lundi 12 octobre 2020

Aller danser

L'ambiance mortifère, un trouillomètre médiatiquement organisé, le black-out imposé à 22h qui vire à la fin décrétée de toute vie sociale, les contrôles incessants, des voisins vigilants délateurs (les Espagnols ont inventé la très efficace expression chivatos de balcon), une certaine puanteur d'ordre moral, le fait de ne plus avoir droit à de la musique vivante qu'au fin fond de la cambrousse dans des arrières granges privées, bref, une véritable morosité ambiance nous a remis en mémoire ce texte de Paul-Louis Courier : Pétition pour des villageois qu'on empêche de danser. 
 
Nous sommes en 1822, la contre-révolution triomphe en France. Dans un village de Touraine, un curé veut commander à tout et prétend qu'on n'y doit plus danser. Sachant que la liberté de penser commence avec celle de danser, Paul-Louis Courier réplique avec légèreté par un mordicant plaidoyer pour la gigue et le rigodon, choses qui ne s'accommodent jamais bien de l'ombre écrasante de Dieu (extrait de la quatrième de couverture)  
Brillant polémiste, Courier adresse ce pamphlet à la chambre pour dénoncer censure, église et monarchie "parlementaire". Il fut poursuivi en justice puis relaxé.
 
Les gendarmes se sont multipliés en France ; bien plus encore que les violons, quoique moins nécessaires pour la danse. Nous nous en passerions aux fêtes du village, et à dire vrai ce n’est pas nous qui les demandons : mais le gouvernement est partout aujourd’hui, et cette ubiquité s’étend jusqu’à nos danses, où il ne se fait pas un pas dont le préfet ne veuille être informé, pour en rendre compte au ministre. De savoir à qui tant de soins sont plus déplaisants, plus à charge, et qui en souffre davantage, des gouvernants ou de nous gouvernés, surveillés, c’est une grande question et curieuse, mais que je laisse à part, de peur de me brouiller avec les classes, ou de dire quelque mot tendant à je ne sais quoi.
 
Un firman du préfet, qu’il appelle arrêté, naguère publié, proclamé au son du tambour, Considérant, etc., défend de danser à l’avenir, ni jouer à la boule ou aux quilles, sur ladite place, et ce, sous peine de punition. Où dansera-t-on ? nulle part ; il ne faut point danser du tout. Cela n’est pas dit clairement dans l’arrêté de M. le préfet ; mais c’est un article secret entre lui et d’autres puissances, comme il a bien paru depuis.
 
Pétition pour des villageois qu'on empêche de danser (l'Insomniaque)
 
Le texte intégral du pamphlet est lisible à cette adresse.
Et une gigue du monde d'avant (1967)
 

 

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