mardi 28 mai 2019

Tambov la rébellion oubliée

Vivere militare est (Vivre, c'est lutter) Sénèque
S'il est une révolte paysanne généralement négligée dans la kyrielle de troubles liés à la guerre civile russe, c'est bien celle de Tambov, également qualifiée d'Antonovchtchina par les bolcheviks en référence à un de ses théoriciens, le socialiste révolutionnaire Alexandre Antonov.
 
Les violences (dans les campagnes en 1917 ndr) touchèrent surtout les possédants, leur propriété et les papiers qui les garantissaient, mais assez rarement les représentants du pouvoir : c’est là une différence majeure avec la période de la guerre civile (1918-1921). Les paysans, notamment à Tambov, imposèrent alors un véritable gouvernement paysan en investissant les institutions locales et en les remodelant à leur usage.

Dans le programme du parti socialiste-révolutionnaire, la redistribution des terres confisquées sans dédommagement aux grands propriétaires qui ne les exploitaient pas allait devoir être gérée non par le zemstvo de canton, mais par une commune paysanne « ressuscitée »  Mais ce retour voulu par les SR au communisme primaire supposé du paysan coïncida avec une pression accrue du pouvoir sur la paysannerie et du collectif sur l’individu. Le gouvernement provisoire s’appuya sur l’Union des villes et des zemstva (Zemgor) pour maintenir l’approvisionnement des villes et du front ; par l’intermédiaire de détachements spéciaux, il réquisitionna les récoltes au nom de la liberté politique conquise.
Alexandre Sumpf (Revue d'histoire de la Shoah N°189)

En 1920, le pouvoir bolchevik double les réquisitions de grains pour alimenter son armée et les centres urbains. Fournir ces quotas équivaut simplement à la famine. Le 19 août, la révolte éclate dans la ville de Khitrovo où les paysans forment une Armée Bleue, (par opposition aux armées "vertes" d'autodéfense paysannes au programme souvent flou, voire réactionnaire). Cette armée prend ses ordres de  "l'Union des paysans travailleurs", d'inspiration socialiste-révolutionnaire. Un congrès élu à Tambov abolit l'autorité soviétique et vote la création d'une assemblée constituante indépendante. La terre est restituée aux communes.
Antonov

Socialiste Révolutionnaire, un temps allié aux bolcheviks, Alexandre Antonov, qui prend la tête des troupes insurgées, avait déjà une aura de héros populaire grâce à ses attaques contre l'État central et ses représentants. Plus de 50 000 hommes sont organisés, sur base de milices ou de déserteurs de l'armée Rouge, leur service de renseignement infiltre tous les organismes officiels, Tcheka comprise. Début 1921, alors que la Makhnochina ukrainienne agonise, l'insurrection s'étend aux régions de Samara, Saratov, Tsaritsyne, Astrakan et en Sibérie, menaçant tout le centre de la Russie à l'Est de Moscou.
À la tête de plus de 30 000 soldats, le glorieux maréchal Toukhatchevski et le brillant commissaire du peuple Antonov-Ovseïenko (tous deux exécutés par Staline en 1937 et 1938 en remerciement de leurs loyaux services) édictent la directive : Les forêts où les bandits se cachent doivent être nettoyées par l'utilisation de gaz toxique. Ceci doit être soigneusement calculé afin que la couche de gaz pénètre les forêts et tue quiconque s'y cache.
Sept camps de concentration servent à rassembler les familles des insurgés en otage. On y enferme plus de 50 000 personnes et la mortalité y est d'un quart par mois. 

Gazés, pourchassés, bombardés par l'artillerie et l'aviation, les rebelles tiendront encore un an. En mai, la Tcheka attire plusieurs dirigeants dans un traquenard, en simulant l'existence d'un congrès clandestin SR auquel Antonov envoie des délégués. Ceux-ci sont arrêtés et la police politique bolchevique parvient à retourner Etkov, adjoint d'Antonov. Celui-ci organise une rencontre entre les représentants fictifs d'un soulèvement du sud de la Russie (des tchekistes) et une partie de l'état-major de l'armée insurrectionnelle de Tambov. La plupart de ces derniers sont exécutés au cours de la soirée. 
Blessé à la tête puis atteint de paludisme, Antonov est repéré par les sbires du GPU le 24 juin 1922 qui mettent le feu à la maison où il se planque avant de le cribler de balles, lui et son frère. 

Sur les torrents de calomnies déversés sur ces soi-disant koulaks restent encore des chansons.




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