mercredi 6 mai 2020

Tranche de vie (Ibérique)


Le pire est que le système consistant à arracher des aveux de culpabilité aux innocents n'était pas seulement utilisé avec les prisonniers politiques mais aussi et, je le crains, de façon plus généralisée, avec les délinquants de droit commun.
Mais eux, personne ne prend leur défense, les héros sont les activistes politiques, les ouvriers et les étudiants, personne ne parle de la pauvre andouille qu'on arrête, à qui on essaie de coller le délit d'un autre et qu'on massacre de la même façon. Personne ne demande la libération des voleurs qui ont souffert plus que tout autre du système policier, judiciaire et pénitentiaire franquiste, ils en ont certainement souffert plus, parce que le traitement qu'ils subissaient ne faisait pas scandale comme celui des prisonniers politiques, ils ne soulevaient aucune protestation internationale, ne provoquaient ni grèves ni manifestations, ils n'avaient pas d'avocats prestigieux en mesure d'arracher pour eux un minimum de garanties dans le déroulement d'un procès.
Quelqu'un devrait écrire l'histoire de la petite délinquance sous le franquisme car de nombreux escrocs minables mériteraient une plaque commémorative ou au moins une tombe décente, étant donné ce qu'ils ont souffert. Un jour on videra les barrages et remonteront à la surface les voleurs de poules qui sont entrés un soir dans un commissariat ou une caserne et n'en sont pas sortis vivants, ceux que personne n'a réclamé.
Isaac Rosa La mémoire vaine


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire