vendredi 28 juillet 2023

Jean-Patrick Manchette, le rock et l'imposture

 

 


Au théâtre, c'est avec une pièce rock que tu as fait tes débuts : Cache ta joie !
 
Ouiiiiii... on peut appeler ça une pièce rock. C'est Daniel Benoin de la Comédie de Saint-Étienne qui m'a demandé d'écrire une pièce qui devait intégrer un groupe de rock (Factory, ndr). Je suppose que c'est du hard rock. Je m'y perds un peu avec les dénominations qui ont surgi de toutes parts. (...)
Donc on m'a passé commande avec probablement l'idée que j'allais faire une pièce noire. Comme mes bouquins. Ce n'est pas du tout ce qui est venu. Sur le plan réaliste, ça appelait un texte sur les zonards. Or c'est un milieu que je ne connais pas. Je suis un écrivain presque quadragénaire, saperlotte. Ç'aurait été quasiment malsain, artificiel, faux. Infaisable en fait. J'ai donc écrit un truc sur la culture. Complètement irréaliste et burlesque. Sur la récupération d'un groupe de pauvres qui essaient de s'en sortir par le rock. Et qui, à la fin, effectivement s'en sortent, mais pratiquement morts, empaillés, momifiés. c'était assez curieux à écrire parce que je ne savais pas à l'avance comment l'équilibre allait se faire entre musique et texte. (...)
Finalement, c'était très intéressant de voir ces mecs, véritables zonards, en train de faire leur musique et tenir superbement tête au texte négatif écrit par un viel intellectuel de gauche.
 
Tu écris (...) une pièce rock, musique qui ne t'intéresse pas, n'est-on pas en droit, quelque part, de te qualifier de truqueur ?
 
Je ne crois pas qu'on puisse déduire de Cache ta joie ! que je m'intéresse au rock. C'est une pièce quasiment anti-rock, qui ne fonctionne bien justement  que parce que le rock, sur scène, discute avec le texte pour finalement l'emporter sur lui. Mais que je truque...oui.   

JP Manchette, interview de Serge Loupien dans Libération, 15 mars 1982. 
Derrière les lignes ennemies. Entretiens 1973-1993


 

En prime, une autre joyeuseté de la bande à Yves Matrat, tout droit sortis de Givors (69) à la fin des années 1970.

4 commentaires:

  1. Saperlotte.

    En fait, Manchette n'a cessé de réécrire encore et en cœur et en Corée toujours la même histoire, jusqu'à trouver la forme la plus épurée et parfaite qui enfin le sastisfît, tel un vulgaire Flaubert.

    Ainsi, le thème esquissé en 1968 dans le projet Safari pour un enfant, romancé ensuite dans Ô dingos, ô chateaux ! (merci, Rimbaud !) puis repris dans Melanie White n'a cessé de le hanter jusqu'à la fin de ses jours, au point qu'il s'acharna incessamment à le développer fabuleusement dans le majestueux et magistralement songé cycle des Gens du mauvais temps, dont hélas une saloperie de crabe pancréatique ne nous a laissé que l'esquisse de la tétralogie.

    De même, cet opéra-rock là, Cache ta joie ! (dont il n'est pas mauvais de rappeler qu'on peut en lire le texte chez Rivages, dans un recueil éponyme qui recèle l'extraordinaire nouvelle intitulée Basse fosse), hé ben il en avait déjà prodromé les jalons dans le scénario à la va-vitre d'un film bousillé par son pote d'alors Jean-Pierre Bastid (qu'il s'empressa de trahir honteusement en lui piquant sans vergogne son idée de polar sur l'assassinat de Ben Barka, d'où L'affaie N'Gustro), Mésaventures et décomposition de la Compagnie de la Danse de Mort.

    Bastid tourna foutraquement le film durant le bel été 1968, avec une bande de joyeux barges, grâce aux subsides de Véra Belmont, mais le résultat fut tellement naze que Manchette en renia la paternité, ce fut rebaptisé Les Petits-enfants d'Attila et heureusement jamais ça ne sortit en salles.

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  2. Tout ce que vous dites est amplement confirmé par Manchette lui-même dans ces entretiens qui, mis bout à bout, sont très marrants mais quelque peu redondants.
    On ne saurait donc trop vous conseiller de l'emprunter à votre bibliothèque du coin parce que 22 balles pour des fonds de tiroir, franchement.....

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  3. Michel, remettez-vous les lorgnons sur le tarin, foutredieu !

    Rien de Manchette ne me file des boutons, même pas de Dion (je cause pas de Céline, et puis mieux vaut ne pas s'embringuer dans la politicaillerie plus ou moins antisémite : je préfère le Canada dry…)

    Je l'ai chopé dès qu'il est sorti sur les étals, bien évidemment.
    Je vous dis pas par quel subterfuge, mais grâces soient rendues à Nicolas Le Flahec !

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  4. … Sans compter que j'ai déjà tout ce bouzin sur papier et en audio et en vidéos, mais bon, hem, on est comme on est, hein, moi je kiffe les archives cheap et sans être ping[re]ouin je préfère Manchette aux manchots.

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