Comme le précédent, c'est de 1934, juste avant que le déroutant Marcel n'aille s'enticher de Mussolini et de ses expéditions africaines (si, si, quel Con !).
Je suis allé, l'autre soir au cabaret des Noctambules entendre Marianne Oswald, cette artiste juive dont le répertoire et la personne même ont été l'objet, il n'y a pas bien longtemps, de manifestations véhémentes allant du sifflet à roulette aux articles de presse les plus haineux. Ce n'est pas du tout mon affaire d'apprécier le talent d'une vedette, d'autres s'y entendent beaucoup mieux que moi. Il me semble simplement, et je le dis en passant, que si ses détracteurs voulaient bien faire leur examen de conscience, c'est à dire un effort d'imagination, ils conviendraient sans peine que le genre choisi par Marianne Oswald (...) est fort au dessous d'elle et que seuls seraient dignes de son génie certains grands rôles de la tragédie grecque et du théâtre élisabéthain en attendant que son extraordinaire personnalité (...) fasse surgir quelque dramaturge inconnu.
En voyant son image d'Atride aux yeux brûlés, sa silhouette de gargouille, ses gestes d'ombre chinoise, on oublie le thème du moment pour songer aux réalisations de demain.
Marianne Oswald, si ses conseillers ne l'égarent pas sur la voie du Grand-Guignol, est sans doute, une chance unique pour le théâtre, notre vraie chance de n'y aller plus seulement pour y bailler d'ennui (...)
Pour l'instant, elle se trouve (...) récitant le monologue sur des tréteaux de guinguette et le miracle est qu'elle réussisse à émouvoir le spectateur, à troubler une salle avec le mince prétexte de ces chansons et de ces petits morceaux cousus de gros fil qui laissent trop paraître la distance entre l'artiste et la pauvreté du genre et qui fournissent aux grincheux quelques raisons de la critiquer. (...)
Je n'avais pas encore entendu le fameux Jeu de massacre qui valut dernièrement à Marianne Oswald d'être expulsée de Suisse et qui inspire encore à quelques chroniqueurs français des cris d'effroi et de colère. Je m'attendais à quelque chant révolutionnaire altéré du sang des bourgeois, gonflé de menaces et d'invectives, giflant l'auditoire de la misère des claque-dents et de l'impudence des ventres dorés. Pour que la Suisse se fut sentie menacée dans son équilibre par une simple voix de femme, il fallait un chant atroce, d'une violence à rendre intenable la situation du délégué de l'Union Sovietique à Genève. de couplet en couplet, j'attendais l'explosion, l'appel forcené à la vengeance, j'en fus pour mes frais.
Je n'en croyais pas mes oreilles. Il s'agissait bonnement d'une partie de jeu de massacre à la foire aux pains d'épice et le couplet final, le plus subversif, celui qui, vraisemblablement, fit trembler de peur le gouvernement helvétique, était quelque chose comme "Boum sur la mariée ! Boum sur le notaire ! Boum sur le général ! Boum sur monsieur le maire!..." Pas plus.
L'écrivain le plus officiel, le plus monoclé, le plus chéri des salons bien pensants, celui dont la moustache cirée projette son ombre austère sur le haut col de porcelaine blanche s'est sûrement permis des audaces plus corsées dans ce qu'il appelle ses péchés de jeunesse et il ne serait même pas surprenant qu'il écrivît encore un pareil morceau pour la récréation de ses petits-enfants.
Il faut vraiment avoir un sens aiguisé du symbole pour voir se profiler le spectre de la révolution dans des couplets aussi anodins. autant dire qu'il faut être poète et d'avant-garde.
Marianne Oswald ne voudra-t-elle pas chanter une complainte sur la peine de ces âmes délicates et tourmentées qui voient en elle la grande prêtresse des rouges offrandes et qu'une chanson de poupée suffit à effrayer ?
En voyant son image d'Atride aux yeux brûlés, sa silhouette de gargouille, ses gestes d'ombre chinoise, on oublie le thème du moment pour songer aux réalisations de demain.
Marianne Oswald, si ses conseillers ne l'égarent pas sur la voie du Grand-Guignol, est sans doute, une chance unique pour le théâtre, notre vraie chance de n'y aller plus seulement pour y bailler d'ennui (...)
Pour l'instant, elle se trouve (...) récitant le monologue sur des tréteaux de guinguette et le miracle est qu'elle réussisse à émouvoir le spectateur, à troubler une salle avec le mince prétexte de ces chansons et de ces petits morceaux cousus de gros fil qui laissent trop paraître la distance entre l'artiste et la pauvreté du genre et qui fournissent aux grincheux quelques raisons de la critiquer. (...)
Je n'avais pas encore entendu le fameux Jeu de massacre qui valut dernièrement à Marianne Oswald d'être expulsée de Suisse et qui inspire encore à quelques chroniqueurs français des cris d'effroi et de colère. Je m'attendais à quelque chant révolutionnaire altéré du sang des bourgeois, gonflé de menaces et d'invectives, giflant l'auditoire de la misère des claque-dents et de l'impudence des ventres dorés. Pour que la Suisse se fut sentie menacée dans son équilibre par une simple voix de femme, il fallait un chant atroce, d'une violence à rendre intenable la situation du délégué de l'Union Sovietique à Genève. de couplet en couplet, j'attendais l'explosion, l'appel forcené à la vengeance, j'en fus pour mes frais.
Je n'en croyais pas mes oreilles. Il s'agissait bonnement d'une partie de jeu de massacre à la foire aux pains d'épice et le couplet final, le plus subversif, celui qui, vraisemblablement, fit trembler de peur le gouvernement helvétique, était quelque chose comme "Boum sur la mariée ! Boum sur le notaire ! Boum sur le général ! Boum sur monsieur le maire!..." Pas plus.
L'écrivain le plus officiel, le plus monoclé, le plus chéri des salons bien pensants, celui dont la moustache cirée projette son ombre austère sur le haut col de porcelaine blanche s'est sûrement permis des audaces plus corsées dans ce qu'il appelle ses péchés de jeunesse et il ne serait même pas surprenant qu'il écrivît encore un pareil morceau pour la récréation de ses petits-enfants.
Il faut vraiment avoir un sens aiguisé du symbole pour voir se profiler le spectre de la révolution dans des couplets aussi anodins. autant dire qu'il faut être poète et d'avant-garde.
Marianne Oswald ne voudra-t-elle pas chanter une complainte sur la peine de ces âmes délicates et tourmentées qui voient en elle la grande prêtresse des rouges offrandes et qu'une chanson de poupée suffit à effrayer ?
Oswald à l'époque (si, si, juré) |
Sur la photo, Marianne on dirait Barbara. A propos de Marianne (et de Barbara à qui un autre a dit "quelle connerie la guerre"), journal de gauche dans lequel Marcel Aymé a écrit l'article ci-dessus, il me semble, je voudrais nuancer ton propos concernant l'épisode éthiopien (non pas pour défendre Marcel Aymé, qui a bien su résister à l'envie de résister sous l'occupation, et qui a aussi écrit dans des journaux bien puants, sans cependant et pour autant se donner corps et âme et se faire le propagandiste, à l'instar de Céline, du nazisme radical ; non pas pour le défendre donc, mais parce qu'il me semble que ce que tu dis est inexact). Il ne s'est pas entiché de Mussolini et de ses invasions (enfin je crois, pardon, je pense, y a peut-être des anti-théistes dans le coin...), il a signé un manifeste, de droite (lui qui était plutôt situé à gauche à l'époque), contre des éventuelles sanctions du gouvernement français contre l'Italie fasciste. Il n'approuvait pas forcément le colonialisme fasciste, ses motivations étaient pacifistes, il souhaitait éviter un nouveau carnage. Comme Céline, et on sait où ça l'a mené... Mais Marcel n'est pas allé aussi loin, même si forcément, sur ce manifeste il s'est retrouvé avec de notoires fachos (et tricard à gauche depuis).
RépondreSupprimerMerci d'avoir transformé le minerai de texte que je t'ai modestement envoyé pour en réaliser ces beaux articles multi-média !
Bah oui, indéniablement, pour la deuxième tofe, c'est bel et bien Barbara !
SupprimerDonc ça se confirme, après la célèbrissime confusion entre Gabriel Yacoub et Serge Ayoub, qui a fait de Dans l'herbe tendre la risée des auditeurs du monde entier, voici que le blogue aussi part complètement en sucette !
Damned ! Le retour du vengeur masqué.
SupprimerEt t'as oublié la confusion entre Verlaine et Baudelaire.
Me suis abusé et rectifie, mes excuses aux masses manipulées.
J
Certes, tu fais bien de nuancer, le "Manifeste des intellectuels pour la défense de l'Occident et de la paix en Europe" (rien que le titre !) était un gloubi-boulga d'honnêtes pacifistes (Martin du Gard, Mac Orlan) et de franches crapules : Maurras, Daudet, Brasillach, Drieu la Rochelle et j'en passe, tout le gratin de la pensée française de la première moitié de la décennie suivante.
RépondreSupprimerJules Romain, François Mauriac et quelques autres surent les envoyer se faire paître.
Alors, qu'allait faire le père Marcel dans cette galère ?
Jules
D'autant que Marcel était un disciple de Romains et de son unanimisme. Il lui a d'ailleurs reproché de ne pas avoir été plus conséquent en l'occurrence avec son pacifisme.
RépondreSupprimerC'est toute l'équivoque du pacifisme : bon en 14/18 ; mauvais en 39/40 ; et le Kosovo : plutôt Val ou plutôt Halimi (je pense qu'on connait la réponse) ? Mais ce qui est difficilement compréhensible, comme tu l'exprimes, c'est de se retrouver sur le même manifeste que de pures ordures, et de ne pas voir ce qu'il y a de compromettant, de salissant là-dedans. Ca fait un peu penser aux gloubi-boulgas confusionnistes actuels sur certains sujets (anti-racisme, laïcité, anti-sionisme...), c'est pas rassurant. Idem pour les journaux dans lesquels il a écrit, des torchons que je n'ose citer, et dont, pourtant, il ne partageait nullement (en tout cas ses romans et ses articles ne nous permettent pas de le croire) les haineuses et nauséabondes idéologies.