mercredi 22 août 2018

Notre belle jeunesse


C’étaient ces temps froids et sauvages qui ont emporté mon frangin en moins de temps qu’il n’en faut pour télécharger un film sur l’émule. On a dispersé ses cendres à l’embouchure du Pagasarri et on a observé les courants d’air les dégueuler au loin, même si je reste persuadé qu’une partie a filé directos dans mon estomac. Des fois, il me fait tellement mal que je n’ai plus le moindre doute à ce sujet.
Ça aurait pu arriver n’importe comment, en s’envoyant un cocktail de pneumonie et de tuberculose avec de la poudre de ciment au lieu de la pâtissière, avec une fixette sortie d’une fosse septique ou shooté par le train de Plencia sans pouvoir virer son survêtement des rails. Mais c’est le virus qui l’a niqué. Bien avant que les virus ne se propagent par envois d’e-mails et n’aillent effacer les dossiers de ton disque dur. La Bête, comme on l’appelait. Après, on lui a donné d’autres noms : VIH, Sida, syndrome d’immunodéficience. Toujours cette vieille histoire de noms à la con qu’on donne à cette bonne vieille mort.
Il est entré chez nous quand personne ne s’y attendait, comme ces casses-couilles de Jéhovah qui viennent dans l’après-midi te brouter les burnes avec la parole de Dieu. C’était avant que les téléphones ne perdent leur cordon torsadé pour se retrouver à se balader dans les poches des gens. Avant que Tata Wikipedia n’ait réponse à tout. Et ni les marchandises étalées au marché, ni Informe Semanal, ni Sa Majesté le Roi dans son discours de vœux de bonne année ne nous ont expliqué pourquoi on devait crever si jeunes et si beaux.

 
C’est dans ces eaux-là qu’on a monté le groupe. On n’avait aucune technique musicale, mais on y mettait une furie qui effrayait les pires Rambos du quartier. Rien à voir avec aujourd’hui où tout est devenu pédanterie. Je me souviens de nos premiers accords : une bombe de rage prête à exploser ! Une vitesse vertigineuse pour traverser la vie. On a commencé dans la cave de la vieille à Bataka. Son grand-père élevait des lapins là-dedans, mais les voisins avaient porté le pet parce que ça schlinguait velu dans l’entrée. Le syndic avait donc exigé que le vieux tue ses bestiaux. Ce qui fut fait. On le croisait, errant sans but dans les rues, morne, avec un air de lapin, jusqu’à ce que la prostate l’emporte. À moins que ça n’ait été la myxomatose.
On a donc dû nettoyer la merde laissée par les grandes oreilles et en quelques semaines, on l’a remplacée par notre propre merde. (...)


Pelukas passait au local pour jouer de temps en temps. Il avait des paroles zengagées et il voulait nous faire passer du côté du Émélénevé* mais on lui riait au nez. On était des délinquants, rejetons de travailleurs immigrés et on vivait dans des quartiers à l’esthétique toute soviétique, dans des cubes aux murs épais comme du papier à rouler. L’alcool, les humiliations, le pointage au chômage, la reconversion industrielle, les aides sociales et de la drepou dans les veines, voilà la réalité. L’été, on partait en Estremadura où on nous appelait « les Basques » et à Bilbao, nous n’étions que des Estrémègnes, bref, des parias où qu’on aille. Vraiment rien à envier aux familles déstructurées d’aujourd’hui.

Josu Arteaga Les Rats de Biscaye (2015)
L'intégralité du texte est à lire 
* Mouvement de Libération National Basque 

2 commentaires:

  1. Yeah, j'avais lu cette nouvelle à l'époque de l'hospitalisation d'Hafed Benotman, quand la tribu de ses aminches avait fait mailing list commune pour échanger... des nouvelles. Le traducteur est de vos amis ?

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  2. On peut l'affirmer, oui.
    Encore qu'il y a des jours...
    J.

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