Dans le cadre d'un nouvelle semaine d'effort de guerre à l'Est et avec une attention toute particulière au moral des troupes, voici un chanteur qui fut à la fois marginalisé par le pouvoir et massivement admiré par les sentimentaux, les poètes, les ivrognes, les désespérés, les indécrottables rieurs, les amoureux des mots, les humbles, les voleurs et pas mal d'autres, en Russie, pardon, en URSS, j'ai nommé l'indispensable Vladimir Vissotsky.
Car ce n'est pas tout d'arriver à se taper une guerre prolongée où on vous a envoyé avec trois jours de rations et un demi plein de gasoil, il faut aussi tâcher de ne pas rentrer au pays dans un sac, pardon dans un cercueil en zinc (merci Svletana). Il s'agit donc de revenir à peu près intact, oh pas psychologiquement faut pas rêver, mais sur ses deux jambes serait déjà pas mal.
C'est ce que narre notre tovaritch la Déprime dans La chanson d'un soldat, ou Солдатская, balade joyeuse de 1974 dont on ne résiste à vous envoyer la traduction. Bienvenue chez toi, vaillant conscrit !
Tant qu'on y est, on est estomaqué de constater à quel point un billet d'il y a huit ans est encore d'actualité.
Dans toutes les batailles du monde entier, j’ai peiné, j’ai rampé avec mon régiment.
Puis on m’a ramené chez moi, malade, défait, sur un train spécial du Service de Santé.
Et d’un camion on m’a déposé devant chez moi, juste devant la porte.
Je l’ai regardée. J’étais étonné, stupéfait: une drôle de fumée montait de la cheminée.
Les gens aux fenêtres évitaient mon regard et la maîtresse m’a reçu comme un étranger.
Elle ne m’a pas serré dans ses bras, en larmes, seulement le geste, puis elle est rentrée dedans.
Les chiens hurlaient et mordaient la chaîne alors que je fendais la foule là dedans;
j’ai trébuché sur quelque chose qui n’était pas à moi, puis j’ai tâté la porte. Je suis entré, si faible, à genoux.
Le nouveau maître de la maison, à l’air sombre, était assis à table, à ma place de tous les jours.
Une femme était assise à son côté, et c’est pour ça, et c’est pour ça que les chiens aboyaient si fort.
Donc - j’ai pensé - pendant que je faisais mon devoir sous le feu, en me passant de toute pitié ou sagesse,
ce type-là avait tout déplacé, chez moi, il avait tout changé à sa façon, comme il voulait.
Et avant chaque assaut, nous priions Dieu que son feu de couverture ne rate pas le coup...
Mais ce coup, plus mortel, m’était lâché dans le dos et transperçait mon cœur comme la trahison.
Comme un paysan, j’ai fait de grandes révérences, j’ai fait appel à toute ma volonté pour murmurer:
«Pardonnez-moi ma faute, bon, je repars, c’est pas la maison juste, mes amis, c’est comme ça.»
Je voulais dire ça: Que la paix et l’amour règnent chez vous, que vous ayez toujours du bon pain à cuire...
Mais lui, bon, il n’a levé pas même ses yeux comme si tout ce qui s’était passé était normal.
Le plancher, tout décapé, a branlé fort, mais je n’ai pas claqué la porte, comme autrefois.
Je suis parti. Les fenêtres se sont rouvertes et on m’a lancé de loin des regards coupables.
Traduction Riccardo Venturi
Vissotsky me terrorise depuis que je l'ai entendu chanter "plus rien ne va" dans votre émission. Ça me rappelle trop ma jeunesse éthylique. Manquerait plus qu'il ait fait une reprise de "y'a plus d'vodka" des Charlots pour que l'épouvante soit à son comble.
RépondreSupprimerMais c'est chouette de rappeler les souffrances du peuple russe, désigné à morfler de tous les côtés ces temps-ci.
C’est « Retour vers le Passé », et ses pires cauchemars.
De mon côté, j'ai regardé pour me détendre « Requiem pour un massacre », un film russe de 1985 qui relate les exactions nazies dans la Biélorussie occupée de 1943. Presque 700 villages détruits, avec leurs habitants dedans. Eprouvant.
J’attends de retrouver un peu de fantaisie pour remater « la bête de guerre », film ricain pas con sur le conflit russo-afghan.
"Requiem pour un massacre", d'Elem Klimov, est, à mon avis, le plus magistral, le plus juste, le plus (osons le mot) "beau" film de guerre jamais tourné.
SupprimerJ'ai eu un semblant d'explication sur ce film en matant un supplément sur le dvd, un entretien avec le réalisateur qui commence ainsi : "Je suis né en 1933 à Stalingrad". Pas besoin d'ajouter quoi que ce soit : ce mec avait neuf ans lorsqu'il s'est retrouvé au cœur de l'histoire, pardon, de l'Histoire.
Et comme disait un copain espagnol "Estoy hasta los cojones de vivir momentos historicos" (J'en ai plein le cul de vivre des moments historiques !) Sentiment très partagé en ce moment en divers points de la planète, particulièrement du côté du Dniepr ou du Dniestr.
dans le wiki consacré au film, je retiens ceci :
RépondreSupprimerLa première version du scénario avait pour titre Tuez Hitler. Ce titre, selon Elem Klimov, signifiait « Tuez le Hitler qui est en vous ».
Ce qui élève le film du rang de film "de guerre" au film "sur le mal", au moins depuis que les Russes obéissant à l'ordre de dénazification lancé par Moscou sont bien partis pour faire subir aux Ukrainiens ce que les Allemands leur faisaient subir y'a 80 ans.
Donc, ça tourne.
En rond.
La distribution des rôles est contingente.
Le seul truc permanent, c'est le mal, même si je lui refuse la majuscule.
Ce qui n'est pas une excuse pour mourir d'alcool avec Vissotsky.