La guerre civile qui suivit la révolution russe fit également rage dans une Sibérie au sens large. Nous entendons par là un territoire qui va de l'Oural à la Mandchourie et à la Mongolie, des lignes du Transsibérien aux steppes glacées, où s'affrontèrent des armées russes rouges, blanches, vertes, japonaises, tchèques, chinoises, bouriates et divers autres corps expéditionnaires.
Comme bien d'autres, notre découverte de ces événements a débuté par la BD d'Hugo Pratt : Corto Maltese en Sibérie.
"Roman graphique" (terme ô combien prétentieux) dans lequel apparaît la figure haute en couleur du Baron Fou ou Sanglant, Roman Ungern von Sternberg, aristocrate russe blanc descendant d'un chevalier teutonique qui, après avoir commandé sa "Division Sauvage" pour le compte des blancs, tenta de créer un empire basé sur un ordre militaire bouddhiste en Mongolie avant de finir livré par ses officiers aux rouges qui se firent un plaisir de le fusiller.
Si nous n'avions alors pas encore lu les fabuleux livres de Ferdynand Ossendowski, Bêtes, Hommes et Dieux et Asie fantôme, Pratt, lui, les avait à coup sûr attentivement décortiqués. Géologue et explorateur polonais (la Pologne faisant alors partie de l'empire russe) Ossendowski, envoyé par l'Académie des sciences, parcourut la Sibérie de 1901 à 1921. Socialiste, il prit part à la révolution de 1905 dans un soviet sibérien, fut condamné puis gracié avant de se retourner contre les bolcheviks en 1917 et d'entrer au service l'amiral Koltchak, chef suprême des blancs de l'Est. Or, dans son premier ouvrage, narrant sa fuite désespérée des bolcheviks dans une situation de déliquescence du camp contre-révolutionnaire, Ossendowski tombe, en Mongolie, dans les griffes du Baron Ungern.
Non seulement sa situation établit un parallèle avec celle de Corto Maltese mais, dans la BD, les échanges du Baron avec le héros de papier, y compris le passage des prédictions chamaniques, semblent calquées sur le récit du savant polonais.
Un exemple de la prose du baron cinglé :
La grande guerre a prouvé que l'humanité doit s'élever vers un idéal toujours plus haut, mais elle a marqué l'accomplissement de l'antique malédiction que pressentirent le Christ, l'apôtre saint jean, Bouddha, les premiers martyrs chrétiens, Dante, Léonard de Vinci, Goethe, DostoÏevsky... La malédiction a fait reculer le progrès, nous a barré la route vers le divin. La révolution est une maladie contagieuse; l'Europe, en traitant avec Moscou s'est trompée elle-même comme elle a trompé les autres parties du monde. (...) Ce qui nous attend, c'est la famine, la destruction, la mort de la civilisation, de la gloire, de l'honneur, la mort des nations, la mort des peuples.
Évidemment, si Corto détruit un canon japonais avant d'être relâché, Ossendowski finit par poursuivre sa route vers Vladivostok plus modestement, non sans nous avoir livré, au passage, les prophéties du Bouddha vivant. Il regagnera la Pologne en 1922 et y mourra en 1945, non sans avoir fait partie du gouvernement clandestin durant l'occupation sous la tutelle des nazis de Hans Frank.
Avec leur goût prononcé pour la soldatesque perdue, la Souris Déglinguée ne pouvait se priver d'une allusion au Baron tragique et à ses trains. Cheval de fer est issu de leur huitième opus Tambour et soleil (1995).
Quant à Ferdynand Ossendowski, si vous ne l'avez pas encore lu, bande de veinards, on vous le recommande vivement. Ça vaut tous les romans d'aventure.
Yes ! Je fais partie de la bande de veinards, alors merci pour cette recommandation livresque !
RépondreSupprimer(Non sans avoir, comme tu dis, subodoré que l'amiral Koltchak inspira également jadis les dusseldorfois Kraftwerk…)
Et boing bum, donc.
RépondreSupprimerOui, veinard,connaissant ton appétit pantagruélique, j'me permets même de te conseiller commencer par Asie fantôme.
J.