mardi 24 mars 2020

Tranche de vie (morceau choisi)


Et voici le vieux Périclès, fort de ses soixante-treize ans, entier extérieurement mais aux poumons rongés par le cancer du fumeur invétéré, se dirigeant dans la Primera Calle Poniente vers l'hôpital Rosales pour y subir ce qui sera sa première et dernière chimiothérapie, sachant que la fin est arrivée et qu'il devra l'affronter avec les sarcasmes qui lui ont permis de survivre au milieu de l'imbécilité et de la barbarie généralisées, sachant qu'aucune souffrance n'a de sens si c'est pour se leurrer soi-même et emprunter la voie de la lâcheté, que si la mort frappe à la porte, il faut l'ouvrir d'un coup, sans différer comme la marica qui court se réfugier sous le lit et se bouche les oreilles pour ne pas entendre les coups s'accélérer, sans la naïveté de celui qui se prosterne, espérant que ses prières et ses supplications inciteront la visiteuse à renoncer et, clémente, à se retirer, la porte doit s'ouvrir d'un seul coup, d'un mouvement ferme du poignet, aussi n'y eut-il pas d'autre séance de rayons, parce que Périclès comprit que toute souffrance et tout espoir étaient inutiles, il quitta l'hôpital pour retourner chez lui, entra dans son petit bureau, prit du papier et un stylo à plume pour écrire un petit mot dans lequel il donna des instructions, sortit le vieux revolver calibre 38 du tiroir, le chargea, ôta ses lunettes, alluma une dernière cigarette, en savoura plusieurs bouffées, appuya l'extrémité du canon sur sa tempe droite et pressa la détente.

Horacio Castellanos Moya 
Là où vous ne serez pas


Pour faire mieux passer tant de noirceur, une belle leçon d'optimisme avec ce rappel : l'Herbe Tendre de décembre 2015.
Thème, Tant qu'on a la santé

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire