Photo Juan Rulfo |
Vous direz que c'est pure vanité de ma part
qu'il est malvenu de maudire son sort
d'autant plus sur cette terre stérile
où le destin nous a oublié.
En vérité, il n'est jamais facile de s'habituer à la famine
et même s'il paraît que partagée par beaucoup
elle est moins pénible,
ici
nous sommes à moitié morts
et n'avons même pas
où trépasser.
À ce qu'on dit
le malheur nous revient de droit,
que rien ne sert de combattre ce nœud coulant
surtout pas.
Depuis que le monde est monde
notre nombril est collé à nos vertèbres
et nous nous accrochons au vent avec nos ongles.
On va jusqu'à nous disputer l'ombre
et pourtant nous sommes toujours là.
Assommés par ce maudit soleil
qui nous consume chaque jour un peu plus
de sa même piqûre
comme s'il voulait ranimer des braises.
Pourtant nous savons bien
que même en soufflant sur ces braises
notre chance ne s'enflammera pas.
Mais nous sommes obstinés
il existe peut-être une issue.
La monde est inondé de gens comme nous
de quantité de gens comme nous
et quelqu'un doit nous entendre
quelqu'un et d'autres encore
même si nos cris les exaspèrent ou les indiffèrent.
Nous ne sommes pas des insurgés
ni ne demandons la Lune
mais notre vie ne se résume pas à se terrer
ou à prendre le maquis
à chaque morsure des chiens.
Quelqu'un devra bien nous entendre.
Quand nous cesserons de bourdonner comme un essaim de guêpes
ou de tourner en rond
ou de nous évaporer sur cette terre
comme passent les morts
Alors
peut-être aurons-nous tous trouvé le remède.
Juan Rulfo (1917-1986)
Traduction maison.