lundi 18 novembre 2019

Et Thatcher tomba ( jusqu'où il ne faut pas aller trop loin)


Personne n'est indétrônable, pas même une Dame de Fer. Et personne ne devrait ignorer l'histoire et manifester à ce point son mépris au point de ressusciter un impôt qui, six siècles auparavant avait ravagé le royaume d'Angleterre et sa capitale.
En 1989, il semblait que Margareth Thatcher ait maté les quartiers remuants, les mineurs, les dockers, les chômeurs, les cheminots, les écoles publiques, les républicains irlandais et, au passage, quelques traîneurs de sabre argentins. Continuant sa marche royale d'un libéralisme décomplexé, voilà-t-il pas qu'elle réinvente un impôt maudit, la Poll tax (capitation) consistant à frapper chaque sujet de sa gracieuse majesté sans distinction de revenu. En gros, un gentlemen châtelain aura à régler la même somme que son jardinier. Mieux, si le propriétaire du manoir Tudor de 20 chambres paie une part, le gardien du manoir dans son trois pièces avec son épouse et quatre gosses, paie six parts.
Ressusciter ? Et oui, en 1380, en pleine guerre de Cent ans, le parlement de Richard II (qui a 15 ans) leva une poll tax dans tout le royaume qui augmente la dîme de 65%.
Serfs, artisans, métayers, soldats entre deux chevauchées, empoignent des armes et se révoltent dans le Sud et les Midlands. Chauffés à blanc par les sermons égalitaristes du prêtre John Ball, menés par le paysan et ex-soldat Wat Tyler, les rebelles incendient châteaux, abbayes, demeures de riches bourgeois, de baillis, de nobles, de shériffs en exigeant la suppression de la taxe et l'affranchissement des serfs. En 1381 plus de 60 000 révoltés envahissent Londres. Rejoints par la plèbe urbaine, ils pillent les palais, ouvrent les prisons et décapitent quelques parasites.
Décidé à imposer ses réformes au Roi, Wat Tyler interdit le pillage et, le 14 juin, rencontre un souverain quelque peu anxieux, assiégé qu'il est dans sa tour de Londres.
Le commandant insurgé exige l'abolition du servage, de la poll tax et du privilège de chasse et de pêche pour la noblesse. Sachant que le grand capitaine Robert Knolles est en train de lever des troupes en catastrophe, le roi transige et promet une réponse pour le lendemain.
Lors de cette nouvelle rencontre, Wat Tyler, d'abord insulté par la suite du roi est assassiné par le Lord Maire, William Wallworth.
Il ne reste plus au roi qu'à convaincre les insurgés que Wat a tenté de l'agresser, qu'il est du côté de son peuple et qu'il donnera satisfera naturellement leurs revendications. Convaincus par leur royal protecteur, les vilains se retirent de Londres pour être aussitôt massacrés par l'armée de Knolles. Deux mois de tueries s'ensuivent, John Ball est à la fois pendu et écartelé et on oublie les abolitions promises pour quelques siècles.
Un parmi les nombreux* témoignages musicaux de cette mémoire vive parmi tant d'autres : le groupe folk-rock Fairport Convention et son Wat Tyler (1985)



Mais, c'est bien connu, les Tories n'aiment pas la musique, enfin pas celle-là.
Retour en 1989 et à cet impôt inique. Manière de tester l'affaire, les Écossais sont mis à contribution pour un an. La levée de boucliers de cette région où les habitants foutent purement et simplement les baillis (agents assermentés) à la porte aurait due mettre la puce à l'oreille d'un gouvernement qui étend pourtant la taxe à l'ensemble du Royaume-Uni en mars 1990.
Les écossais de Exploited avaient pourtant averti : Don't pay the Poll tax




Des manifestations spontanées, hors de tout contrôle syndical, éclatent aussi sec devant toutes les mairies du pays, du Nord au Sud. Le 8 mars, les troubles touchent Londres, particulièrement les quartiers de Southwark, Hillington, Islington, Lambeth (Brixton), et Hackney où les flics doivent battre en retraite et les magasins saccagés par les gueux.
Fort de sa morgue et de sa majorité parlementaire, le gouvernement entend faire passer la loi le 31 mars quel qu'en soit le prix.

Et ce qui devait arriver finit par arriver : le 30 mars environ 200 000 manifestants occupent les beaux quartiers du centre de Londres, les flics sont pourchassés devant le 10 Downing street et la foule occupe Trafalgar Square.
Entre charges de cavalerie et contre-charges de la foule boutiques de luxe, pubs de yuppies, concessionnaires de voitures de sport sont incendiés. Officiellement, on recense 400 blessés dont... 300 policiers !
Tout ça sans la moindre aide d'internet qui n'en est qu'à ses balbutiements.
Le lendemain, le centre-ville londonien offre un paysage comparable au Paris de début décembre 2018.

 Les bâtiments de la capitale sont couverts d'affiches dénonçant l'impôt et promettant une digne correction à tout agent recenseur.
Thatcher n'entend pas céder et, entre deux appels à la délation, la presse se fait un plaisir de publier les photos des émeutiers qui y allaient souvent à visage découvert.
Le 20 octobre Brixton est ravagé par une nouvelle manifestation, la foule tente de briser les portes de la prison où se trouvent de nombreux émeutiers de mars.
Et le 22 octobre, inénarrable Thatcher, dont la majorité tory commence à sérieusement s'inquiéter de son futur électoral, se voit obligée de démissionner.
Le 21 mars 1991, le gouvernement de John Major enterre définitivement la poll tax.
Anglais, encore un effort pour être républicains !
Français, encore un effort pour apprendre de l'histoire et virer un gouvernement au service des riches !
Au rayon, célébrons la victoire, ce vieux Mod de Steve Marriott (ex Small Faces) nous livrait alors un Poll tax blues tout à fait de circonstance



Et comme à Brixton, tout terminait par du ragga, Apache y allait aussi de sa danse :

* Wat Tyler est, par exemple, le nom d'un groupe punk anarchisant drôlatique et surréaliste actif de 1986 à 2002.



4 commentaires:

  1. Ah super ! J'ai toujours pensé (et affirmé, tant que j'y suis) que si on voulait connaître les effets futurs de la politique macroniste, il fallait regarder le résultat de celle de Thatcher ("a woman in disguise" comme le chantait Angelic Upstarts)...
    En passant, "Fat Bob", le bassiste du groupe Wat Tyler, est le fondateur des excellentissimes Hard Skin, groupe oi! tellement jouissivement parodique qu'il a ravit le coeur des skins du monde entier !

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  2. Les Hard Skins, vraiment ? Tu m'étonnes que ce soit du parodique.
    La chanson de Steve Marriott est un de ces derniers enregistrements, décédé qu'il fut peu après.
    Mais, cher érudit, que sont devenus les folkeux de Fairport Convention ?

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  3. Faut écouter un peu plus de oi! et moins de folk les gars !
    Pour Fairport Convention, une simple recherche sur Discogs semble montrer qu'ils sont toujours en activité, puisque leurs derniers albums datent de 2018.

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  4. Que veux-tu, on a toujours été mauvais au jeu de l'oi !
    Blague à part j'ai toujours eu un faible pour les Redskins (le groupe de York) malgré ce qu'en disait un pote qui les traitait de "groupe de soul confortable".

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