mardi 22 juin 2021

Billie Joe et Marie-Jeanne, mais de quoi que ça cause ?

 

Bobbie Gentry sur le Tallahatchie Bridge (Miss.)                  I

Il arrive qu'une bonne vieille chanson de variétoche vendue à des millions d'exemplaires garde une part de mystère.
Le cas de Ode to Billie Joe de Bobbie Gentry est l'exemple idéal du gentil tube à côté obscur. 
En 1967, l'artiste country folk enregistre cette sombre ballade qui se propulse immédiatement en haut des charts et être ensuite reprise par le gratin de la chanson américaine, d'Ella Fitzgerald à Frank Sinatra.
Mais que raconte la chose ? Une jeune paysanne rentre chez elle pour le déjeuner et dans une ambiance lourdingue, ô combien peuplée de non dits, elle apprend que ce jeune bon à rien de Billie Joe MacAllister s'est foutu en l'air en se jetant du pont de la Tallahatchie River. La narratrice en a l’appétit coupé, surtout lorsque sa mère rapporte avoir vu une fille lui ressemblant étrangement en compagnie dudit vaurien jeter un paquet dans la même rivière quelques temps auparavant. Ici, l'auditeur attentif se demande si cette aimable scène champêtre avec suicide ne dissimule pas un infanticide...
Puis la chanson se clôt sur le quotidien du Sud profond : le frangin s'est barré, le père est mort de la grippe et la mère déprime. De la joie par kilo tonnes, donc. 
La chanteuse à la BBC en 1968.

 

Le tube aura donné un nombre invraisemblable d'interprétations pour expliquer le suicide de Billie Joe, de relations homosexuelles sous-jacentes avec le frangin, à une allusion à la conscription au Vietnam. Bobbie Gentry avancé des hypothèses variées en préférant ne rien révéler de cette tranche de vie et de mort. 
Il existe quelques reprises en autre langue. Joe Dassin a adapté la chanson l'année de sa sortie et cartonné aussi sec.
Sauf que dans l'adaptation du fils du génial cinéaste, Billie est devenu Marie Jeanne, le coton de la vigne, le 3 juin le 4, et Choctaw Ridge Bourg-les-Essones où coulerait la Garonne ( d'où l'incompréhension totale des habitants des bords du fleuve qui se demandaient où se trouvait donc ce putain de bled !)
Pour le reste, il demeure l'atmosphère lourdingue, les secrets de famille et les amours adolescentes malheureuses. 
On reste encore étonné du succès obtenu avec un tel sordide.
À moins qu'on n'ait rien compris et ait l'esprit mal tourné.
 

 

8 commentaires:

  1. Comme quoi : les trouées d'utopie au coeur même de l'idéologie (et de l'industrie culturelle)... Même remarque possible avec "Résiste" de France Gall, ou même "Allumer le Feu", d'un certain Jauni. Étonnant. À part ça, la version de Dassin est vraiment très pénible au plan musical : guère entraînante et mobilisatrice.

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  2. C'est tout de même d'une qualité bien supérieure à France Gall ou JP Smet.
    Pénible, je n'irais pas jusque là mais peut-être est ce parce que gamin, cette chanson m'a fort obsédé. Je comprenais pas où on voulait en venir. De toute façon, comme souvent, l'original est bien meilleur.

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  3. "Ce monde n'est pas le tien" (Résiste). Ça sonne un peu comme du Thomas Münzer, quand même. Et c'est aimé (à ce titre : précisément) par des millions d'individus aliénés, qui comprennent sans comprendre. Certain post-situ de notre connaissance avait ainsi deux amours : Debord et France Gall, et se délassait de l'une par l'autre.

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  4. Tant qu'à faire dans la soupe niaiseuse, on a toujours préféré "Quand on arrive en ville" du même auteur. Au moins, ça nous rappelle que dans nos jeunes années on se bastonnait facile pour un mètre carré de trottoir minable. Ce qui nous fait toujours ricaner lorsqu'on entend causer de la violence irraisonée des jeunes d'aujourd'hui.
    Quant à utiliser France Gall pour se délasser du Guitou, voilà encore le meilleur usage rationnel qu'on puisse en faire.
    Après tout, on a connu de grands esprits qui usaient de Véronique Sanson (quelqu'un se souvient de Véronique Sanson ?) pour fuir la cruauté de ce Monde.

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  5. Fuir la cruauté du monde ? mais fuir où ? Ce monde n'a pas d'envers.
    Mon père disait en ricanant « on a écrit des bibliothèques entières sur les vertus de la prière » et pourtant il méprisait Joe Dassin, dont la version de la chanson de Bobbie Gentry me fascina enfant car elle préserve le mystère originel comme une Sainte Nitouche.
    https://jesuisunetombe.blogspot.com/2018/12/deux-doigts-dans-la-reprise-3.html

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    1. Holy shit. vous aviez déjà tout révélé, John.
      Me v'la aussi plagieur que le Zimmerman.

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  6. Fuir la cruauté du monde, c'est comme boire pour oublier, ça ne marche jamais mais ça tue le temps.

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  7. Zimmermann le Faussaire pourrait faire une jolie chanson sur cette illusion humaine communément partagée de "tuer le temps" alors que c'est lui qui nous fait la peau. De toute éternité.

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