lundi 10 septembre 2018

Ballades de pendus

C'était avant les Buttes Chaumont


Une nuit, j'aperçus aux branches d'un chêne
Deux ou trois pendus en guise de pavois (...)
C'était le chef d’œuvre d'un grand capitaine
Qui peuplait le pays de ses souvenirs 
Mac Orlan, La fille des bois 

Amis, amies, camarades sensibles aux maux de gorges et au morbide, penchons-nous aujourd'hui sur un phénomène qui fut fort pratiqué bien avant l'explication de la loi de la gravitation universelle. Qu'il s'agisse d'un châtiment infamant sous l'ancien régime, destiné à servir d'exemple et d'édification aux passants ou d'une manière très économique de quitter ce monde tout en faisant profiter les experts en plantes médicinales de la cueillette de mandragore, cordes et gibets furent fréquemment mis en vers et musique.

François de Montcorbier, dit des Loges, élevé par le chanoine Guillaume de Villon, maître es humour noir et poésie ne se faisait guère d'illusions sur sa fin puisqu'il se présentait ainsi dans ce quatrain :
Je suis François dont il me poise
Né de Paris emprès Pontoise
Et de la corde d'une toise
Saura mon col que mon cul poise

Son épitaphe en forme de ballade pour lui et ses compagnons attendant une éventuelle potence, certainement composée en prison et abusivement connu comme Ballade des pendus demeure son poème le plus populaire. Ici chantée par Serge Reggiani




Car il existe une autre Ballade des pendus, écrite en 1866 par Théodore de Banville pour sa pièce Gringoire. Le poète médiéval Pierre Gringoire y récite ses stances au roi Louis XI qui, mises en musique par Jean-Paul Mariage en 1908 devin Le verger du roi Louis, popularisée par Brassens en 1960.



 
On reviendra sur ces grappes de fruits inouïs promis à une étrange postérité...
Nerval par Gustave Doré

Vu du côté solution individuelle, on vous a causé en d'autres lieux de l'hommage rendu par Pierre Mac Orlan et de Monique Morelli suite au fait divers du 26 janvier 1855.
Gérard Labrunie, dit de Nerval, acheva sa carrière d'écrivain par suspension sur la voie publique, rue de la Vieille-Lanterne. Notons que le corps fut réclamé par la Société des Gens de Lettres et que son ami Nadar douta de l'acte volontaire.
De là naquit cette légende selon laquelle Nerval aurait été "suicidé" par des individus au service d'écrivains très connus* redoutant que ledit Gérard n'aille révéler qu'il était, en fait, leur "nègre". 

Autre vision plus joyeuse du suicide : en 1891, Maurice Mac-Nab, dans ses Poèmes incongrus, écrivit sa Ballade du pendu rebaptisée, pour cause d'illustre concurrence, Le pendu de Saint-Germain. On vous l'envoie d'abord par Chantal Grimm, déjà entendue dans l'émission de mars 2013, puis par le vierzonnais Stéphane Branger



Terminons ce tour d'horizon de la pesanteur par un retour aux vers de Banville qui ont une parenté évidente avec le poème d'Abel Meeropol, Strange fruit (1937) qui fut immortalisé en musique, par Billie Holliday.
Cet étrange fruit est là, le cadavre du Noir lynché qui parsème le Sud des États-Unis (on estime le nombre de pendaisons sauvages aux USA à 4000 entre 1877 et 1851, soit une par semaine, en moyenne).  
Scène pastorale du vaillant Sud / Les yeux exorbités et la bouche tordue / Parfum du magnolia doux et frais / Puis une soudaine odeur de chair brûlée...
Taxée d'abord de communiste, cette complainte interprétée sur scène se vit refusée d'enregistrement par la Columbia Records. Finalement, un petit label, Commodore Records sortit le disque qui devint un grand classique du blues américain. 



 

* Stendhal, Dumas ou Hugo, excusez du peu.

7 commentaires:

  1. Un petit jeunot avait pondu un joli truc en son temps :
    https://www.poetica.fr/poeme-626/arthur-rimbaud-bal-des-pendus/
    Quant à Nerval, c'est en 1855 qu'on le retrouve pendu, à l'emplacement, dit-on, où se rejoignent aujourd'hui les deux pans du rideau du Théâtre du Châtelet.

    RépondreSupprimer
  2. Du Théâtre de la Ville, plutôt ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Superbe, le bal du petit jeunot. Pour la date, la coquille est rectifiée. quant au théâtre, on n'en sait pas plus.
      merci de la visite.

      Supprimer
  3. Le bal du jeunot vous l'avez , à la minute 12.24. C'est vous qui m'aviez fait connaître ces reprises en rap d'ailleurs. Tchô !

    RépondreSupprimer
  4. Quant à la ballade de François, j'adore la reprise de Ferré, mixée avec un autre texte, incongru mais je trouve que ça le fait vraiment. Petite anecdote personnelle, avec sa prononciation sourde, j'ai longtemps cru qu'il parlait de "l'infernal foutre" !

    RépondreSupprimer
  5. Ouais. Pas mal envoyée la version de Ferré.
    Quant aux Chevals Hongrois, on ne les oublie point. C'est juste qu'il faut choisir entre tant de merveilles.
    Quant à "l'infernal foutre" on a bien entendu la même chose, mais à l'époque, on croyait qu'il s'agissait justement de la mandragore et de ses vertus.

    RépondreSupprimer
  6. Ferré a peut-être intentionnellement joué sur les paronymes, le coquinou, et il a bien fait le cas échéant. Car je trouve la métaphore du "foutre" infernal beaucoup plus suggestive et poétique que le cliché de l'éclair jupitérien, image qui m'écœure par ailleurs particulièrement ces temps-ci...

    RépondreSupprimer