mardi 14 juillet 2020

Tranche de vie (de l'été pourri)


J'ai marché dans les bois.
J'avais perdu tout ce qui faisait de moi un homme ! On m'avait mis en guerre contre des bombes, contre des balles, contre des chars blindés qui avaient foncé sur moi !
Je n'avais rien vu, que des éclaboussures. Rien vu ! Rien !
De toute toute cette guerre immonde où l'on pouvait me tirer comme un simple gibier, où l'on m'avait visé à balle, bombardé, chargé au monstre blindé, je n'avais rien vu et rien à raconter. Rien !
Dans tout ce qu'on avait prétendu me faire faire, je n'avais rien compris ! Rien partout : Je savais seulement que j'étais devenu quelque chose d'insignifiant, de négligeable, qu'on pouvait tuer comme un moucheron ou une fourmi !
Mais je revendiquais aussi ma part de pauvre héros dans ce conflit où je n'avais rien vu, rien compris et où je l'étais seulement mis là où l'on m'avait dit.
Et j'avais la haine ! Oh oui, la haine ! La haine risible, impuissante et tragique, contre tous ces grands qui n'avaient pas fait leur métier.
On ne les avait pas mis là pour nous faire guerroyer mais pour nous donner du bonheur ! Je les haïssais ! C'était farouhe et furieux ! Ça me taraudait le cœur.

J'ai tourné le dos au soleil pour aller vers la Suisse. C'était fini pour moi !

Jean Meckert La Marche au canon

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