vendredi 17 janvier 2014

A LAURENT S.


Laurent, tu m'as fait croire que ton nom signifiait en Gascon "crétin d'Ariège" et je ne sais toujours pas si c'est vrai ou s'il s'agit encore d'une de tes plaisanteries. Tu m'as raconté internet en 1988 et je n'y ai rien compris. Tu as démontré qu'on pouvait être situationniste et homme d'action. Tu as réalisé, avec ton complice nyctalope, le plus beau graffiti toulousain de ces 30 dernières années au moins. Tu fus un de ceux qui firent la première émission pour les taulards avec pour horizon la destruction définitive de ces concentrés de société. Tu as aussi vécu quelques aventures dignes des Freak Brothers. Tu as appris le navajo et la japonais pour ne pas trop fainéanter dans la Colorado. Et tu m'as appris James Joyce et Spinoza lors des années Toulouse-la-canaille.
Malgré tous tes efforts tu n'as jamais viré aigri. Ironique, sarcastique, pénible parfois, ça oui...
Et comme il est hors de question de coller ta belle gueule pyrénéenne sur internet, un texte d'une personne qui t'as certainement gonflée mais qui est tellement juste.

Il me semble que tu n'étais pas pour rien dans l'affiche originale

C’est le petit matin et, si on me posait la question, ce que personne n’a fait, je dirais que le problème avec les morts, ce sont les vivants.
Parce que le plus souvent ça donne lieu à des disputes absurdes, oiseuses et révoltantes autour de leur absence.
Les sempiternels « moi, je les ai connus / je les ai vus / on m’a dit que » sont autant d’alibis qui cachent un « moi, je suis l’administrateur de cette vie parce que je gère leur mort ».
Quelque chose comme le copyright de la mort, alors convertie en marchandise que l’on possède, qui s’échange, circule et est consommée. Tiens, il y a même des établissements faits pour ça : des livres d’historiographie, des biographies, des musées, des éphémérides, des thèses, des journaux, des revues et des colloques.
Et puis, il y a ce trompe-l’œil de la publication de sa propre histoire pour pouvoir en limer les erreurs.
D’aucuns s’appuient ainsi sur les morts pour élever un monument à leur propre gloire.
Mais, à mon humble avis, le problème avec les morts, c’est de leur survivre.
Soit on meurt avec eux, un peu ou beaucoup à chaque fois.
Soit on se proclame leur porte-parole. En fin de compte, les morts ne peuvent plus parler et ce n’est pas leur histoire, leur histoire à eux, que l’on raconte : ce qu’on fait, c’est justifier la sienne propre.
Soit on les utilise encore pour pontifier d’un ennuyeux « moi, à ton / à leur âge ». Alors que la seule façon honnête de compléter ce chantage affectif bon marché et en rien original (presque toujours destiné à des jeunes et à des enfants), ce serait d’achever par « il a commis plus d’erreurs que toi / que vous ».
Ce que cache une telle prise en otage de ces morts, c’est le culte de l’historiographie, si typique d’en haut, si incohérent, si inutile : à savoir, prétendre que la seule histoire qui vaille et qui compte, c’est celle qui est dans les livres, les thèses, les musées ou monuments et dans leurs équivalents actuels et futurs, qui ne sont rien d’autre qu’une manière puérile de vouloir domestiquer l’histoire d’en bas.
Il existe en effet des gens qui vivent de la mort des autres et qui se servent de leur absence pour échafauder des thèses, des essais, des écrits, des livres, des films, des corridos et des chansons et autres façons plus ou moins sophistiquées de justifier leur propre inaction… ou leur action stérile.
« Tu n’es pas mort », ça peut rester un simple slogan si personne ne continue sur la même voie, parce qu’à notre modeste et non académique point de vue ce qui compte c’est le chemin choisi et non la personne qui le suit.
SCI Marcos, Extrait de "Rembobiner deuxième partie"

Et un peu de déconnade pour ne pas en rester là. Adios, amigo.


 

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