mercredi 22 mars 2017

22 mars 1984, un crime démocratique


Pasaia (en espagnol Pasajes) est un charmant port de pêche du Guipuzkoa enchâssé dans une baie, divisé en deux quartiers de chaque côté d'une embouchure et relativement épargné par le tourisme de masse.
Autre particularité : ce bourg planqué n'est qu'à quelques encablures des côtes françaises du Golfe de Gascogne.
Ce lieu fut le théâtre d'un des crimes les plus atroces commis par l'Espagne démocratique et socialiste, le 22 mars 1984.
Les Commandos Autonomes Anticapitalistes (CAA) étaient un groupe armé clandestin issu du mouvement des assemblées ouvrières et libertaires du Pays Basque ainsi que d'une des multiples fractionnement d'ETA par l'apport des bereziak (commandos spéciaux) d'ETA PM* politico-militaire (on vous la fait à la louche).
Toute organisation armée ne supportant aucune concurrence, ils étaient bien entendu haïs par ETA et par les militants du Mouvement de Libération National Basque (MLNV).
Malgré une perte de vitesse certaine et des dissensions internes, les CAA exécutent en, février 1984, le sénateur socialiste Enrique Casas, pièce maîtresse des GAL, groupe para-policier chargé de semer la terreur chez les Basques des deux côtés de la frontière. Cette organisation, formée de flics, mercenaires, fascistes chapeautés par le gouvernement socialiste espagnol sera celle qui fera le plus grand nombre de morts (27) sur le territoire français entre 1982 et 1987.
Buter un sénateur socialiste, même assassin patenté va attirer aux CAA une rafale d'anathèmes** de la part des secteurs nationaliste proches d'ETA. Ce qui sera, pour l'État espagnol, le signe que personne ne les soutiendra en cas de problème.
Le 18 mars, la flicaille enlève Rosa Jimeno, contact local des Autonomes. Après plusieurs jours de torture, elle finit par passer un coup de téléphone vers la France qui est un feu vert pour un commando de passer la frontière.

Les morts.
Ce 22 mars au soir, cinq hommes accompagnés d'une chienne embarquent donc depuis le port de Cibourre. Ce sont environ trois cent policiers et gardes civils qui les attendent dans le chenal de Pasaia ainsi que Rosa, attachée à une corde. À peine ont-ils accosté qu'une sommation retentit immédiatement suivie d'une fusillade nourrie sous la lumière de puissants projecteurs. "Pelitxo", "Pelu" et la chienne "Beltza" sont tués sur le coup. Flics et gardes civils en zodiac récupèrent "Kurro", "Txapas" et Joseba Merino qui avaient eu le temps de se jeter à l'eau. Une fois les identités relevées, ce dernier sera écarté, placé à côté de Rosa ainsi que d'un couple d'amoureux qui se promenaient sur la jetée. Quant à "Kurro" et "Txapas", ils sont tout bonnement fusillés sur place. Les flics vont bloquer l'arrivée d'ambulances pendant des heures.

Les sommations avaient été données pour que le couple, retenu par la police, forcé de rester couché, puisse témoigner qu'elles avaient bien été données. Joseba, que les flics soupçonnaient d'être mêlé à l'attentat contre Casas recevra un traitement "de faveur" avant de partir en taule pour dix-huit années. Rosa, à qui on raconte jusqu'à son entrée en prison que ses compagnons sont vivants va y rester plus de trois ans. La vérité sur ces assassinats ne sortira qu'au bout de deux ans, lorsque Merino pourra raconter les faits au parloir. 
 
Leurs "vrais" noms


Si les "patriotes" ne manifesteront qu'indifférence, une bonne part de la jeunesse des bourgs d'origine des victimes et des zones d'influence des autonomes transformera le 22 mars en date, d'abord d'émeute, puis de commémoration. 
Pour les CAA, les carottes étaient cuites.  
L'État espagnol n'a plus besoin de masques (GAL, Alliance Apostolique Anticommuniste, Bataillon Basque Espagnol, etc...) pour tuer ouvertement et en uniforme ses membres.
Les années suivantes seront donc celles de la débandade, entre exil et chutes, pour les autonomes.
Personne n'a jamais été condamné, même symboliquement pour cette embuscade. 
Il est vrai que depuis, la pratique d'éliminer les ennemis de l'État est devenue tellement commune.
Pour terminer en musique, une chanson du groupe navarrais Barricada, censurée sur leur album, qui sortit donc en 45 tour afin de dénoncer le crime. 



Et pour ceux qui comprennent l'espagnol, un témoignage du survivant :



C'était l'histoire d'un triste anniversaire.

* Scisssion "gauchiste" d'ETA.
** Cette exécution ayant eu lieu en pleine campagne électorale marquée par une remontée de la gauche patriotique, celle-ci n'hésitera pas à traiter les CAA de groupe manipulé par les flics de Madrid. Dialectique, quand tu nous tiens...

Références : 
"Komando Autonomoak. Una historia anticapitalista" Collectif (Likiniano Elkartea, 1999)
"Emboscada en Pasaia. Un crimen de Estado" Comandos Autonomos (2008)
"Guerre à l'État" Jtxo Estebarrane (Libertalia, 2011)

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