- Yo, t'es dans quoi? demanda le type gigantesque avec la batte de softball en alu dont il frappait la paume de sa main.
- Heu, dans quoi ? demandais-je en retour, saoul et frigorifié sur le trottoir de la 10ème rue entre les Avenue A et B.
- Ouais, tocard, dit un autre type qui tenait un couteau, tu sais, dans quel gang ?
- Gang ? répétai-je stupidement en état de choc. J'étais entouré par six types. Balaises. L'air dangereux. De même que les armes qu'ils avaient en main.
- Mec, cria le type au flingue, on va te le demander une dernière fois : pourquoi tu portes des couleurs?
J'ai regardé mes bottes de moto. Noires. J'ai regardé mon jean. Noir. J'ai regardé mon t-shirt. Noir. J'ai regardé mon blouson de cuir. Noir avec des pin's US.
Tout à coup, un des types a avancé la main vers mon blouson de cuir. Il l'a touché. Caressé. Tripoté. J'ai pensé qu'il devait avoir un truc avec les vaches.
- C'est pas de la blague, a dit l'homme aux vaches.
- Yo, a dit le gars à la batte. Enlève tes couleurs. Je me taisais. Je ne comprenais rien. "Tes couleurs", cria-t-il, pointant sa batte sur mon cuir et l'espèce de pendentif désodorisant que j'avais fixé sur l'épaule gauche. C'était en fil tressé, avec plein de couleurs vives. Et une petite boule parfumée accrochée au bout. Je portais ça uniquement pour faire chier mon groupe.
- C'est un désodorisant ! j'ai dit un peu rassuré. Ils n'allaient quand même pas me tuer parce que je portais sur mon blouson l'équivalent d'un sapin parfumé pour rétroviseur.
- Enlève tes couleurs tout de suite, a dit le mec au flingue, ou on te tue. Enlèves-les.
- Prenez mon portefeuille, j'ai dit en leur tendant mon portefeuille Spiderman officiel. Le bleu et rouge avec toile d'araignée.
- Le blouson ou la vie.
- Prenez n'importe quoi, n'importe quoi mais pas ça, j'ai dit quasiment en larmes.
- C'est ta dernière chance, répondit-il.
C'est ainsi que je me suis de nouveau retrouvé face à cette alternative que j'avais déjà dû affronter des années auparavant. Mon blouson ou ma vie. Crucifiant dilemme.
George Tabb Take my life, please.
(chroniques drolatiques devenues introuvables mais rééditées par Demain les flammes)
Alors bon, mon blouson n'a pas vraiment bouleversé ma vie sexuelle au lycée. Mais il fit une forte impression sur tous les freaks, les marginaux, les camés qui zonaient sur la "Colline des Freaks". On fumait de l'herbe et on chantait tous en chœur I wanna be sedated.
Pendant l'année suivante, ma deuxième, j'étais connu comme "le type au blouson de cuir". Certains profs m'appelaient James Dean. D'autres Elvis. D'autres Hells Angels. Mais la plupart se contentaient de m'appeler "trou du cul" entre leurs dents.
Du même chapitre.
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