dimanche 24 mars 2019

Guerre des paysans et immondes récupérations


Omnia sunt communia (Tout est à tous)

Thomas Müntzer


En 1524 et 1525, un territoire correspondant actuellement à l'Allemagne, la Tchéquie, la Suisse, l'Autriche, le Jura, l'Alsace et la Lorraine est le théâtre d'une formidable révolte de paysans contre leurs seigneurs et leur clergé.
Des milliers de châteaux et de couvents brûlent.
La zone de l'insurrection correspond peu ou prou à la zone d'influence de l'Empire Germanique et donc, à celle d'une autre rébellion initiée par Martin Luther contre l'église de Rome. Dans une société dominée par l'idée de Dieu, son agitation contre la corruption du clergé, ses taxes abusives, son monopole du savoir en latin va contribuer à allumer la mèche de la Guerre Sociale.
Luther prendra ensuite bien soin de se ranger du côté des princes et des barons contre les paysans et artisans en qui il ne voit que des brutes égoïstes à écraser.
Avec la participation du prédicateur égalitariste Thomas Müntzer, les différentes bandes paysannes élaborent une plate-forme en 12 articles à présenter aux nobles et au clergé. Si ceux-ci renoncent à leur condition privilégiée, ils pourront intégrer la communauté.
À titre d'exemple voici les 12 points des insurgés lorrains reprenant les revendications des paysans allemands d'une manière plus claire, plus concise.

Article 1 L'évangile doit être prêché selon la vérité et non selon l'intérêt des seigneurs et prêtres.
Art. 2 Nous ne payerons plus de dîmes, ni grandes, ni petites.
Art. 3 L'intérêt sur les terres sera réduit à cinq pour cent.
Art. 4 Toutes les eaux doivent être libres.
Art. 5 Les forêts redeviendront à la commune.
Art. 6 Le gibier sera libre.
Art. 7 Il n'y aura plus de serfs.
Art. 8 Nous prendrons nous-mêmes nos autorités, prendrons pour souverain qui bon nous semblera.
Art. 9 Nous serons jugés par nos pairs.
Art. 10 Nos baillis seront élus et déposés par nous.
Art. 11 Nous ne payerons plus de frais de décès.
Art. 12 Toutes les terres communales que nos seigneurs se sont appropriés rentreront à la commune. 

D'abord empêtrés dans des querelles internes et les guerres d'Italie, les nobles après avoir feint de négocier vont rapidement former des alliances, se faire financer par les évêchés, rapatrier des armées de mercenaires lansquenets et écraser les armées du Bundschuh (le soulier, emblème des révoltés) sur les champs de bataille avant de déchaîner une répression sadique destinée à marquer les esprits pour les siècles à venir.


Outre le fait que beaucoup de ces insurgés avaient eu quelques connaissances militaires, plusieurs petits nobles ou chevaliers étaient passés du côté des paysans. La quasi totalité les trahirent au moment opportun, à l'instar du fameux Götz von Berlichingen, dit Main de fer, avant tout soucieux de sa propre gloire, qui abandonne sa Bande Blanche avant la bataille. Ce qui n'empêchera pas Goethe ou Sartre de le célébrer.
Gravure de Urs Graf

Outre un génial stratège, l'ex-douanier Michael Gaismar en Carinthie, un des seuls chefs de guerre qui resta jusqu'à la fin fidèle à la cause fut l'irréprochable chevalier Florian Geyer, chef de la Bande Noire, assassiné par ses pairs.
Bien entendu, les insurgés furent immédiatement calomniés par l'histoire officielle, protestante ou catholique.
Pour la postérité, Engels écrivit La guerre des paysans en Allemagne en 1850 où il établit une filiation avec l'insurrection échouée de 1848.
Le régime de RDA se fera une joie d'enrôler la figure de Thomas Müntzer dans son régime bureaucratique.
Mais c'est certainement le malheureux Florian Geyer qui eut le plus triste sort. Honoré par les romantiques, il fut récupéré par les nazis, toujours en manque de mythes, qui donnèrent son nom à leur 8ème division waffen-SS.

Côté musique, Thomas Müntzer, lui-même écrivit plusieurs hymnes et cantiques. On peut en retrouver certains dans cette émission de France Musique à la vérité historique approximative (n'y affirme-t-on pas que Müntzer se prenait pour le Christ ?)
D'autres chanson nous sont parvenues, entres autres par le groupe Die Schnitter (le Moissonneur). Ici Des Geyers schwarzer Haufen en hommage et souvenir du chevalier Florian Geyer et sa Bande Noire.
Sur l'image de la vidéo, tirée d'une gravure d'époque, le combattant porte la bannière Freiheit (Liberté) du Bundschuh.
Rien à voir avec des saloperies nazies, donc.


 
Cette histoire, racontée à la pelle, est largement tirée du formidable livre de Maurice Pianzola Thomas Munzer ou la Guerre des Paysans (1958) réédité il y a trois ans par la maison d'édition suisse Héros-limite.

9 commentaires:

  1. Ce mouvement connut un grand retentissement en Alsace au printemps 1525 avec Erasme Gerber. "Et pourtant cet événement majeur ne figure pas dans nos manuels d'histoire" Gérard Noiriel dans "Une histoire populaire de la France" (chapitre II)

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  2. Et oui, il semble même que Müntzer soit passé par Strasbourg et Mulhouse en allant vers Bäle lors de sa tournée de "propagande".
    L'illustration du milieu est le massacre de Saverne durant lequel les mercenaires du duc de Lorraine exterminèrent les paysans alsaciens.
    Après cette "bataille" Erasme Gerber fut torturé à mort et dit (d'après la chronique "Ha, seigneurs! Je suis icy dont bien vous va car je vous prometz que se j'eusse pu eschapper cette journée, je vous eusse montré ung tour de compagnon". (Merci Pianzola)
    Bien à vous.
    Jules

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  3. Et merci à vous, je découvre ce bouquin de Maurice Pianzola.

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  4. "Ha, seigneurs! Je suis icy dont bien vous va car je vous prometz que se j'eusse pu eschapper cette journée, je vous eusse montré ung tour de compagnon"
    Comme quoi, déjà à l'époque, les correcteurs automatiques déconnaient plein tube.

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    1. Où un tant soit peu de cuistrerie permet toutes coquilles.
      Car on a recopié la version rapportée tirée de
      "L'histoire et recueil de la triumphante et glorieuse victoire obtenue contre les séducytctz et abusez luthériens mescréans" de Vollcyr de Séronville (1526).
      Quant aux correcteurs, à l'époque ils portaient épées et arquebuses.

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  5. http://www.insomniaqueediteur.com/publications/peintres-vilains

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  6. Dans les bouquins sur le sujet il y a aussi le dernier Eric Vuillard, La Guerre des pauvres qui est peut-être pas mal...

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    1. Au prix très prolétarien de 8 euros les 60 pages (merci Acte Sud).
      On ne l'a pas encore lu, en feuilletant vite fait, on ne doute pas des bonnes intentions de l'écrivain. Surtout qu'il a la bonne idée d'évoquer Wat Tyler et quelques autres anglais incontrôlables. Par contre, il semble qu'il ait confondu Mulhausen (Thuringe) et Mulhouse (Alsace).
      Tout le monde peut se tromper.

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