vendredi 3 mai 2013

Du côté du Chat Noir (3) Gaston Montéhus

Socialiste, antimilitariste, racaille patriote, gaulliste et bien des choses encore...

   Pour expliquer ce titre, voici l'introduction de sa notice sur "Du temps des cerises aux feuilles mortes" :
    Difficile à classer celui-là : les socialistes le réclament comme étant un des leurs mais aussi les anarchistes, les juifs, les communistes, les antimilitaristes, les syndicalistes, les pro-choix, les anticléricaux, les radicaux, les gauchistes et tout le prolétariat. Il lui est ainsi arrivé de se faire crever les pneus de sa voiture par les ouvriers du quartier où il chantait, son public étant, ce soir-là, composé de bourgeois.
    Ses chansons d'une lointaine actualité, de 1897 à circa 1928 sont presque toutes oubliées. La petite histoire a retenu "Gloire au 17e", "La grève des mères" et "La butte rouge". - Il en écrit pourtant plusieurs autres : une bonne centaine sinon plus, en majeure partie mises en musique par son camarade Raoul Chantegrelet.


    Gaston Mordachée Brunschwig  dit Montéhus est né peu après la Commune de Paris. Selon lui, son père Abraham Brunschwig aurait fait partie des insurgés mais aucune source ne permet de vérifier ces propos. Néanmoins, Montéhus a été élevé dans un contexte post-communard, ce qui explique son engagement politique. « Révolutionnaire cocardier » comme il aimait à se présenter lui-même.    Il commença à chanter en public à 12 ans, en 1884, une décennie avant le début de l'affaire Dreyfuss et publia sa première chanson (Au camarade du 153ème) en 1897. Il adopta alors son pseudonyme, plus facile à porter que son nom dans un contexte fort antisémite .
    Il se présenta à Châlons-sur-Marne aux élections législatives du 8 mars 1898, encore à Châlons-sur-Marne, sous l'étiquette "Républicain indépendant" et fut engagé à la fin de l'année 1901 aux Ambassadeurs (établissement du côté des Champs-Élysées) où son répertoire provoqua un scandale. Les hommes de Drumont distribuèrent des tracts contre "le juif Brunswick" qui "éructe des infamies à l'adresse des chefs de l'armée française", et provoquèrent des bagarres. Montéhus dut retourner dans les faubourgs mais qu'il était lancé, qu'il fut admis à la S.A.C.E.M. en 1904 en soumettant "Du pain ou du plomb" (thème imposé : "L'heure de l'Angelus aux champs") (sic) 
    Il devint presque mondialement connu, en 1907, avec son "Gloire au 17e" suite à la mutinerie de ce régiment ayant refusé de tirer sur les vignerons révoltés de Béziers (ce qui vaudra aux soldats un long séjour dans les Bat d'Af de Tunisie ainsi que la réorganisation géographique de l'armée française).

  Dans ses chansons au style vif, entraînant, Montéhus s'opposera donc au militarisme, à l'exploitation capitaliste, à la prostitution, à la misère, à l'hypocrisie religieuse, mais aussi à l'impôt sur le revenu :
Au lieu d'imposer l'travailleur qui enrichit l'gouvernement
Imposez plutôt les noceurs qui gaspillent tant d'argent 
    Il a également défendu la cause des femmes : La grève des Mères fut interdite par décision de justice en octobre 1905 et Montéhus condamné pour « incitation à l'avortement ».



    En 1907, il rachèta un café-conert à Paris, le renomme « Le Pilori de Montéhus », et y donna des spectacles engagés. Il y fit la conaissance de Lénine lors de l'exil de ce dernier en France et se mit à chanter en première partie de ses conférences, en 1911 .Lénine,ne tarissant pas d'éloges, lui demande de chanter pour les révolutionnaires russes. Refus de Montéhus.

    Ce qu'on ne veut généralement pas trop pas trop se rappeler, c'est qu'en 1914, lui, l'antimilitariste par excellence, composa des chansons pour l'emprunt de guerre, la victoire finale, l'union sacrée dont une célèbre "Lettre d'un socialo" sur - comble des combles -  l'air du Clairon de Déroulède :
 Certes cela est pénible
Quand on a le cœur sensible
De voir tomber les copains
Mais quand on est sous les armes
On n'doit pas verses de larmes
On accepte le destin.

   Et c'est pas fini,  Il s'est fait le chantre zélé de l'Union Sacrée et  chanta alors La Guerre finale détournement de L'Internationale :
Et maintenant tous à l'ouvrage
Amis, on ne meurt qu'une fois !.
   Dans une chanson à la gloire des troupes coloniales (version Y'a bon Banania) intitulée L'Arbi, ce patriote professionnel tint des propos où l'abject le dispute au raciste : 

Moi li sait bien, toi pas voulu guerre 
Toi, li Français, c'est kif kif le bon Dieu. 
Moi suis content voir Paris :  
J'suis content, c'est bézef bonno 

A couper cabêche aux sales Pruscots 
car eux, du tout, pas gentils 
As pas peur, as pas peur, Sidi 
Si Pruscots venir, moi coupe kiki.

    Durant ces quatre années de guerre, celui qui ne cessa de composer des chansons belliqueuses (La Dernière victime, La Voix des mourants, La Vision sanglante, Debout les Morts !, etc.) ne sera jamais mobilisé et ne connaîtra donc pas effectivement les horreurs du front. Par contre, sur la scène, à l'Olympia, il s'est montré blessé à la tête chantant des chansons bellicistes. À la fin de la guerre, en 1918, pour ses bons et loyaux services, cet hypocrite recevra donc la Croix de Guerre.

    Retournant sa veste, Il aura tenté de se racheter en composant en 1923 La butte Rouge qui fait référence à la butte de Bapaume, théâtre de violents combats sur le front de la Somme, durant l'offensive de l'été 1916 (et pas, contrairement à une erreur fréquente, la Commune, fort peu évoquée dans l'œuvre de Montéhus). Dans cette chanson, il s'en prit aux responsables du carnage



    Dans les années trente, il devint membre du SFIO puis du Front populaire - on se souvient de son "Vas-y Léon"  (Blum) - avant, en 1942, âgé de 70 ans, d'être contraint de porter l'étoile jaune. Durant la Seconde Guerre mondiale, il connut une vie particulièrement difficile, la SACEM, du fait de ses origines, ne lui payant plus ses droits d'auteur.
À la Libération, il créa "Le chant des gaullistes" et plusieurs drames dont "L'évadé de Büchenwald". En 1947, le ministre de la guerre, Paul Ramadier (grand cogneur de grévistes) lui remit la Légion d'honneur. - Pauvre, malade, oublié de tous, il s'éteint à Paris en 1952.

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