De 1958 à 1965, ce petit gars de Brooklin fait équipe avec l'ex chanteur, bluesman et parolier Doc Pomus pour pondre une bonne centaine de chansons aux Drifters, Ray Charles, Elvis Presley, Janis Joplin, Ben E KIng, the Coasters, etc.
Et puis, le bonhomme s'étant lié d'amitié avec Brel et Eddy Mitchell, il s'installera en Europe pour la suite que l'on sait.
Un beau fleuron de la production des forçats de la partition par des Animals tardifs.
En musardant sur le ouèbe (ouais, y'en qui ont du temps à perdre) on tombe parfois sur des élucubrations* étonnantes.
Nous reproduisons partiellement cet article de Jean-Christophe Angaut sur le site des Ateliers de Création Libertaire : Bakounine et le Lac Majeur.
Une amie m’a récemment transmis une question : il semblerait que la chanson Le Lac Majeur, interprétée par Mort Shuman, contienne une allusion à Bakounine, mais celle-ci est peu évidente… Sur le moment, cela m’a un peu surpris, sans doute parce que je n’avais qu’un souvenir très lointain de ce qui était pour moi un morceau de variété sentimentale des années 1970, ensuite parce que, réécoutant la chanson, l’allusion, en effet, n’apparaît pas d’une manière flagrante. Alors je me suis un peu documenté et j’ai d’abord découvert que la chanson avait été écrite par Étienne Roda-Gil, ce qui est un début de piste.
Roda-Gil |
Fils d’anarchistes espagnols, il fut militant libertaire dans sa jeunesse, avant de devenir le célèbre parolier que l’on sait. Il écrivit d’ailleurs l’une des chansons les plus connues de ces dernières décennies, en hommage à l’insurrection makhnoviste d’Ukraine lors de la guerre civile de 1918-1921, la fameuse Makhnovtchina (composée sur un air qui servit de chant aussi bien pour les armées blanches que pour les bolcheviques), titre présent sur la compilation éditée par Jacques Le Glou en 1974, Pour en finir avec le travail.
Perron et Bakounine à Bâle (1869) |
Dans un livre en anglais sur Mort Shuman sur lequel je suis tombé en faisant ma petite enquête (Graham Vickers, Pomus & Shuman: Hitmakers Together and Apart) on trouve l’éclairage suivant, qui viendrait de Mort Shuman lui-même : “Assurément, on ne pouvait attendre de personne qu’il remontât au germe initial de l’inspiration de la chanson de Roda-Gil qui, selon Mort, était une anecdote à propos de Bakounine, qui vola toutes les recettes collectées pour un congrès de parti à Moscou et emmena sa femme au bord du Lac Majeur où il fit tirer un grand feu d’artifice en son honneur, ce qui suggéra à Roda-Gil l’image de la neige tombant sur l’eau”. Le récit attribué à Mort Shuman contient bien des inexactitudes qui en compromettent la crédibilité : il n’y a jamais eu de congrès de parti, encore moins à Moscou, pour lequel des fonds auraient été levés et que Bakounine aurait détournés - et ce dernier n’eut pas besoin d’emmener sa femme à un endroit où ils vivaient ensemble depuis cinq ans. Néanmoins l’histoire possède un fond de réalité, et il n’est pas impossible que l’interprète ait brodé à partir des quelques informations transmises par son parolier.
Carlo Cafiero |
L’anecdote du feu d’artifice est véridique : Bakounine en fit tirer un par son ami Celso Cerrutti, en l’honneur de sa femme de retour d’Italie. L’anecdote est rapportée par James Guillaume dans L’Internationale. Voici ce qu’écrit Bakounine à propos de cette soirée du 13 juillet : « Lundi 13. Arrivée d’Antonie, que Ross, parti hier dimanche, a rencontrée à Milan, avec toute sa famille, papa et les enfants. Arrivés à onze heures et demie. Enchantés. Soir illumination et feu d’artifice, arrangés par Cerrutti. Le soir, tard survient Carlo Cafiero. » L’anecdote n’en serait qu’une de plus sur la vie de Bakounine si elle ne prenait place sur la toile du fond du désastre de la Baronata et des relations de Bakounine avec Cafiero, qui se détériorèrent précisément durant ces quelques jours de juillet 1874 - sans que l’on sache si l’épisode du feu d’artifice, dont on imagine qu’il s’agissait d’un divertissement coûteux, a pu jouer son rôle dans le sentiment qui semble avoir grandi chez Cafiero que l’argent qu’il destinait à la lutte révolutionnaire se trouvait bien mal employé en étant investi dans la Baronata (on est libre d’imaginer, par exemple, qu’il goûta assez peu le feu d’artifice, au moment où il arrivait à la Baronata avec de l’argent, des armes et de la dynamite pour une insurrection à venir).
Insurrection de Bologne, 1874 |
* 1593 "Ouvrage exécuté à force de veilles et de travail" (première des deux définitions du petit Robert)
Coïncidence, je suis en train de zieuter tous les films de Jean Yanne et Mort Shuman tient un petit rôle dans le fort plaisant Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, un dézingage en règle du chaubize télévisuel.
RépondreSupprimerMerci pour ce chouette hommage à Mort, dont la valeur dépasse effectivement de loin l'image assez déplorable qu'on en a ici, tout comme son grand-père Franz.
Je dois encore avoir quelque part le maxi-45 du Lac Majeur, à côté des singles des Sex Pistols dégottés à Londres en 1977…
Mais Angaut déconne complètement, tout comme sa sœur Christine : les enfants qui crient de bonheur "répandent la terreur en blizzards et bombardements, c'est de leur âge et de leur temps" : il s'agit à l'évidence des Brigades Rouges !
RépondreSupprimerAlors on se refait tous les Jean Yanne ?
RépondreSupprimerJ'avoue qu'à part "tout le monde il est beau..." le reste est un peu nanardeux avec quelques bonnes idées toutefois et une sacrée bande de déconneurs.
Angaut cite bien l'ambiance italienne en fin d'article et je profite de l'occase pour rappeler qu'il n'y avait pas que les BR en activité.
Ciao, dottore.
Jules
N'empêche qu'il est bel et bien mort, Shuman !
RépondreSupprimerEt Liberté, égalité, choucroute vaut son pesant d'assignats…
Et comme l'assignat était une monnaie de singe, permettez-moi d'évoquer un autre grand disparu .
RépondreSupprimerPassionnant article. Quelle masse d'informations à digérer pour un admirateur de Bakounine comme moi ! Ainsi donc Christine Angaut a un frère...
RépondreSupprimerEn tout cas, la référence à Bakounine ne fait aucun doute, en regardant l'image de la vidéo de Shuman, j'ai cru voir Léo Ferré. Je sais bien qu'il faut que je retourne chez l'ophtalmo mais quand même.
J'ai écouté Liberté, égalité, choucroute à votre suggestion George. Très drôle! La scène du salon de la torture est très réussie ;)
RépondreSupprimerOn dirait que Yanne a récupéré tous les costumes du film la Révolution française (À part celui du sultan). Et je me trompe ou c'est le même acteur qui joue Louis XIV dans les 2 films?
Et on croirait que la musique d'intro et de conclusion a été fait par le même clavier que la chanson thème de Ghostbusters.
Bref une belle déconnade.
Comment il a eu l'idée de penser aux oiseaux lyres ...en pleurs dans une contrée où ces volatiles sont totalement inconnus.? C'est comme décrire des perroquets volant dans le ciel de Paris...
RépondreSupprimerLicence poétique.
RépondreSupprimerQuant aux perroquets, ils envahissent le ciel toulousain.
Et moi qui ai toujours cru que cette chanson faisait allusion aux bombardements américains au Vietnam....
RépondreSupprimerÀ la tienne, rôt d'agile !
RépondreSupprimerRadio Paris rediffusait avant-hier une causerie de trois heures avec le bel Étienne, qui commence par s'indigner qu'on emploie le verbe "dominer" (c'était voilà presque trente ans…)
Mais la petite sorcière est morte, Schumann…