dimanche 2 février 2020

Les grèves d'Harlan County



Le comté d'Harlan (Kentucky) est logé dans les bassins miniers des Appalaches.
De 1931 à 1939, une série de grèves, les Harlan county war, vont voir s'y produire la mort d'un nombre indéterminé de mineurs et de flics, une douzaine d'occupation des bourgades par l'armée fédérale ou la Garde nationale, l'émergence d'un syndicat teigneux ainsi qu'une chanson promise à une belle postérité.

En 1931, sous prétexte de Grande dépression, l'Association patronale des mines de réduire les salaires de 10% et de virer, au passage les mineurs membres du syndicat traditionnel UMW (united Mine Workers).
Dans cette région où la vie ne vaut pas grand chose, l'immense majorité des travailleurs part en grève sauvage avec dynamite et bagages. S'ils sont 6 000 à bloquer les puits, quelques centaines de jaunes persistent à tenter de forcer les piquets.
Dans un premier temps, les grévistes doivent affronter les vigiles des compagnies minières qui se permettent légalement d'intervenir hors des murs des entreprises. Face aux corrections infligées à ces vigilantes, un autre acteur intervient dans le conflit, le shériff J.H. Blair qui ne fait aucun mystère de son allégeance au patronat minier ni de sa haine des "rouges".
Outre la chasse aux grévistes, le brave homme se charge d'escorter des briseurs de grèves amenés par camions entiers. Le 5 mai 1931, c'est la "bataille d'Evarts" au cours de laquelle les mineurs prennent ces véhicules de "renards" en embuscade à l'arme automatique. Quatre flics et jaunes ne s'en rélèveront jamais.
Grévistes Blair Mountain (1921)

Trouille des autorités due au souvenir de la grève de Blair Mountain (1921) dans la partie virginienne des Appalaches, au cours de laquelle 10 000 mineurs du UMW, noirs, blancs, immigrés récents avaient affronté les milices patronales en armes et où l'armée fédérale avait été dépêchée pour bombarder les grévistes au canon ? Toujours est-il que le Kentucky envoie la Garde nationale qui gaze copieusement les piquets et le shériff déclare l'état d'urgence.
Face aux baïonnettes, la grève de 1931 échoue.

Un épisode restera dans les mémoires. Une nuit, les tueurs du shériff Blair font irruption au domicile de Sam Reece, éminent membre du UMW, dans l'intention de l'assassiner. Prévenu de cette descente, Reece évite le lynchage en se trouvant planqué hors de chez lui. Les sbires ne trouvent donc rien de mieux à se mettre sous la dent que de ravager son domicile et tourmenter sa femme, Florence, et ses enfants durant des heures.
Loin d'être terrorisée, Florence Reece écrit aussi sec une chanson (en collant ses paroles sur l'hymne baptiste Lay the Lily low) qui deviendra un classique* des chants prolétaires américains puis anglais ou australiens : Which side are you on ? Elle sera également l'hymne officieux du UMW.
Ici par les Almanac Singers ( Woody Guthrie, Pete Seeger, Josh White, Cisco Houston, Lee Hays...)


Le comté d'Harlan verra des grèves armées se multiplier durant toute la décennie avec l'irruption d'un syndicat plus combatif, le NMU (National Miners' Union) d'obédience communiste, et les troupes occupent la région en 1932, 1935 et 1939.
En 1973, au cours d'une nouvelle grève, Florence Reece est filmée dans le documentaire de Barbara Kopple, Harlan County, USA, où elle chante dans une AG (j'ai écrit ça dans les années trente...).



Piquet de grève face aux jaunes, 1973


On finit sur un hommage de Bob Dylan à la Dame de Harlan dans Desolation row (1965)
Everybody's shouting, "Which side are you on?!" 
And Ezra Pound and T.S. Eliot fighting in the captain's tower...




* De Pete Seeger à Billy Braggs, d'Ella Jenkins aux Dropckick Murphys, plus d'une quarantaine de versions recensées. 

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