Les chiens galeux (1986) |
L'Italie des mal nommées "années de plomb" n'a pas le monopole des manipulations barbouzardes, des attentats massacres ou de la stratégie de la tension. Pas plus que l'Irlande du Nord, d'ailleurs.
À l'aube des années 1980, le Pays Basque est en guerre : outre les conflits ouvriers dus à la restructuration, la vague antimilitariste et les bastons antinucléaire, on trouve sur ce territoire trois organisations armées (ETA militaire, ETA politico-militaire, en voie de reconversion civile, les Commandos autonomes anticapitalistes ) au sud de la frontière et une au nord (Iparretarak).
Comme l'a souligné un célèbre policier espagnol : "Le problème basque est facile à régler, c'est pas 200 000 mecs qui vont en faire chier 19 millions."
Dont acte.
Fasciste ou démocrate, l'État espagnol a utilisé plusieurs faux nez paramilitaires pour mener sa guerre aux excités du Nord sous des pseudonymes divers : Bataillon basque espagnol, Alliance apostolique anticommuniste ou guérilleros du Christ roi. C'est l'arrivée au pouvoir des socialiste à Madrid qui va enclencher la vitesse supérieure. Le conflit génère un grand nombre de réfugiés du sud côté français et le gouvernement de Mitterand refuse obstinément de les livrer à celui de Felipe Gonzalez. Qu'à cela ne tienne, pour forcer la main des autorités françaises, une organisation baptisée GAL (Groupes antiterroristes de libération) va semer la terreur des deux côtés de la frontière mais plus particulièrement en France. Attentats à l'explosif, racket, mitraillages ou assassinats ciblés, enlèvements, les GAL ont fait au moins 34 morts. Présentés officiellement comme un ramassis de flics incontrôlés, de franquistes nostalgiques et de mercenaires, cette bande de tueurs était en fait téléguidée par le CESID (services secrets) la Garde civile et la police sous la coordination de ministres et députés socialistes. Ils n'ont pas hésité à recruter des truands ou des mercenaires ainsi qu'à jouir de la complicité de flics et politiques français, particulièrement utiles à "loger" les réfugiés ou à garder la frontière ouverte dans l'heure qui suit un attentat. Après tout, San Sebastian n'est qu'à 25 km d'Hendaye. Mais comme dans toute bonne manipulation, un flou volontaire (voir le film crapuleux) reste toujours entretenu sur pas mal d'aspects et responsabilités sur ces opérations destinées à isoler les réfugiés pour ouvrir la voie aux extraditions qui vont suivre.
Fin du bref cadre historique, début de l'anecdote.
Le 25 septembre 1985, entre Adour et Nive, le quartier du Petit Bayonne connaît son animation habituelle : bandes de potes s'adonnant au potéo, aller de bar en bar au gré des rencontres. Dans ce quartier, tout le monde connaît les réfugiés. Le libraire et disquaire de la rue Pannecau, réputée pour ses bars, est lui-même un ancien guérillero. À 21h15, deux hommes pénètrent dans le bar de l'hôtel Monbar, au 24 de cette rue, et ouvrent le feu. Ils touchent quatre copains qui buvaient un coup et les achèvent chacun d'un tir à la tête.
Les deux affreux n'iront pas loin. Cernés et désarmés par la foule avant d'atteindre le pont St esprit, ils sont pris en charge par les flics du commissariat voisin qui leur évitent ainsi un lynchage en règle. Tous deux sont des truands marseillais embauchés pour l'occasion. On sait qu'ils touchaient 50 000 francs par blessé et 200 000 par tué.
Si ce massacre est resté plus connu que d'autres, c'est peut-être parce que ce soir là, le jeune Fermin Muguruza, chanteur et guitariste du groupe qui monte, Kortatu, est lui aussi rue Pannecau. Venu visiter un vieux pote autonome planqué à Bayonne, il vient de terminer une partie de baby foot avec quelques uns des futurs assassinés et de changer de crémerie.
Il raconte que leur groupe a été suivi par deux individus (on a l'habitude des filatures en cette région et cette époque) puis la bande se sépare, quatre vont au Monbar, les autres dans un autre troquet.
En entendant les coups de feu, ils sortent et butent sur les cadavres et les tueurs.
Rentré chez le camarde qui l'héberge, Fermin, choqué, écrit à la hâte une chanson qui sera la première faite pour le deuxième album du groupe, El estado de las cosas*. C'est peut-être ce soir là et suite au fait qu'il aurait parfaitement pu y passer, qu'il s'est engagé franchement du côté nationaliste basque sans jamais renier ses engagements internationalistes ou son amour du désordre.
La chanson est simplement intitulée Hotel Monbar. L'allusion aux recyclage des anciens combattants de la bataille d'Alger vient de sa surprise face à la quarantaine d'un des deux mercenaires. Quant à la vieille chanson de guerre, c'est l'Eusko gudarriak, (chant des guerriers basques) entonné aussitôt dans les rues.
C'était notre rubrique "C'était pas mieux avant".
* Faudra revenir un jour sur le cas de cet album.
Oh oui, il faut toujours revenir à Kortatu ! On n'en cause jamais assez (moi l'premier...).
RépondreSupprimer1985 à Bayonne :
RépondreSupprimer- Tu viens au concert au Polo Berri ? Y'aura Kortatu.
- Encore !
Pffff, c'est pas bien de faire bisquer ses petits camarades !
RépondreSupprimerJamais vu Kortatu, hélas mille fois hélas. Firmin avait dit qu'ils se reformeraient si le Pays Basque devenait indépendant, du coup ça m'avait donné envie d'être nationaliste basque au moins 3 mn !
Par contre j'ai vu Negu Gorriak quelques fois, la première en 1993 à Paris. J'étais bien vénère car je venais de me faire embrouiller par un JNR dans l'tromé. Revu aussi à Bayonne quand ils se sont reformés après avoir gagné leur procès. On avait mangé les gateaux aux couleurs de l'Euskadi backstage mais Firmin, crevé, avait décliné ma propoze d'interview (ce qu'il fera à nouveau quelques autres années plus tard)... Par contre il nous avait filé une dizaine d'invits pour le concert du lendemain à San Sebastian ! Sûrement l'un des plus impressionnant concert qu'il m'ai été donné de voir, dans un stade chauffé à blanc !
Ah, et j'ai aussi pu apprécier Joxe Ripiau à Bilbao, groupe sous-évalué de son regretté frangin... Bref, on pourrait en causer des heures.
Mon meilleur concert de Kortatu était dans une fête de village, au nord, devant un parterre d'au moins 400 personnes et ils n'ont jamais joué aussi bien. C'était juste après la sortie de leur troisième LP, "Kolpez kolpe".
RépondreSupprimerSuis beaucoup moins enthousaiste sur Negu Gorriak.
Faut dire qu'après nous avoir fait le coup des Clash / SLF des montagnes, voilà-t-il pas qu'ils se prenaient pour Public Ennemy.
Quant à devnir nationaliste basque, ça m'a jamais traversé l'esprit.
Agur !
ps : il est mort, le frangin ? Ça m'avait échappé.
Oui, Íñigo Muguruza est décédé le 6 décembre 2019.
RépondreSupprimerNegu, les deux premiers albums sont super, après je suis davantage circonspecte. Mais au moins, Firmin et sa bande n'ont jamais arrêté d'expérimenter.
Et j'aime beaucoup Public Enemy.