Voilà une chanson qu'on a manqué passer dans l'émission consacrée à la racaille militaire.
Créée par Tri Yann, sur leur album Urba en 1978, elle narre un épisode méconnu de la guerre de 1870/1871, celui du camp de Conlie.
Le 4 septembre 1870, après un début de guerre désastreux contre la Prusse, Napoléon III, prisonnier à Sedan, abdique.
Sous pression d'un Paris pré-révolutionnaire, Léon Gambetta, ministre de la guerre du nouveau gouvernement, voulut poursuivre une "guerre à outrance" en levant des Mobiles pour livrer des batailles censées rompre l'encerclement de la capitale.
Dans ce cadre, il était prévu de former une Armée de Bretagne avec les surplus de la guerre de Sécession américaine. Les promesses de doter cette unité de l'armement et de l'équipement nécessaires, ne furent jamais tenues.
Émile de Kératry, obtint de Gambetta, enfui à Tours, l'autorisation former, sous sa responsabilité, cette Armée de Bretagne autonome (60 000 hommes), destinée à se rendre au secours de Paris. Cette armée sera cantonnée à Conlie, prés du Mans.
Mal vêtus, contraints de monter leurs tentes dans un terrain récemment labouré, devenu bientôt fangeux, sans aucun approvisionnement, tant alimentaire que militaire, ils furent bientôt la proie de maladies (fièvre typhoïde, variole...). Gambetta les considérant comme des Chouans potentiels, il n'équipa qu'une infime fraction des troupes avec à peine plus de 4000 vieux fusils à percussion de types divers parfois rouillés, dont les plus modernes étaient des Springfield américains. De plus, ils furent dotés de munitions hétéroclites qui ne correspondaient pas à leurs armes, ou dont la poudre avait été "délavée" par l'humidité et se révélaient incapables de faire feu. Dans le pire des cas, certaines de ces armes explosaient au moment du tir, s'avérant plus dangereuses pour leur servant que pour l'ennemi. Indigné par le sous-équipement de ses troupes et les conditions sanitaires déplorables qui leur étaient imposées, n'obtenant pas de réponse satisfaisante du Gouvernement de Défense Nationale, Keratry demanda à être relevé de son commandement.
Le général de Marivault, remplaçant Kératry, écrivit à Gambetta le 22 décembre 1870 : " j'ai trouvé 46.000 hommes désarmés, mal vêtus, non chaussés, sans campement (les baraquements promis n'ont jamais été montés et la troupe pour plus de 90% couche sous des tentes, ils ont comme matelas de la vieille paille) et sans solde,paralysés dans un marais où toute leur énergie consiste à se tenir debout et à se tenir secs...!"
Jugement confirmé par un journaliste du Times de Londres :
"... L'aspect des troupes que j'ai rencontrées aujourd'hui était déplorable. Leurs armes rouillées paraissaient hors d'état de service. Plusieurs marchaient sans chaussures, un grand nombre paraissaient exténués e leur cavalerie était dans un état pire que l'infanterie s'il est possible. Bien souvent, c'est le cavalier qui aide le cheval à avancer...."
Le camp fut surnommé Kerfank (la ville de boue) par les mobiles.
La chanson* de Tri Yann évoque ainsi les cris des soldats mourant de froid et de malnutrition, implorant le général de les renvoyer à la maison : « General, ma general d'ar gêr, d'ar gêr ma général, n'eo ket d'ar brezel ! » (à la maison mais pas à la guerre). Marivault loua leur ardeur à vouloir partir à la guerre, ignorant qu'en breton, "d'ar ger" ne veut pas dire "à la guerre", mais "à la maison".
De fait, on laissera ces soldats pourrir sur place, ne les envoyant au massacre qu'en janvier 1871 sans armement adéquat, pour une défaite supplémentaire, au Mans.
Le général de Lalande déclarera devant une commission d'enquête parlementaire :
«
Je crois que nous avons été sacrifiés. Pourquoi? Je n'en sais rien.
Mais j'affirme qu'on n'aurait pas dû nous envoyer là, parce que l'on
devait savoir que nous n'étions pas armés pour faire face à des troupes
régulières. »
7 mars 1871: dissolution de l'Armée de Bretagne. Retour au pays des troupes bretonnes.Nous voilà rassurés. Pour notre part, nous avons longtemps pensé que cette armée de gueux, tenus en réserve, avait été ensuite utilisée pour écraser la Commune de Paris. Il semblerait qu'il n'en soit rien.
Un monument a été élevé sur le camp de Conlie dont voici la plaque : " 1871 D'AR
VRETONED TRUBARDET E KERFANK CONLIE DALC'HOMP SONJ 1971" (Aux Bretons trahis au village de boue de Conie. Souvenons-nous.)
La plupart des informations de cet article sont tirées de ce site.
Si on trouve une chanson idoine, on se fera un plaisir de vous raconter le sort lamentable d'une autre armée au cours de cette même boucherie, celle de Bourbaki.
On constatera à nouveau que le mépris et l'incompétence criminelle des états-major n'a pas attendu 1914 ou 1940.
* Le Guillaume du refrain, c'est le roi de Prusse, futur empereur d'Allemagne. Alfred Chanzy est le général de l'Armée de la Loire, responsable du désastre du Mans.
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