mardi 30 septembre 2025

Le 2 octobre mexicain

 


S'il est une maxime toujours vivace à Mexico, c'est bien "Nous n'oublierons pas le 2 octobre". Ce qui fait référence à "la nuit de Tlatelolco" ou la tuerie qui mit le point final à la rébellion de la jeunesse mexicaine en 1968.
Tout avait commencé là-bas au mois de juillet, le 22. Le feu aux poudres avait été allumé par des bagarres entre diverses bandes d'étudiants et des porros, gros bras chargés par le parti au pouvoir de faire le ménage des éléments contestataires à la matraque, tous ces jeunes gens ayant ensuite été brutalement dispersés par la police anti-émeute.
1968 était aussi l'année où le président Gustavo Díaz Ordaz s'était payé SES Jeux Olympiques qui débutaient le 12 octobre et était prêt à tout pour que ceux-ci soient la vitrine d'un pays triomphant (ça vous rappelle rien ?).
Rajoutons que ces années furent celles d'une expansion soudaine de la ville de Mexico et que les étudiantes et étudiants qui se répandaient dans les rues étaient petit à petit rejoints par des jeunes prolos et marginaux ravis de défier le pouvoir (ça vous rappelle rien ?).
Durant tout le mois d'août, les rues de la capitale, puis des autres villes du pays, furent envahies de manifestations contre la répression et un régime sclérosé soi-disant héritier de la Révolution de 1911-1920 (qui fut, en fin de compte, la confiscation du pouvoir par des propriétaires du Nord).
Le côté remarquable étant qu'aucun leader n'était apparu et que le seul organe menant ce combat était le Comité national de grève (CNH) formé d'un groupe de 250 représentants des écoles en excluant tout parti politique.

Bus incendié au cours des affrontements  
Dès l'origine, ce mouvement, qui réclamait essentiellement un peu d'autonomie et de démocratie, la libération des prisonniers et la dissolution de corps répressifs (dont les sinistres granaderos) fut traité par l'État comme "tentative subversive téléguidée de l'étranger pour instaurer un régime communiste" et ses participants de "délinquants, terroristes et dangers sociaux" (ça vous rappelle toujours rien ?).
Ce qui fait que le niveau de répression fut particulièrement élevé, surtout dès la nuit tombée, le gouvernement n'hésitant pas à envoyer l'armée fédérale contrôler la rue. 
Blindés sur la place du Zocalo
 
Les troubles ne faiblissant pas et la date des JO se rapprochant, l'État mit les bouchées doubles : fin septembre, la soldatesque s'empare de l'Université Autonome (UNAM) au sud et de l'Institut Polytechnique National (IPN) au nord de la ville, école fréquentée par des étudiants plus pauvres et qui donnera une nuit d'affrontements sanglants.Suite à cette répression, le CNH appela à un meeting géant près de l'IPN, sur la place dite "des trois cultures" (on y trouve un reste de pyramide aztèque, une église espagnole et des immeubles modernes et moches) plus connue comme place Tlatelolco (comme ça se prononce). 
Le quartier étant cerné par les troupes fédérales, un groupe paramilitaire (le bataillon "Olympie") se chargea d'ouvrir le feu sur les soldats depuis toits et terrasses suite à un signal lancé par un hélicoptère, atteignant même le général commandant le dispositif.

La réponse fut immédiate : les fédéraux mitraillèrent copieusement la place, laissant environ plus de 300 cadavres (qui furent aussitôt escamotés), commirent plusieurs exécutions sommaires dans les appartements alentour, procédèrent à des arrestations massives (la plupart des prisonniers ayant atterri, au secret, au camp militaire n°1) et achevèrent ainsi violemment cette révolte de la jeunesse mexicaine. 
L'État reconnut officiellement 4 morts et les JO s'ouvrirent en grandes pompes le 12.
Un procès monstre fut ensuite monté contre les prétendus "auteurs intellectuels" du mouvement (dont l'écrivain communiste dissident José Revueltas) et on envoya des centaines de gens moisir à la prison de Lecumberri avant une amnistie de 1971.
Il fallut attendre 1998 pour qu'une commission d'enquête soit mise en place (mais les archives avaient magiquement disparu) et 2002 pour que l'État reconnaisse un semblant de responsabilité.
Depuis les années 1980, ce massacre est commémoré chaque 2 octobre par des manifestations, généralement agitées, devenues le rendez-vous de la jeunesse (mais pas que) en colère.
Une des dernières séquelles de la tuerie fut la disparition des 45 étudiants de l'école normale d'Ayotzinapa (Guerrero) en 2014. Ces jeunes gens s'étaient emparés d'autobus pour se rendre à la manif du 2 à Mexico avant d'être interceptés à Iguala par des policiers, confiés à des narcos et disparus à côté d'un camp militaire.
À l'heure actuelle, on en est encore là... 

À titre d'illustration musicale, le chanteur agitateur de rue José de Molina (ici d'après une VHS de 1995) dans En esta plaza. On vous laisse son long discours avant. 


Et les rockers chilangos de La Maldita Vecindad commémorant eux aussi le 2 octobre.

La place Tlatelolco le 3 octobre au matin

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