnaires et contremaîtres. 
Contrairement à la légende, cet air est donc tout à fait postérieur à la Guerre civile.
Il existe des milliers de versions de ce classique des jours de barricades. Celle-ci est du groupe asturien Nuberu, illustrée des riches heures du prolétariat local, en particulier de la marche sur Madrid de 2012 (les flics de la capitale en conservent  un cuisant souvenir).

 

Curieusement, il existe plusieurs variants bretons de cet hymne, dont une reprise par Gilles Servat ainsi qu'une autre évoquant une grève d'ouvrières sardinières sur laquelle on reviendra.

On se quitte sur un authentique air d'octobre 1934.

 



vendredi 11 juin 2021

Tranche de vie (claustrophobe)


(Prison de Strangeways)
La plupart des types qui étaient avec moi étaient des Anglais à peu près de mon âge, bien qu'il y eut un ou deux détenus plus vieux (...)
Tous ces types étaient considérés comme les durs de la 8ème Armée, les "Rats du Désert", et ils étaient là pour avoir descendu leurs officiers et je dirais même qu'à voir leur mine, ils auraient bien pu en descendre quelques autres en plus.
Quant à moi, je peux dire que je n'ai jamais rencontré de mecs plus convenables de ma vie. C'étaient des hommes très bien, très honorables et j'ajouterai même qu'ils étaient de très bons citoyens anglais. Quelques-uns s'étaient battus pendant deux ou trois ans contre les Allemands ou les Italiens dans le désert et ils avaient mené une vie terriblement dure.
Lorsque de jeunes blancs-becs de dix-huit ou dix-neuf ans débarquèrent de Sandhurst* au beau milieu d'une campagne et s'avisèrent d'user de la badine sur le dos de ces vétérans, ou de les faire tout le temps chier d'une manière ou d'une autre, ces intrépides compagnons du désert ripostèrent en collant une balle dans la peau de certains d'entre eux. Et connaissant quelques officiers de l'IRA, je dois dire que je ne les blâme pas. Pour autant que je sache, ces officiers anglais étaient bien courageux mais dès qu'il s'agissait d'hommes, ils se montraient bornés et ignorants.  
Brendan Behan Confession d'un rebelle irlandais
Mémoires truculentes d'un Irlandais grande gueule et hâbleur (mais n'est-ce pas naturel ?) membre de l'IRA, taulard, pilier de pub, chanteur, chroniqueur, poète et écrivain mort d'épuisement à 41 ans. Réédité chez l'Échappée. 
Une chanson de prison écrite par son frère Dominic.

 

Un hommage des Dubliners

* Académie militaire britannique.

lundi 7 juin 2021

Lundi de merde

 

On vient d'apprendre que Marc Tomsin, correcteur, animateur radio, érudit, fondateur des éditions Ludd puis Rue des Cascades, animateur du site La voie du jaguar, annuaire ambulant du mouvement libertaire, particulièrement espagnol, et ami serait décédé. 
Cette disparition stupide serait due à une chute au squat La Rosa Nera de La Canée , Crète, qui venait juste d'être arraché des griffes policières.
On ne vous fera pas de biographie, il suffit de se rapporter à cette page du Maitron.
On boira donc un verre à sa mémoire en écoutant un de ces blues qu'il affectionnait par dessus tout. 
En souhaitant bonne chance au Diable qui va désormais devoir le supporter. 

 

Et un rebetiko trèèès modernisé et anti flics, de ce pays qu'il aimait tant pour faire bonne mesure

vendredi 4 juin 2021

Tranche de vie (new yorkaise à l'ancienne)

 

 

- Yo, t'es dans quoi? demanda le type gigantesque avec la batte de softball en alu dont il frappait la paume de sa main.
- Heu, dans quoi ? demandais-je en retour, saoul et frigorifié sur le trottoir de la 10ème rue entre les Avenue A et B.
- Ouais, tocard, dit un autre type qui tenait un couteau, tu sais, dans quel gang ?
- Gang ? répétai-je stupidement en état de choc. J'étais entouré par six types. Balaises. L'air dangereux. De même que les armes qu'ils avaient en main.
- Mec, cria le type au flingue, on va te le demander une dernière fois : pourquoi tu portes des couleurs?
J'ai regardé mes bottes de moto. Noires. J'ai regardé mon jean. Noir. J'ai regardé mon t-shirt. Noir. J'ai regardé mon blouson de cuir. Noir avec des pin's US. 
Tout à coup, un des types a avancé la main vers mon blouson de cuir. Il l'a touché. Caressé. Tripoté. J'ai pensé qu'il devait avoir un truc avec les vaches.
- C'est pas de la blague, a dit l'homme aux vaches.
- Yo, a dit le gars à la batte. Enlève tes couleurs. Je me taisais. Je ne comprenais rien. "Tes couleurs", cria-t-il, pointant sa batte sur mon cuir et l'espèce de pendentif désodorisant que j'avais fixé sur l'épaule gauche. C'était en fil tressé, avec plein de couleurs vives. Et une petite boule parfumée accrochée au bout. Je portais ça uniquement pour faire chier mon groupe.
- C'est un désodorisant ! j'ai dit un peu rassuré. Ils n'allaient quand même pas me tuer parce que je portais sur mon blouson l'équivalent d'un sapin parfumé pour rétroviseur.
- Enlève tes couleurs tout de suite, a dit le mec au flingue, ou on te tue. Enlèves-les.
- Prenez mon portefeuille, j'ai dit en leur tendant mon portefeuille Spiderman officiel. Le bleu et rouge avec toile d'araignée. 
- Le blouson ou la vie. 
- Prenez n'importe quoi, n'importe quoi mais pas ça, j'ai dit quasiment en larmes.
- C'est ta dernière chance, répondit-il.
 
C'est ainsi que je me suis de nouveau retrouvé face à cette alternative  que j'avais déjà dû affronter des années auparavant. Mon blouson ou ma vie. Crucifiant dilemme.  

George Tabb Take my life, please.
(chroniques drolatiques devenues introuvables mais rééditées par Demain les flammes)

 

Alors bon, mon blouson n'a pas vraiment bouleversé ma vie sexuelle au lycée. Mais il fit une forte impression sur tous les freaks, les marginaux, les camés qui zonaient sur la "Colline des Freaks". On fumait de l'herbe et on chantait tous en chœur I wanna be sedated.
Pendant l'année suivante, ma deuxième, j'étais connu comme "le type au blouson de cuir". Certains profs m'appelaient James Dean. D'autres Elvis. D'autres Hells Angels. Mais la plupart se contentaient de m'appeler "trou du cul" entre leurs dents.    
Du même chapitre.
 

mardi 1 juin 2021

À la sienne !


Voilà un peu plus d'un an qu'Arno Hintjens, qu'on aime beaucoup ici, a annoncé être atteint d'un cancer du pancréas.
Et qu'il a pris la peine de sortir un disque entre deux chimios.
Entre-temps, son vieux frère du temps de TC Matic, Paul Decoutere, a lâché la rampe.
Alors, plutôt qu'attendre une nécro bien ficelée, on se contentera ici de réitérer toute notre sympathie au bonhomme, même si ça ne sert à pas grand chose, et de faire savoir qu'on a beaucoup aimé son dernier opus. Aux chansons, on ne peut plus de circonstance.