jeudi 21 septembre 2017

Histoire de fantôme espagnol : l'astronaute a encore frappé


Mis à part les velléités de séparatisme catalan accompagnées de la stupidité habituelle du gouvernement de Madrid ou les tristes actes d'illuminés sanglants, un fantôme hante l’Espagne, celui de l’amiral Carrero Blanco.
Au nom d’une récente loi « en faveur des victimes du terrorisme », des procureurs de sa majesté ont requis deux ans et demi de prison ferme contre une étudiante de 21 ans, Casandra, ou un an ferme pour un rappeur, César Montaña pour « apologie de terrorisme » suite à quelques tweets moqueurs à l’encontre de ce magnifique militaire. 

Pour les nés après 1973, rappelons que cet homme était à la fois le bras droit et le dauphin du général Francisco Franco, qui en était alors à sa trente quatrième année de dictature sanguinaire.
Non content de se vanter de « fusiller la moitié de l’Espagne », Franco, avait éliminé avec plus ou moins de finesse ou de brutalité tous ses concurrents éventuels au poste de chef suprême avant de jeter son dévolu sur l’amiral.
Maîtrisant l’équilibre entre les différentes factions de la dictature (Phalange, Opus Dei, JONS, monarchistes carlistes) Carrero, surnommé « l’Ogre », était chargé de perpétuer l’œuvre du Caudillo en prolongeant le régime tout en le modernisant.
La carrière de cet aimable individu s’arrêta le 20 décembre 1973, dans la rue Claudio Coello à Madrid, lorsqu’un commando d’ETA fit exploser une bombe placée sous la chaussée qui projeta sa voiture à plus de 30 mètres et la fit atterrir sur une terrasse voisine. L'organisation avait originellement pour projet d’enlever l’amiral dans l’église dans laquelle il se rendait prier chaque matin à heure fixe (grossière erreur) mais des considérations techniques et la présence de nombreux civils ont finalement fait pencher le commando pour un attentat à la bombe.
C’était le coup mortel porté au régime gâteux et la voie ouverte à une modernisation capitaliste de l’Espagne via le retour du roi et à la « transition (appelée aussi « transaction ») démocratique ».
L’action du groupe dirigé par Argala eut aussitôt un retentissement international et fut généralement fort arrosée. Carrero fut rebaptisé « premier astronaute espagnol » ou « champion du monde de saut en hauteur ». Les taxis madrilènes devant se rendre rue Coello demandaient ironiquement « à quelle hauteur de la rue ? ». De l’autre côté des Pyrénées, les fêtes populaires donnaient lieu à des festivals de saut aux cris de « Et hop ! Plus haut que Carrero !» ou à des refrains comme « Moi, je m’en fous, je suis de Cambo, j’ai fait sauter Carrero Blanco, si un jour je monte à Paris, je ferai bien sauter Valéry ». Côté espagnol, plusieurs chansons fleurirent comme « Carreo volo » de Falín Galán ou « España toda a una ».


Citons égalemant celle du groupe Soak :  
Carrero Blanco, minitro naval tenia un sueño, volar y volar, hasta que un dia ETA militar hizo su sueño una gran realidad.
(Carrero Blanco, ministre naval, rêvait de voler, voler, jusqu'à ce qu'un jour ETA militaire change ce rêve en remarquable réalité).



Instrument de propagande par excellence du XXème siècle, le cinéma s’en est aussi mêlé.
En 1979, le cinéaste communiste italien Gillo Pontecorvo réalise « Opération Ogre » à la gloire du groupe ayant effectué le tyrannicide. Notons au passage qu’il fallait oser braver le ridicule pour représenter Gian Maria Volonte et Nicole Garcia en combattants basques (voir scène de la rencontre avec la gamine dans un bar) !


Ce film était tellement considéré comme « naturel » à l’époque que la deuxième chaîne de télévision française l’a programmé à 20h30 en 1980. Il est depuis retourné dans les tiroirs pour cause d’apologie d’une action armée.

Cet attentat ciblé a donc joui d’une popularité sans égale dans le pays, donnant lieu à une véritable légende et toute une contre-culture. On croit donc rêver que quarante ans plus tard, au nom de l'hystérie anti ETA la justice espagnole en soit à interdire l’humour.
Tout est donc toujours à recommencer, y compris certains tunnels.



PS : On rappelle en passant que la municipalité de Madrid remet encore et toujours la plaque commémorative de la rue Coello en l’honneur de Carrero, régulièrement vandalisée, et que le monument franquiste par excellence, le « Valle de los caidos » attend toujours ses démolisseurs.

4 commentaires:

  1. Je remarque dans l'illustration que l'amiral a été expédié chez les Jésuites...
    Retour à l'envoyeur ?

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  2. Le tout-puissant donne et reprend.
    Même si l'amiral avait écrit un ouvrage fondamental "La victoire du Christ à Lépante", il ne sortait pas de chez les Jésuites. Il n'y fit donc qu'un bref passage.
    Allez en paix, cher Tenancier.
    J.

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  3. Z'auriez pu vous fendre au moins d'un « Pax vobiscum », zutalafin, pour rester dans le ton.

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  4. On s'excuse, on est d'après Vatican II.
    J.

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