Comme le gouvernement espagnol va éventuellement se retrouver à devoir occuper militairement une partie... de l'Espagne (sic !) on peut consulter ces jours-ci quelques textes instructifs. Par exemple ces deux-là, l'un de Tomás Ibáñez, et, mieux encore, l'autre de Miguel Amoros.
Par ailleurs, on s'est permis de traduire ce billet d'humeur, signé Acratausorio rex, qui malgré une conclusion décevante renferme quelques vérités de base.
Question
d’identités
Avec toute cette histoire d’indépendance de la Catalogne, un sujet
attire particulièrement mon attention : qu’on m’explique
qu’il s’agit là d’indépendantisme et en aucun cas de
nationalisme. Autrement dit, on sort des milliers de drapeaux, la
carte d’une patrie, une langue, une histoire, on revendique d’avoir
un État à soi, participent à cela aussi bien des millionnaires que
des prolétaires, l’Espagne et les Espagnols font face à la
Catalogne et aux Catalans, la langue définit un territoire mais…
surtout pas question de nationalisme parce que ce simple mot pue les
champs de batailles et les millions de morts. Voilà bien pourquoi on
parle de nationalisme avec dégoût, seul le PNV (Parti Nationaliste
Basque ndt) persiste à employer le mot parce qu’il n’a pas
encore découvert comment changer de nom.
Comment fonctionne le nationalisme ? En partie en se dotant
d’une identité. L’identité individuelle est ce que l’on est.
Un truc terriblement complexe. Découvrir ce que l’on est vraiment
n’a rien de simple… Qui es-tu? Un sociologue aurait besoin de
cent mille entretiens pour donner une réponse. Hein ? Et en
plus, s’il se gourre ? Imaginez donc, partant de là, la
complexité de découvrir ce que nous sommes, notre identité
collective. Heureusement que l’État est là pour te l’accorder.
Et que petit à petit se construise une identité.
Toute politique identitaire d’état tâche d’identifier des
coutumes communes et comme la populace est tellement éclectique au
niveau culturel, au niveau économique, au niveau du cadre de vie
géographique… Ici, en Espagne, ce qui définit la culture commune
est la langue. Qu’on l’appelle castillan ou espagnol.
L’autre aspect de politique identitaire fourni par l’État est le
pouvoir d’identification : pouvoir identifier les autres et
les doter de caractéristiques différentes des siennes. Pour qu’il
puisse exister un « nous-autres », il faut que « eux,
les autres » existent. Plus les autres sont identifiables, plus
nous-autres sommes renforcés. Et vice-versa.
Par exemple, ce refrain « l’Espagne nous dépouille » qui amène à penser qu’il n’y a là aucune profonde réflexion au sujet de la création de la redistribution de richesses. Ça donne juste que les voisins qui se considèrent encore Espagnols se croient entendre traiter de voleurs. Et ça les énerve un peu plus à chaque fois qu’ils voient un Catalan, à la télévision ou ailleurs, avec son drapeau, sa langue et ses autoroutes à péages. Et ça les met en rogne et ça finit en commentaires méprisants. Commentaires qui, s’ils parviennent aux oreilles d’un Catalan, ne font que renforcer son catalanisme. Et si tu mènes une politique d’immersion linguistique en catalan, tant dans l’administration qu’à l’école, tu pourras bien dire ce que tu voudras, ceux qui se sentent Espagnols vont se trouver attaqués. Et lorsque le PP est arrivé à bousiller le Statut de 2010 ? Et bien, la même chose mais à l’inverse.
Et tout ça n’est pas fait innocemment. C’est même parfaitement
calculé, car plus les gens s’identifient à une nation et plus une
nation à un État, plus une population dominée par son gouvernement
se retrouve à l’unisson. Tout comme l’esclave pouvait
s’identifier au propriétaire de l’hacienda.
En Catalogne beaucoup de gens s’excitent au sujet de l’armée
d’occupation. Mais en dehors de la Catalogne… Chers amis et amies
Catalans, la gauche espagnole est unioniste et la population aussi.
Les Espagnols sont loin d’être cette caricature de fascistes à
petite moustache et calvitie que vous représentez systématiquement,
pas plus qu’ils ne sont les quatre pelés néo-nazis. Ils
applaudiront avec une profonde indifférence ce que le gouvernement
fera contre la Catalogne, aussi despotique cela puisse-t-il être.
C’est là tout le charme de la politique identitaire : plus
elle cogne, plus elle renforce son adversaire. Et ça ni le Gobierno,
ni le Govern ne l’ignorent car ils sont tout sauf innocents
ou idiots… et ils jouent le jeu de leurs propres intérêts. Et en
guise de repas, ils vont se goinfrer, en vous préparant à tous une
orgie nationaliste. Et le plat de résistance, c’est vous tous et
toutes.
Les Mossos d'esquadra, héros (si!) de l'indépendance |
L’unique réponse à la perte de liberté, à l’occupation
militaire, au despotisme ne réside, en l’occurrence, ni dans le
peuple, ni dans les nationalismes, ni au Govern, ni au
gouvernement. La seule opposition, le seule réponse à la hauteur
des circonstances réside dans le mouvement ouvrier. Et part d’un
simple fait : les intérêts du travailleur ne sont pas
nationaux. Pour poser la question des salaires, du poste de travail,
du chômage, de ses conditions de vie sur la table, il faut qu’il
existe des motifs autrement plus puissants.
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