vendredi 20 juin 2025

On a chanté les narcos avec talent (il y a longtemps déjà)



Le film de 1978
 
Un des nombreux charmes du Mexique est la vivacité toujours réelle des corridos.
Équivalents à nos anciennes complaintes, ces chansons dont l'origine remonte à la colonisation espagnole sont des chroniques obéissant à quelques règles musicales qui narrent les faits divers, les bouleversements politiques, les faits glorieux, dérisoires ou catastrophiques parvenus dans le pays, la région, le quartier.
La longue tradition de banditisme mexicain a été bien entendu un des thèmes centraux de ces chansons populaires alors propagées toujours encore par des musiciens ambulants mais désormais popularisées par les radios, l'industrie du disque puis internet. 
Et voici l'entrée en scène du plus populaire des groupes de corridos, señores y señoras, j'ai nommé Los tigres del norte :

Bon goût typique du Nord

 Aussi incroyable que cela paraisse, cet ensemble de 
musique norteña, c'est à dire du Nord, avec accordéon omniprésent, fondé en 1968 au Sonora (État historiquement de narcotrafic) a dans le pays toujours une popularité seulement comparable ailleurs à Oum Kalthoum, Édith Piaf ou Johnny Cash.
Talentueux, non dépourvus d'une bonne dose de démagogie, les Tigres chantent, comme tout bons Mexicains la vie quotidienne, les amours malheureuses, la vie des migrants, les rapports conflictuels avec le voisin du dessus (présentement Trumpland) des saloperies politiques nationales et surtout... des histoires de voyous.
Coup de maître en 1974 : Contrabando y traición (contrebande et trahison) aventures d'un couple infernal qui s'achève par un meurtre amoureux (où c'est la femme qui flingue l'homme) dans une ruelle californienne. Cette chanson accouchera de deux suites en zizique (Ya encontraron a Camelia et El Hijo de Camelia), de trois romans, d'un film (Contrabando y traición, Camelia la Texana, 1975), d'un opéra (Únicamente la verdad) et de droits d'auteur qui auraient dus plonger le groupe dans une saine inactivité.
Mais en 1975, re-belote selon la même recette : La banda del Carro rojo va devenir le morceau qui tourera en boucle pour une trentaine d'années au moins.  
L'histoire (imaginaire) des frères Rodrigo y Lino Quintana et de leurs deux complices forcés par l'injustice sociale et les dettes à se convertir en trafiquants et qui en paieront le prix sera reprise par tous les groupes de baloches du pays.
Faut dire que le texte est assez habile pour poser une situation : Il paraît qu'ils venaient du Sud / dans une bagnole écarlate / chargée de 100 kilos de coke / en route vers Chicago... Ainsi le dit le mouchard / qui les avaient balancés.
Ou pour la conclure dignement : Et "Nino" Quintana disait / Ça devait arriver / mes copains sont morts / ils ne peuvent plus se mettre à table / et je le regrette, shérif / mais je ne sais pas chanter. 
Avec même la morale de rigueur : Des sept qui y sont passés / Il n'est resté que des croix / Quatre étaient de la bagnole rouge / les trois autres du gouvernement / Pour ceux-là, vous en faîtes pas / ils rejoindront Lino en enfer.


Évidemment, ça va donner un aimable nanard en 1978, réalisé par Rubén Galindo, un genre de Sam Peckinpah du pauvre.... 


Mais surtout ça va déboucher sur un certain nombre de reprises, y compris par des groupes de rock qui ne peuvent qu'être séduits par ces destins de hors-la-loi.
Et voici donc le type même de la reprise intelligente par La Barranca de Mexico sur un disque d'hommages aux Tigres en 2001.


Bon, inutile de préciser qu'au Mexique, le narcotrafic est devenu tout sauf folklorique depuis, qu'il a gangréné la société à tous les niveaux et que les chansons sont devenues vulgaires, grossières et à la gloire de parrains qui payent sans compter.
Au moins, les Tigres inventaient-ils leurs chroniques...

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