samedi 24 mars 2018

Des Russes dans la boucherie de l'Ouest

Civils français et soldats russes
Dans le cadre des échanges culturels de la Grande Europe, aujourd'hui un épisode méconnu de la glorieuse Guerre qu'on nomme Grande.
Courant 1915, l'état-major français a bien des soucis : 360 000 morts à l'automne 14 et 320 000 aux premiers mois de 1915, ça fait des trous... Après avoir envisagé l'appel par anticipation des classes 16 et 17, on réalise qu'en Russie, il reste cinq millions de soldats inemployés faute d'équipement (l'industrie russe ne suivant pas la demande). Le calcul est vite fait : suite à la demande de Joffre, le Tsar consent à envoyer graduellement un petit million de combattants à l'ouest en échange de l'équivalent en fusils Lebel.
Pour commencer, 45 000 hommes arrivent donc à Marseille en avril 1916 et sont reçus dans un enthousiasme délirant.
Au contact des soldats français, les Russes réalisent que les mauvaises manières de leurs aristos d'officiers qui les mènent au knout sont quelque peu démodées. Puis, on les envoie en Champagne, ils y vivront donc les absurdes et sanglantes offensives de Nivelle au Chemin des Dames.
Les délégués du soviet de la 1er Brigade
Comme entre-temps le Tsar avait été déboulonné par la Révolution de février, les brigades russes avaient déjà constitué des comités (soviets) de soldat.
Après avoir consenti à une dernière attaque qui se soldera par un massacre, des tracts se qualifiant de "chair à canon" et selon lesquels " les soldats russes ont été vendus contre des fournitures de munitions", ainsi qu'un journal révolutionnaire "Natchalo" (le Début) circulent parmi les troupes.
Des tensions se font jour au sein des troupes entre les partisans du gouvernement Kerensky et ceux du soviet de Petrograd.
Pour éviter toute mutinerie, le commandement français, qui a fort à faire avec me mécontentement de ses propres troupes, envoie les Russes à l'arrière, dans des camps de la Marne et des Vosges.
Le 1er mai, ils défilent en chantant la Marseillaise sous des drapeaux "Socialisme, liberté, égalité". Comme l'illustre la photo ci-contre, le général Palytzine, censé les commander, est viré sans ménagement par des subordonnés devenus enragés.
C'en est trop pour l'état-major qui expédie ses remuants alliés dans la Creuse, au camp de La Courtine. Les 16 000 soldats et 300 officiers exilés là-bas y conservent leur armement.
Sur le plateau des Millevaches, des heurts éclatent entre la 1ère Brigade (communiste ? Pas sûr, il devait y avoir là des SR, des anarchistes et tout le spectre révolutionnaire) et les soldats de la 3ème, plutôt fidèles à l'État. 6000 hommes et officiers de la 3ème se séparent pour s'établir à 25 km, au village de Felletin, pendant que la Courtine devient un camp militaire autogéré par un soviet de soldats.
L'état-major français décide alors d'en finir pour éviter toute contagion et envoie autour de La Courtine 3500 soldats russes loyalistes pourvus d'artillerie et le triple de soldats français et coloniaux.
Les soldats mutinés font ce à quoi ils ont été formés, ils creusent des tranchées.
Le 16 septembre 1917, le camp est bombardé alors que l'orchestre des mutins joue la Marseillaise et la Marche funèbre de Chopin. Le 19 septembre, après trois jours et trois nuits de bombardement, les derniers mutins se rendent aux Français. Bilan officiel : 9 russes révoltés tués (en fait autour de 150 ), 1 russe loyaliste et 2 français. Les rescapés seront envoyés en prison militaire, en camp disciplinaire ou versés dans la Légion étrangère. Ceux-là ne seront renvoyé à Odessa que fin 1919.
Arrestation d'Afanasie Globa, délégué du soviet
Bien entendu gouvernements russe et français feront tout pour étouffer ce gênant épisode. Ce à quoi ils ont assez bien réussi.
Il reste tout de même quelques traces en chanson.
Victor Leonidov, chanteur et archiviste de la diaspora russe, reprend ici un chant de la 1ère Brigade de Champagne.
La musique en est nostalgique à souhait et les paroles doivent provenir d'avant la mutinerie suivie de sa lamentable répression. Un extrait est traduit sous la vidéo.


Et en 16, l’année maudite
Le long dun chemin de croix,
De Russie, des soldats s'en venaient
Afin de sauver la France.
Et l'Europe, pour sa joie,
S'étonnait de leurs attaques à la baïonnette.
Les brigades russes,
se battaient,
Pour, de leurs corps, protéger Paris.

Ici, tout est simple et journalier
Le grondement de la guerre, il y a longtemps, s'est tu
Seule une chapelle domine le cimetière,
repose un brave régiment d'infanterie.
L
es obus ne grondent plus
La terre a enlacé les soldats.
L
es brigades russes se battaient,
Pour les champs français.

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